Il faut trouver des débouchés pour la masse phénoménale des marchandises à produire….
A lire malgrè l’incompréhension de l’auteur du fait que le développement du capital et la lutte contre la misére sont bien deux moments du même processus
Les pauvres des pays du Sud, un nouvel Eldorado?
« la pyramide du système capitaliste », 1911
New pyramid
Toutes les entreprises multinationales -ou presque- développent désormais des produits destinés au « bas de la pyramide ». Le « bas de la pyramide », ce sont les quelques centaines de millions de personnes vivant avec moins de 5 dollars par jour dans les pays émergents.[print_link]
Ces produits sont conçus en fonction des besoins, des conditions de consommation et des contraintes monétaires des populations locales. Progrès pour le développement des pays du Sud ou simple progrès… du marché global ?
Le « bas de la pyramide », un segment exclu du marché global
Les théories du « bas de la pyramide » sont nées dans les universités anglosaxonnes, et furent marquées par la parution en 2006 de « The Fortune at the bottom of the pyramid » de l’Indien Coimbatore Krishnao Prahalad.
Le constat est le suivant : les populations pauvres des pays émergents n’ont pas accès à une consommation de marché. Leur pouvoir d’achat, bien qu’individuellement très limité, est néanmoins gigantesque s’il est agrégé.
Or, ces potentiels consommateurs ont des besoins spécifiques qui ne sont pas satisfaits par les produits occidentaux.
« Bien consommer », une solution aux problèmes liés à la pauvreté ?
Les produits « BoP » (pour « Bottom of Pyramid ») sont censés « éradiquer la pauvreté et redonner dignité et choix, en utilisant les mécanismes de marché », sous-titre C. K. Prahalad. Comment ? En permettant aux populations pauvres de consommer, et de consommer « bien ».
Le logo de « Grameen Danone Foods », développé au Bengladesh
Les populations ciblées par les entreprises sont, en général, des populations dont les revenus journaliers vont de 2 dollars à 5 dollars, et ne sont donc pas les plus pauvres (le seuil de pauvreté internationale est fixé à 1,25 dollar par jour par la Banque Mondiale).
Quelques exemples phare : Danone, en partenariat avec la fondation Grameen, s’est lancé dans la production et la distribution au Bengladesh de yaourts à très bas coût, enrichis en nutriments.
Iqbal Quadir, fondateur de l’opérateur Grameen Phone, a développé une stratégie d’entreprise conforme au modèle de « développement partant du bas » (« bottom-up development »), ce qu’il explique lors d’une conférence TED (en anglais) : les services de téléphonie mobile répondent à des principes de Responsabilité sociale d’entreprise (RSE) qui prennent en compte les besoins spéciaux de développement économique du Bengladesh, en monde rural notamment.
Un marché de 5000 milliards de dollars
Une des ambiguités de ces nouvelles offres porte sur les intentions des entreprises. François Perrot, doctorant en économie à l’Ecole Polytechnique qui réalise sa thèse sur les produits BoP (présentée ici à un atelier de recherche de l’Ecole Polytechnique), distingue plusieurs modèles économiques :
« Certaines entreprises ont fait de ces marchés des leviers de croissance : c’est essentiellement le cas dans le domaine des télécommunications, avec GrameenPhone. D’autres secteurs, comme celui du logement ou de l’électricité, reposent sur des modèles économiques complexes, pour lesquels le retour sur investissement est plus long à obtenir. »
Un récent rapport de la Société financière internationale, la branche de financement privée de la Banque mondiale, a évalué le marché total des BoP aux alentours de 5000 milliards de dollars, avec une prépondérance de l’Asie. François Perrot précise :
« La plupart de ces offres n’ont que quelques années ou quelques mois. Mais EDF, par exemple, a plus de 15 ans d’expérience dans le domaine de l’électrification rurale en Afrique, de même que Suez sur les questions d’approvisionnement en eau et électricité des bidonvilles en Amérique latine. L’objectif financier de ces projets était d’arriver à l’équilibre afin que le projet perdure.
Désormais, nous avons affaire à des entreprises qui veulent atteindre un plus haut niveau de rentabilité, et passer de projets ponctuels à des pratiques dont la rentabilité doit assurer le développement. »
Il explique aussi l’introduction de multinationales sur les marchés des pays émergents par la concurrence croissante d’entreprises leaders nationales :
« Cette nouvelle concurrence a incité les entreprises multinationales à se préoccuper de ce segment qu’elles connaissaient mal jusqu’à présent. C’est le cas par exemple de Nirma, une entreprise de produits liés à l’hygiène, dont le développement rapide dans les zones rurales indiennes, a conduit Unilever à s’intéresser également à ce segment. »
Nouvelle Responsabilité Sociale d’Entreprise (RSE) ou « Old business » travesti ?
Gaël Giraud, chargé de recherche au CNRS et nominé en 2009 au Prix du Meilleur Jeune Economiste du Monde et du Cercle des Economistes, rappelle le contexte économique mondial éclairant les ressorts de ce nouveau commerce :
« On se rend compte, depuis les années 1990, que les ménages nord-américains ne suffisent plus et ne suffiront pas à drainer vers eux toute la production industrielle des pays du Nord et des pays emergents (BRIC, Brésil, Russie, Inde et Chine). Or, les pays du Nord ont un besoin structurel de trouver des “consommateurs”.
Et il y a cette nouvelle concurrence du Sud, qu’évoque François Perrot : produire à bas prix pour les classes moyennes du Nord, cela, les entreprises des pays émergents savent en moyenne le faire mieux que nous, parce qu’à un coût plus faible.
En revanche, produire des yaourts spécifiques aux populations pauvres du Bengladesh, cela exige une expertise technique que les industries des pays émergents n’ont pas encore. Cela nous assure donc une (petite ? ) longueur d’avance. »
Un levier pour la croissance économique, mais pour le développement ?
Le modèle « BoP » de Coimbatore Krishnao Prahalad inclut d’autres parties prenantes que les seules entreprises privées : gouvernements locaux, acteurs de la société civile, agences de développement et producteurs et consommateurs de produits « BoP » sont appelés à se coordonner pour agir économiquement dans le sens du développement, sans favoriser seulement une croissance du marché.
Cependant, les critiques des spécialistes du développement portent sur les objectifs, intérêts et déclaration des entreprises. Cécile Renouard, auteur de La Responsabilité Ethique des Multinationales et co-auteur avec Gaël Giraud de 20 propositions pour réformer le capitalisme, explique :
« Les théories BoP veulent concilier l’objectif de maximisation du profit de l’entreprise d’une part, et d’autre part, le développement. Elles reposent sur un optimisme quant à l’efficacité de la stratégie “gagnant gagnant” : le marché peut être bénéfique pour tout le monde.
Cependant, la tension entre ces deux objectifs peut aboutir à des contradictions ainsi qu’à des non-dits. C’est pourquoi, pour juger de l’efficacité de ce genre d’initiatives, il faut regarder de très près chaque situation et son bilan, et se poser les questions suivantes : est-ce que l’entreprise sert la cause du développement ? Les produits que l’on fait consommer aux populations pauvres du sud servent-ils le tissu social de ces populations ? L’accroissement de cette consommation s’accompagne t-elle du déploiement d’infrastructures, de l’amélioration de l’éducation et de la santé ? »
rue89
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