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« Le Tout sur le tout »

Gilles Dauvé & Karl Nesic
« Nous publions ici les réponses, parfois un peu augmentées, à un questionnaire proposé par des camarades italiens, qui complète celui que nous avait adressé en 2007 le groupe allemand Revolution Times, publié par nous-mêmes sous le titre La Ligne Générale, et en anglais What’s It All About, textes disponibles sur notre site. Malgré leurs différences, les deux questionnaires obligent l’un et l’autre à trier entre vraies et fausses évidences. Revenir à quelques interrogations élémentaires, c’est relativiser ce qui doit l’être, mais aussi reprendre ce qui pour nous reste fondamental. »[print_link]

[1]  Croire encore à la révolution ?
Est-il encore possible, dans notre époque, de croire raisonnablement à la possibilité (je ne dis pas la nécessité) d’une révolution sociale, et d’agir en conséquence ? Quelles sont les conditions de possibilité d’une telle révolution ?

Plus d’un siècle et demi après le Manifeste communiste, la révolution se fait attendre : la question que vous posez est donc non seulement légitime, mais nécessaire.

Tout dépend de comment chacun la pose… ou l’escamote.

Certains de nos camarades ont cru à la révolution, essayé de contribuer à sa venue, puis cessé d’y croire quand ils ne l’ont pas vue arriver. Sans doute n’avait-elle pour eux de réalité ou de possibilité que si elle survenait de leur vivant, disons plutôt dans leur jeunesse.

D’autres ne maintiennent la perspective révolutionnaire qu’en se faisant vivre sous pression, comme si la combinaison d’un capitalisme de plus en plus insupportable et de luttes de plus en plus vives  conduisait inévitablement à la révolution.

Nous ne pouvons rien pour les déçus, les fatigués, les impatients ou les énervés de l’histoire.

A notre avis, la nature de la société n’a pas changé depuis 1848, elle s’est même renforcée et approfondie, les conditions des crises révolutionnaires sont toujours là, donc la possibilité de révolution communiste aussi. Qu’elle ne soit pas advenue ne prouve pas qu’elle ne viendra jamais. Inversement, la persistance de luttes sociales et de minorités communistes ne prouve rien non plus, sinon que la société est contradictoire, mais cela, tout le monde le sait.

Votre question le dit bien : possibilité, et non nécessité au sens où la venue du communisme serait déjà (voire depuis toujours) inscrite dans l’histoire. La révolution est déterminée par des circonstances favorables, mais celles-ci créent une occasion à saisir, et pour cela il faut une envie collective qui dépasse les contingences de l’explosion sociale. On ne peut trouver aucune cause ultime expliquant pourquoi en 1919 des centaines de milliers d’ouvriers berlinois n’ont pas participé à l’insurrection spartakiste : aucune, sinon le fait qu’ils n’en éprouvaient pas socialement le besoin. La volonté n’est pas tout, mais sans volonté on n’a rien.

A elle seule, aucune condition objective ne suffira à déclencher ce saut, – car il s’agit bien d’un saut dans l’inconnu. La crise et la misère, par exemple, peuvent pousser aux réactions les plus variées, en sens contraires, mais pas forcément dans le sens de la révolution. 1929 a porté le nazisme au pouvoir, renforcé le stalinisme, promu les Fronts populaires et le New Deal keynésien, avant d’aboutir à 39-45.

[2] Communisation ?
En quoi consiste la transformation communiste de ce qui existe ou, en d’autres termes, le contenu du communisme ? Comment conçois-tu le processus révolutionnaire qui devrait y conduire ?

Répétons ce que nous entendons par communisation, car si l’idée est simple, la simplicité parfois est chose difficile à saisir.

Comparons avec ce qu’envisageait par exemple Marx en 1875 dans sa Critique du programme de Gotha. Son système des bons de travail (souvent repris ensuite, y compris par nous-même dans Le Mouvement Communiste de J. Barrot, Champ Libre, 1972) correspond à l’idée d’une « période de transition » intermédiaire entre capitalisme et communisme, étape historique qui ne serait plus capitaliste sans être déjà communiste, pendant laquelle le travail serait étendu à toute la population afin de développer l’économie, non plus pour le profit et pour le patron, mais pour les travailleurs eux-mêmes, afin que « les forces productives » « jaillissent en abondance » et produisent en quantité suffisante les biens de consommation nécessaires aux besoins de tous. Donc, on travaillerait encore et le travail persisterait comme activité séparée du reste de la vie, avec une triple différence : les ouvriers dirigeraient les usines et toute l’économie, aucun capitaliste n’empocherait les bénéfices, et le temps de travail serait fortement réduit.

S’il est permis de douter de la pertinence d’un tel programme en 1875, le reprendre en 1972 était nettement une erreur. Ce projet n’est pas celui d’une révolution communiste. Il ne l’était pas autrefois et l’est encore moins aujourd’hui. L’industrialisation n’a pas à être développée systématiquement, surtout l’industrie telle que nous la subissons. Et nous n’écrivons pas ceci sous la pression de la mode ou du courant anti-industriel dans les milieux radicaux. Comme disait l’un de nous au milieu des années 70, il faudrait fermer la moitié des usines. (Nous y reviendrons dans la réponse 10.)

Croire, comme Cardan/Castoriadis (Socialisme ou Barbarie, n°35, 1964) qu’ « (..) une société révolutionnaire ne saurait survivre et se développer si elle n’instaure pas immédiatement l’égalité absolue des salaires », c’est opter pour un salariat démocratisé et égalitaire, donc rester dans le capitalisme. Kropotkine voyait plus juste en 1892 quand il refusait « toute idée de salariat, soit en monnaie, soit en bons de travail, sous quelque forme qu’on le présente. » (Œuvres, La Découverte, 2001) Cette affirmation (ainsi que d’autres présentes chez Marx, le « jeune » comme celui de la maturité) montre que le communisme était déjà pensable et pensé au 19e siècle : sa réalisation aurait pris un chemin très différent de celui qu’elle suivrait de nos jours, mais elle faisait partie des  possibilités historiques.

La transformation communiste ne peut réussir que si elle commence dès le début de la révolution. Le processus et la transformation sont une seule et même chose. Nous nous permettrons de citer un passage d’Au-delà de la démocratie (G. Dauvé & K. Nesic, L’Harmattan, 2009) :

« Notre émancipation ne viendra que d’une révolution qui transformerait toute la vie quotidienne en même temps qu’elle s’attaquerait au pouvoir politique et créerait ses propres organes, par une insurrection combinant œuvre destructrice et créatrice, mise à bas des appareils répressifs et mise en place de rapports sociaux non mercantiles, allant vers l’irréversible en enlevant aux êtres et aux choses leur qualité de marchandise, sapant les bases du pouvoir bourgeois et étatique, changeant structures matérielles et mentales.

Faire circuler des matières premières et des produits sans la médiation de l’argent passe aussi par la suppression de murs d’appartements étriqués parce qu’adaptés aux normes de la famille nucléaire, ou par la plantation de légumes dans une rue ou sur un toit. C’est rompre la scission entre un univers urbain minéralisé et une nature de plus en plus réduite à un spectacle et un loisir, où un trek annuel de dix jours au désert compense l’obligation de faire ses courses en voiture chaque samedi. C’est pratiquer dans un rapport social ce qui relevait d’une activité privée et payante, voire bénévole (car là où tout se paye, rien ne saurait être gratuit). C’est ne plus traiter son voisin en étranger, mais aussi cesser de considérer l’arbre au coin de la rue comme un décor entretenu par des employés municipaux. C’est produire une relation différente avec les autres et avec soi, où la fraternité ne découle pas d’un principe, mais d’une pratique qui inclut une lutte, y compris violente, y compris armée. »

Ce dernier point est essentiel. Non seulement la communisation ne remplace pas la destruction des forces politiques bourgeoises, mais elle renforce leur destruction, qui sinon ne serait qu’un combat militaire.

La révolution communiste n’est pas successive, comme si d’abord elle s’occupait du pouvoir (afin de  le prendre ou de le supprimer), pour seulement ensuite changer la vie sociale.  Chacun des deux aspects nourrit l’autre. Ils agissent ensemble, ou échouent tous les deux. Si les prolétaires ne se débarrassent pas de la police, de l’armée, des partis et de la machinerie parlementaire, tôt ou tard les transformations sociales dépériront de l’intérieur ou seront brisées de l’extérieur, comme on l’a vu en Espagne après 1936. Mais si la lutte armée se résume à un duel entre deux  fronts, tôt ou tard le camp prolétarien perdra sa dynamique sociale, puis sera battu sur les barricades ou les champs de bataille, comme on l’a vu aussi en Espagne après 1936.

Un tel bouleversement ne se fera évidemment pas en quelques semaines ou mois, et s’étendra au moins sur une génération, mais le processus de communisation commencera dès le début. Plus tôt il s’amorcera, plus tôt il sera large et profond, et plus il aura de chance de s’imposer. Pour réussir, une révolution dépasse les conditions qui lui ont donné naissance, dépassant ainsi les résultats qu’elle a obtenus, et ce de manière permanente.

Nous savons ce dont nous ne voudrons plus : l’Etat, le travail, les classes, la propriété privée… Mais ce que nous en ferons déterminera de nouvelles relations sociales dont on aurait aujourd’hui du mal à imaginer le contenu.

Par exemple, si la voiture individuelle est un instrument remarquablement adapté à la civilisation moderne, son sort ne se règlera pas à partir de la nécessité d’économiser l’énergie, ou de se déplacer de préférence collectivement parce que ce serait plus convivial. Plus exactement, ces deux impératifs ne seront pas déterminants : le fait décisif, c’est que le besoin et la notion de déplacement eux-mêmes changeront. Nous ne dénonçons pas la voiture pour vanter le TGV, et laissons la question de « l’amélioration des moyens de transports » aux gestionnaires et experts de la société actuelle. Le TGV est fait pour rouler vite. Mais vitesse ou lenteur ne sont pas des buts en soi, et privilégier l’une ou l’autre découle d’un mode de vie. Ces réalités et leur perception ont changé entre 1800 et l’an 2000 : elles changeront encore, et bien plus dans un monde où le temps cessera d’être une substance à perdre ou à gagner comme aujourd’hui où il est, au sens fort du mot, de l’argent, car en quoi se mesurent travail et rentabilité, sinon en temps ? Nous voulons un monde capable d’envisager le désir et la possibilité d’aller de Lille à Marseille en trois semaines. Pour autant, il serait absurde de faire d’ores et déjà des plans pour l’avenir et de supposer par exemple préférable de se déplacer surtout à cheval ou à bicyclette. Tout ce que l’on sait, c’est que l’obsession de la vitesse est intimement liée au capitalisme.  Cela ne veut pas dire que le goût de la vitesse disparaîtra. Ce que deviendra la vitesse,  nous n’en savons rien. En tout cas, une révolution qui n’en transformerait pas le besoin en plaisir aurait peu d’attrait. (Voir aussi notre réponse 10 et la culture des pommes de terre…)

[3] Quelle différence avec l’anarchisme ?
En quoi ta conception de la révolution, de la destruction du capital et de l’Etat (la communisation) diffère-t-elle de la conception anarchiste ?

La confrontation marxisme/anarchisme a donné lieu à trop de confusions, de sottises et de calomnies. Même R. Luxemburg écrit en 1906 de l’anarchisme russe : « Il est devenu l’enseigne de voleurs et de pillards vulgaires; c’est sous la raison sociale de l’anarcho-communisme qu’ont été commis une grande partie de ces innombrables vols et brigandages chez des particuliers qui, dans chaque période de dépression, de reflux momentané de la révolution, font rage. L’anarchisme dans la révolution russe n’est pas la théorie du prolétariat militant mais l’enseigne idéologique du Lumpenproletariat contre-révolutionnaire grondant comme une bande de requins dans le sillage du navire de guerre de la révolution. Et c’est ainsi sans doute que finit la carrière historique de l’anarchisme. » (Grève de masse, parti et syndicat)

Inversement, M. Rubel a présenté un Marx, théoricien de l’anarchisme, et rappelé que l’adversaire acharné de Bakounine avait, des écrits de jeunesse à la fin de sa vie, développé une critique de l’Etat, de l’argent et de l’économie. Le plan initial du Capital prévoyait un Livre sur l’Etat dont M. Rubel ne doute pas qu’il aurait envisagé un communisme sans Etat. Même au cœur de sa polémique contre Bakounine, Marx affirme : «Tous les socialistes entendent par anarchie ceci : le but du mouvement prolétaire, l’abolition des classes, une fois atteint, le pouvoir de l’État [...] disparaît et les fonctions gouvernementales se transforment en de simples fonctions administratives» (Les Prétendues Scissions dans l’Internationale,1872).

Pour nous en tenir ici à la communisation, et en se méfiant des mots, car il y a autant de variétés d’anarchistes que de marxistes (et Marx refusait l’étiquette marxiste), on peut dire que, contrairement à la plupart des marxistes, beaucoup d’anarchistes ont affirmé le contenu concret du communisme, et parfois cherché à le mettre en pratique dès maintenant : dépassement de la famille, école éveillant l’esprit de l’élève, mise en commun des ressources, alimentation différente, tentative de vivre hors du salariat, solidarité immédiate, etc. Bien que ces efforts aient parfois fini dans la secte, la recette ou le spiritualisme, il y a là une perception de la révolution comme pratique de relations sociales débarrassées de l’Etat et du travail salarié, et comme auto-production d’un individu immédiatement social.

Le mérite historique de l’anarchisme, c’est d’être l’adversaire impitoyable de l’Etat et du parlementarisme : il a montré (contre la majorité des militants et des penseurs du mouvement ouvrier et socialiste) que ces institutions n’étaient pas des outils au service de l’émancipation  prolétarienne, mais des chaînes. Pourtant, par refus de faire une critique de la politique, et donc de la démocratie, les libertaires ont autant de mal à saisir la dynamique révolutionnaire que les autoritaires qu’ils dénoncent.

Res Publica a réédité en 2009 L’Etat et la Révolution d’Arthur Arnould (1833-95), publié en 1877, donc 40 ans avant l’ouvrage de Lénine qui porte le même titre. Cet ancien communard tire de l’expérience de 1871 la même leçon que Marx (il faut détruire la machine d’Etat), à ceci près qu’Arnould s’oppose à tout système parlementaire, même issu de la révolution : « Personne ne peut représenter le peuple », sinon lui-même. Il écrit l’année suivante : « Pas de Centralisation ! Pas de pouvoir fort ! L’Autonomie du Groupe et l’Union des Groupes autonomes (..)».

Mais décentralisation et autogestion ne sont que des formes, qui en elles-mêmes ne suffisent pas à produire leur contenu. Se représenter soi-même, fort bien, mais qu’est-ce que ce soi ? Le vrai problème est ce que doivent faire les prolétaires pour rester autonomes. Au bout du compte, l’anarchisme aboutit à prendre la démocratie au mot ou au sérieux : pour qu’elle fonctionne vraiment, au lieu de concentrer les procédures et organes démocratiques, il les divise et les multiplie. Un parlement central ne saurait être qu’oppresseur : des millions de micro-parlements locaux, dans l’immeuble, le quartier, l’école, le lieu de production, l’association, etc. resteraient sous le contrôle de ceux qui les animent. A supposer que cela soit le cas, ce groupe de quartier, cette commune, ce conseil d’école, une fois réunis, n’amplifieront leur autonomie locale en autonomie collective que si leur pratique ne leur échappe pas. Nous voilà donc ramenés à la nature de ce que feront les participants à la transformation révolutionnaire. L’organisation de la société (et les institutions, même minimales et souples, qui l’expriment) découle des rapports sociaux, de comment l’on produit sa nourriture et les objets quotidiens, comment l’on mange, dort, habite un lieu, se déplace, vit avec d’autres, fait des rencontres, voyage, etc. On n’éliminera pas l’Etat en le découpant en morceaux si petits qu’ils deviendraient inoffensifs. Elisée Reclus, pourtant loin de notre point de vue, observait en 1880 : « Jusqu’à maintenant, les communes n’ont été que de petits Etats (..) ». La seule solution sera d’inventer des façons de vivre et d’être ensemble qui permettent aux médiations – inévitables – de ne pas se dresser au dessus de nous comme des puissances qui nous écrasent. (On ne développera ici ce qu’exposent le livre Au-delà de la démocratie, et le texte – disponible sur notre site – Contribution à la critique de l’autonomie politique).

Concluons sur une citation de Debord :

« Le fait de regarder le but de la révolution prolétarienne comme immédiatement présent constitue à la fois la grandeur et la faiblesse de la lutte anarchiste réelle (..) De la pensée historique des luttes de classes modernes, l’anarchisme retient uniquement la conclusion, et son exigence absolue de cette conclusion se traduit également dans son mépris délibéré de la méthode. (..) C’est l’idéologie de la pure liberté (..) » (La Société du spectacle, thèse 92)

[4] Peut-on encore parler de classe et de lutte de classes ?
Dans une perspective révolutionnaire, les notions de prolétariat, de lutte de classe et de contradiction capital/travail sont-elles encore significatives ? De quelle façon ?

Au 16e siècle, à l’époque de la Guerre des Paysans, ou au 17e, au temps des Niveleurs et des Bêcheurs, quand l’immense majorité de la population mondiale était paysanne, toute pensée sociale sérieuse partait forcément du rapport entre ceux qui travaillaient la terre, et ceux qui organisaient et exploitaient ce travail. Quelle qu’ait été l’infinie variété des types de dépossession ou de dépossession, de contrôle ou de propriété du sol, l’opposition entre les travailleurs de la terre et leurs maîtres structurait alors le monde, et aucune perspective de changement social radical – ni d’ailleurs de réforme – ne pouvait en faire l’impasse.

Quelques siècles plus tard, même si les salariés ne sont pas la majorité de l’humanité (en tout cas pas les salariés ayant officiellement un emploi), le rapport capital/travail domine la planète et son évolution.  Par conséquent, début 21e siècle, une réflexion – et plus encore une critique – sociale doit partir du fait que le capitalisme (et non par exemple l’hypertrophie technique, la domination, l’autorité ou la relation homme/femme, ou même l’argent en tant que force autonomisée) structure le monde. Ni plus ni moins. Autre chose serait de tout attribuer au rapport capital/travail, qui ne suffit ni à expliquer pourquoi la guerre fait rage au Congo, ni pourquoi la Ligue du Nord est forte en Italie.

Qui dit rapport capital/travail, dit contradiction entre les deux pôles du rapport, et donc lutte. Périodiquement, nous croisons des gens qui n’y perçoivent que des concepts réifiés, là où nous voyons au contraire des réalités, sans lesquelles il n’y a pas de projet révolutionnaire. Encore faut-il s’entendre sur les mots et les réalités. Nous l’avons expliqué plus d’une fois, par exemple au début de L’Appel du vide (2003) : la « lutte » entre capital et travail salarié ne signifie pas qu’ils s’affrontent sans cesse, de manière larvée ou violente, dans l’entreprise ou dans la rue, mais qu’ils vivent en partenaires obligés et en ennemis. Des lutteurs se combattent rarement à mort. Lutter, c’est le plus souvent être forcé d’accepter le cadre où on lutte. Si le capital a besoin du travail salarié, tant qu’existe ce système, le travail aussi a besoin du capital.

Ceux qui dans le milieu radical nient l’existence des classes et de leur lutte, ou en minimisent l’importance, comprennent encore moins l’histoire que les bourgeois qui ont mis à jour cet antagonisme dès le début du 19e siècle. Le problème révolutionnaire n’est pas de savoir si la lutte de classes existe, mais de se demander comment, au lieu de s’entretenir elle-même, elle pourrait avoir une fin, par la révolution.

Si la lutte de classes semble disparue de nos pays développés, elle n’en joue pas moins son rôle. Un lien logique unit lutte et échec. Le négociation syndicale, tout juste capable aujourd’hui de freiner les avancées d’un patronat qui rogne sans cesse sur les acquis des luttes antérieures, correspond au niveau des luttes actuelles.

A partir de la fin des années 1970, bourgeoisie et classe ouvrière étaient devenues socialement et imaginairement invisibles : quand la bourgeoisie triomphe, il semble ne plus y avoir de classes sociales. Pour le dire autrement, quand les ouvriers font peu de grèves, on ne parle plus de classe ouvrière. La société dite post-industrielle était présentée comme composée d’une immense classe moyenne si vaste qu’elle passait pour occuper quasiment tout l’espace social, avec à un extrême une poignée de riches financiers, et à l’autre extrême une underclass vouée à l’extinction. Dans tout cela, nous expliquait-on, peu ou pas d’ouvriers, ou éventuellement très loin, au Mexique ou en Thaïlande. Corrélativement, le bas niveau des conflits entre capital et travail entraîne la valorisation (et la médiatisation) d’autres modes de critique, l’écologie par exemple, qui tout en se basant sur des réalités n’en prennent pas moins la partie pour le tout.

Or, depuis quelques années, des ouvriers agissent ou réagissent plus qu’il y a vingt ans. En Asie, voire en Amérique latine, ils obtiennent parfois des concessions, en Europe et en Amérique du Nord ils perdent plutôt la partie, mais en se remuant ils font aussi bouger les idées, et ce resurgissement a suffi à provoquer un regain d’intérêt pour les notions de classe sociale, sinon de lutte de classe.  On peut se demander ce qu’il en serait ou ce qu’il en sera si la radicalisation s’approfondit. Si par exemple, au lieu de placer des bombonnes de gaz devant l’usine en déclarant qu’ils ne les feraient pas exploser, les futurs licenciés de New Libris avaient laissé entendre qu’ils pourraient mettre leur menace à exécution… Aujourd’hui la moindre violence choque, et les réalités du New York ou du Turin de 1900 sembleraient inimaginables à nos contemporains. Mais un durcissement des conflits montrera cette société pour ce qu’elle est : une société de classe, aux contradictions explosives. Ce qu’il en sortira, personne ne pourrait le prévoir, mais nous n’avons d’autre terrain que celui-là.

[5]  Que faire en période non-révolutionnaire ?
Quelles sont les tâches des communistes dans une période de contre-révolution comme actuellement ?

Une réponse rapide serait : rester disponible, ne pas renoncer à comprendre le monde, étant entendu qu’on le comprend en agissant dans et sur lui. Encore faut-il voir quelle action… car il y a des façons d’agir qui stérilisent.

L’activisme a toujours raté son but, ou s’il l’a atteint c’est en créant une organisation comme Lutte Ouvrière. Nous n’y insisterons pas.

Or, il y a un autre activisme, qui ne se lève pas à 4 heures du matin pour distribuer des tracts à la porte des usines, mais croit aux vertus de la communication.

Kautsky et Lénine se voulaient les professeurs de la classe ouvrière. Des pédagogues plus modernes, conscients de la nécessité d’un auto-apprentissage collectif, imaginent que ce qui fait défaut aux prolétaires, c’est l’information. Bien sûr la méthode d’enseignement est différente, car ici l’apprenant, mis en autonomie, est invité à s’instruire lui-même. Pourtant on continue à assimiler le mouvement révolutionnaire à une école. Nous ferons grâce au lecteur de la 3e thèse de Marx sur Feuerbach et l’éducateur ayant besoin lui-même d’être éduqué… Disons seulement que le transmission des luttes (présentes et passées) ne peut venir que des luttes elles-mêmes. C’est en s’engageant aujourd’hui dans un conflit avec la direction que des salariés de Peugeot en sont venus à se renseigner sur les grèves antérieures de l’entreprise, faisant resurgir une mémoire de trente ans quand ils en ont eu besoin. Ce qui vaut dans le temps est vrai aussi dans l’espace. Les ouvriers de Peugeot s’intéressent à ceux de Fiat quand à Peugeot comme chez Fiat le niveau de l’affrontement pose quelque chose de commun aux deux entreprises, et exige plus qu’une transmission d’informations : une action commune, qui se donnera ses propres canaux de communication. On ne « communique » jamais que sur ce que l’on a  de commun. Sinon, c’est une simple information, qui ne pèse pas plus que des millions d’autres au même moment.

Vouloir se faire le chroniqueur des luttes, c’est raisonner comme si toutes les conditions étaient réunies pour qu’à Rio comme à Shanghai les prolétaires s’insurgent, toutes sauf une : ceux de Rio ignoreraient que ceux de Shanghai y sont autant disposés qu’eux (et vice-versa). Donc le problème révolutionnaire consisterait à mettre en relation les prolétaires de ces deux villes et de partout.

Nous ne nous prononcerons pas sur la Chine et le Brésil, mais pour ce qu’il en est du monde  occidental, c’est certainement plus en se déconnectant de l’infinie et omniprésente (voire obligatoire) communication ambiante que les prolétaires iront chercher les contacts qui nourriront leur critique radicale. Ce n’est pas la pénurie de paroles et d’informations qui empêche de penser, mais la parole sur commande et le trop-plein informationnel. Bientôt, annonçait Arthur Cravan à la veille de 1914, il n’y aura plus dans la rue que des artistes. Un siècle plus tard, tout le monde est journaliste, reporter photographe, autobiographe, polémiste, critique de livres, de films, de tout. Parler est nécessaire : se taire aussi, parfois, et le silence peut être une force, disait le cinéaste Elia Suleiman (metteur en scène d’Intervention divine).

Nous n’avons pas, jour après jour, à rendre publique l’idée ou le fait dont la révélation, ajoutée comme une molécule à des milliers d’autres, finirait par renverser chimiquement la situation, et changerait les révoltes partielles en insurrection généralisée. D’ailleurs, dans ce monde qui fait de la vitesse et de la mobilité son mode de vie, l’information « indispensable » à cet instant cède automatiquement la place l’instant suivant à une nouvelle information tout aussi urgente. A fonctionner ainsi, nous nous condamnerions à la fuite en avant qui fait le pain quotidien des médias, mais contredit complètement la logique critique qui est la nôtre.

Sur un lieu de travail, atelier, bureau ou école (et les possibilités de critique radicale ne sont pas les mêmes dans ces trois lieux), le « révolutionnaire », en période de paix sociale, n’est guère en position très différente des autres salariés. Il n’essaye pas d’ « élever » le niveau. Il n’apporte pas à ceux qui luttent le sens de leur lutte. Il participe aux luttes quand il y en a.

Comme chacun a pu le constater, il est fréquent que ceux qui propagent des idées révolutionnaires (en écrivant de la théorie, en participant à une revue ou un journal, ou en publiant des livres sur le passé et le présent) disent faire autre chose que ce qu’ils font. L’essentiel de leur activité consiste à diffuser des textes mais, comme si cela ne suffisait pas, et comme pour éviter d’être taxés de théoriciens (en chambre, il va sans dire), ils se présentent en praticiens. On dirait que cela les gêne de se reconnaître pour ce qu’ils sont. Ce n’est pourtant pas un défaut de manipuler plutôt des mots que des pavés ou des fusils, à condition d’en être conscient, et de savoir quand et où l’édition, les sites, les rencontres et les débats, au-delà d’une simple circulation d’idées, commencent à modifier si peu que ce soit la réalité sociale. Il y a une différence quantitative certaine entre un texte diffusé à 100 exemplaires et un autre diffusé à 10.000 : mais la seule différence qui nous importe est qualitative, lorsqu’un texte influe sur le cours des événements. Alors, l’ampleur de sa diffusion joue son rôle.

Là où les choses se compliquent, c’est dans le cas, plus fréquent qu’on le pense, de luttes sociales à la fois intenses mais incapables de s’en prendre à la racine du mal, par exemple dans l’Espagne des années 30. Les prolétaires espagnols ne pouvaient guère agir autrement qu’ils l’ont fait. Non pas parce que le capitalisme n’aurait pas encore atteint la phase qui permette la révolution communiste. Mais parce qu’à peu près toutes les conditions de l’époque étaient contre eux. Ils sont même allés au-delà de ce que permettait la période (et c’est seulement en ce sens que l’on peut comprendre Bilan, non en y lisant l’expression d’un pessimisme négatif). Ils sont en effet les seuls à encore manifester une énergie révolutionnaire dans un monde où la contre-révolution triomphe, sous des visages opposés, ce qui incite beaucoup à se rallier à l’un pour en éviter un autre : Staline contre Hitler, Thorez contre Blum, « Roosevelt vaut quand même mieux que les bourgeois anti-syndicats », démocratie contre réaction, la CGT d’un côté, le CIO de l’autre… Partout les prolétaires sont mis au pas, à commencer par la « patrie du socialisme », où ils ont été étouffés dès 1921, avant même de l’être en Italie. Ailleurs, depuis les années 20, la classe ouvrière n’arrête pas de se battre tout en perdant ses combats essentiels, les seules pointes étant les vagues de grèves avec occupation aux Etats-Unis et en France, mais qui s’intègrent au New Deal et au Front Populaire. Le soulèvement armé des ouvriers de juillet 36, contre Franco et malgré la démocratie, n’est pas le sommet d’une tendance générale, mais l’exception qui confirme la règle. Si l’on veut repérer une « erreur » dans Bilan, c’est de s’obstiner malgré tout à poser le problème de la révolution en Espagne. C’est seulement 70 ans plus tard que l’on peut présenter comme une possibilité digne d’intérêt la perspective de Bilan, alors que la quasi-totalité du mouvement ouvrier et des groupes se réclamant du socialisme, du communisme ou de l’anarchisme en 1936 la tenaient alors pour une position absurde, voire une trahison : attaquer l’Etat démocratique après l’été 36 pour faire la révolution, seul moyen de gagner la guerre contre le fascisme. Signe des temps peut-être, dans les premières pages de son livre sur le POUM, Histoire d’un parti révolutionnaire espagnol 1935-52 (L’Harmattan, 2006), Michel Christ analyse comme envisageable une telle perspective sans d’ailleurs la reprendre à son compte ni se référer à Bilan.

La critique globale de l’anti-fascisme ne pouvait être qu’ultra-minoritaire et sans effet, la pratique sur le terrain ayant d’autres exigences immédiates, d’où la division abyssale entre critique théorique et critique pratique de ce monde. Rappelons l’état des forces trotskystes en Espagne en 36 (quelques dizaines de militants autour de G. Munis), pour ne pas parler de celles de la Gauche Communiste, italienne ou allemande.

[6]  Que faire en période révolutionnaire ?
Quelles sont, au contraire, les tâches des communistes dans une période révolutionnaire ?

Elles ne sont pas si éloignées de celles en période contre-révolutionnaire, car les principes restent les mêmes. En passant d’une période à l’autre, les comportements changent, non une façon fondamentale de se situer face à la société. Là encore, nous ne cherchons ni à éduquer ni à organiser. L’expérience prouve la vanité des efforts pour organiser les luttes des autres, pour centraliser des mouvements isolés (comme si leur dispersion était due à l’absence d’intervention révolutionnaire), ou pour élever de l’extérieur le niveau d’une lutte. Essayons plus simplement de nous organiser nous-mêmes en fonction de ce que nous croyons possible.

Pour la même raison, si nous ne cherchons pas un rôle dirigeant, nous n’avons non plus aucune raison de le refuser au cas où les circonstances nous y conduisent. Lorsque nous pensons avoir la bonne solution à un problème, il serait absurde de ne pas la proposer ni de mettre ensuite en pratique la décision prise. Aucun désir de devenir « chef » ne nous anime, donc aucune peur non plus.

Il y a d’ailleurs d’autant moins de crainte à avoir à ce sujet qu’un mouvement social dynamique « sélectionne » lui-même ses responsables, et ne se prive pas de les renouveler. Le fait que certains se spécialisent aujourd’hui dans la théorie et l’écriture ne les qualifie ni disqualifie nullement pour exercer des responsabilités quelconques dans de futures tempêtes sociales. Une révolution communiste remettant à plat tous les aspects de la vie, elle bouleversera aussi les individus et les groupes. Dans une phase révolutionnaire, encore moins qu’avant, personne n’est propriétaire de lui-même, et ce que chacun a pu faire hier ne l’engage pas pour demain. Les actes accomplis et les idées développées aujourd’hui ne sont pas garantes de ce que nous ferons pendant une révolution.

[7]  Mais à quoi sert la théorie révolutionnaire ?
Quelle est la fonction de l’activité théorique dans le cadre du « mouvement réel » ?

Personne ne doute du rôle de la pensée sociale dans l’histoire : le cours que prendra une crise sera marqué par la production et la circulation des idées critiques ayant précédé cette crise. On ne comprend pas 1789 sans les philosophes des Lumières.

Mais votre question porte sur tout autre chose, et à juste titre : non sur le brassage intellectuel en général, fait indéniable étudié par « l’histoire des idées », mais sur la place et la portée de la théorie révolutionnaire, au sens de théorie communiste, dans le mouvement social susceptible de mener au communisme.

Ici notre réponse étonnera peut-être.

Avant la révolution, la théorie révolutionnaire sert avant tout à ceux qui la font et en débattent, et sans doute pas à grand-chose d’autre.

Pendant la révolution, les idées et discussions menées auparavant dans ce que nous appellerons le milieu révolutionnaire (forcément faible en nombre et en capacité d’action) jouent un rôle pour le moins limité.

Affirmations sans doute jugées défaitistes par certains, et pourtant confirmées par l’histoire.

Avant 1871, les grèves, les publications socialistes et anarchistes, et les activités de l’Internationale ont préparé le surgissement de la Commune, mais cela relevait plus de la propagande et de l’agitation (au meilleur sens du mot) que de « l’activité théorique » dont parle votre question, qui concerne avant tout des textes comme ceux de Marx ou de Bakounine, lesquels étaient alors très peu connus. C’est seulement ensuite que ces deux révolutionnaires (tout en menant par ailleurs une activité pratique) ont tiré des leçons de la Commune, où ni l’un ni l’autre n’avait vraiment eu d’influence. Après 1871, qu’est-ce qui a joué un rôle « dans le cadre du mouvement réel » ? Pour nous limiter aux socialistes, la Commune a nourri tous les courants, des plus modérés aux plus radicaux, 1871 a autant servi de mythe rassembleur que d’expérience positive, et il a fallu des décennies avant que la « leçon » essentielle tirée par Marx (pas de révolution sans destruction de l’Etat) soit vraiment mise en valeur, par Pannekoek et Lénine notamment. Cette redécouverte, on pourrait dire cette découverte, n’était pas le fruit d’un cheminement purement théorique : elle est venue surtout sous la pression des masses, des immenses grèves à la charnière des 19e et 20e siècles et de l’apparition des soviets en 1905. D’autres percées théoriques fondamentales remontant au milieu du 19e (comme la critique des droits de l’homme et de la démocratie, et tout simplement le communisme) attendent encore aujourd’hui d’être reprises par des forces historiques capables d’en faire des réalités matérielles.

Dans les décennies qui suivent la parution du Livre I du Capital (1867), qu’avait-on retenu d’un ouvrage dont par exemple en Allemagne même des lassalliens et des socialistes récemment encore alignés sur la bourgeoisie libérale comme W. Liebknecht faisaient l’éloge ? Avant tout la démonstration de la confrontation entre capital et travail, très peu la perspective de la révolution, encore moins du communisme.

A une échelle bien plus réduite, en 1967, à Strasbourg, l’I.S. n’a pas joué à l’avant-garde. Elle a accompli un acte, porteur d’une réflexion, acte et réflexion repris par une frange étudiante. Un an avant, ou un an après, ce n’aurait peut-être été qu’un scandale sans lendemain. De même, l’occupation du bâtiment administratif de Nanterre le 22 mars 1968. Des initiatives étudiantes importantes, comme fin 1960 la manifestation contre la guerre d’Algérie, organisée par l’UNEF malgré l’opposition du PCF et de la CGT, n’avaient rien entraîné (sauf, dans ce cas, contribué à l’indépendance algérienne). Ceux qui lancent une idée radicale ou prennent l’initiative d’un geste subversif ignorent généralement si l’idée ou le geste se révèlera ou non en phase avec son époque. Il ne dépend pas de nous, ou très peu, que l’activité théorique fusionne avec le mouvement réel.

[8]  Marx & Reich
Quelle est l’importance du facteur caractériel et de la critique des relations sociales « intériorisées », par rapport à la possibilité de succès d’une révolution communiste  (je pense à Wilhelm Reich ou à Giorgio Cesarano, par exemple) ?

L’aliénation est aussi – inévitablement – une réalité vécue dans notre corps et à l’intérieur de notre tête. La communisation, ce n’est donc pas seulement occuper la rue, affronter les forces de l’ordre, ouvrir et transformer les lieux de production (voire les fermer), faire circuler des biens et services sans les payer et commencer à vivre sans argent, modifier l’urbanisme, produire d’autres types de nourriture et la manger autrement, c’est aussi, et à travers tout ce processus, se débarrasser de la cuirasse caractérielle décrite par Reich. On pourrait lui ajouter B. Malinowski, un des premiers ethnologues à partager la vie de ceux qu’il étudie, et dont l’œuvre était connue de Reich. Malinowski (1884-1942) critiquait « la séparation entre psychanalyse et sociologie » (et même entre psychanalyse et histoire), et à partir de là mettait en doute l’universalité du complexe d’Œdipe. Et nous ne résumerons pas l’apport de l’anti-psychiatrie (Laing, Cooper, etc.).

Pour ce qui nous intéresse, une révolution ne triomphera de la répression externe (armée, police, milices bourgeoises diverses…) qu’en démantelant aussi l’auto-répression, ce mécanisme de défense, cet « inconscient corporel » qui nous protège contre les chocs émotionnels tout en nous enfermant en nous-même et en nous handicapant socialement. Les comportements et les psychologies changeront en changeant le monde. Une révolution ne se faisant pas en un jour, elle exigera et produira (les deux à la fois) une capacité à quitter ses habitudes et certitudes, à sortir de soi, à s’ouvrir aux autres en agissant avec eux.

Le communisme ne sera pas l’œuvre de psychorigides, ni de « décomposés », comme l’on disait dans les années 70. Il suppose une autre attitude personnelle, une façon différente de se situer dans le monde. Le militant, lui, renvoie toujours à plus tard le changement, tant social qu’individuel, donc aussi le sien.

Cela posé, et qui est vital, la question est de savoir quelle place occupe cet aspect dans la vie des sociétés, ainsi que dans leur évolution et révolution. Certains ont pris la partie pour le tout.

C’est le cas de l’Ecole de Francfort. Même quand elle accepte l’analyse marxienne de l’exploitation du travail, elle ne considère plus comme central le rapport capital/travail, et le réduit à un rôle mineur par rapport à des facteurs comportementaux qui finalement s’avèrent tellement implantés ou enracinés dans l’individu que la solution doit partir de cet individu : chacun de nous devrait se libérer d’abord lui-même avant de s’insurger collectivement. Pour le W. Reich des années 30 (avant que les Etats-Unis lui soient fatals), cette libération personnelle était un point de passage nécessaire afin de rendre possible la lutte collective pour une révolution prolétarienne. Après 1945, l’Ecole de Frankfort cessera définitivement de se poser la question révolutionnaire. Pour E. Fromm, par exemple, l’homme fuit devant la liberté parce qu’il en a peur, et il faut qu’il apprenne à se délivrer de cette peur.

E. Fromm avant guerre, Th. Adorno en 1950, et surtout W. Reich (Psychologie de masse du fascisme, 1933) expliquent de façon convaincante comment le nazisme ne serait pas venu au pouvoir sans un concentré de personnalité autoritaire et d’auto-répression appelant un chef, substitut d’un pater familias dont la crise avait déstructuré la fonction et le pouvoir traditionnel. Cependant ce concentré était présent à la même époque chez des Allemands non nazis ou anti-nazis, ainsi que dans d’autres pays, y compris les pays qui ont combattu l’Allemagne. Les enquêtes de l’Ecole de Francfort aux Etats-Unis y ont d’ailleurs retrouvé une structure caractérielle voisine. Il fallait donc qu’en Allemagne elle ait été animée par autre chose qu’elle-même, par des conditions qui en ont fait un facteur politique décisif. La psychologie de masse n’explique que la psychologie, car c’est bien de psychologie qu’il s’agit : même si ces penseurs se réclament d’une analyse totale, faisant notamment appel à l’anthropologie, ce qu’ils appellent fait social est traité comme de l’inter-subjectif. Les rapports sociaux sont détachés des rapports de production, c’est-à-dire de la production de nos conditions d’existence, donc de rapports qui, dans une société de classe, sont des rapports entre classes.

Quand ensuite cette psychologisation de l’histoire est reprise par la radicalité des années 70, c’est dans la perspective d’un changement de fond auquel Horkheimer, Adorno ou Habermas avaient, eux,  pour de bon et explicitement renoncé. Mais si la visée était différente, la méthode restait similaire : le mouvement social s’étant avéré défaillant, transférer la priorité à la subjectivité. Après avoir cru que l’incapacité du capital à satisfaire les besoins élémentaires des prolétaires pousserait ceux-ci vers la révolution, on espérait maintenant (en sens inverse, en quelque sorte) qu’avec la saturation de la fausse jouissance consommatrice, la privation  non plus de nourriture mais de sens et de communauté, déclencherait une insurrection non plus pour avoir mais pour être. Après l’épuisement des vagues de grèves en France, en Italie, en Angleterre, etc., la classe ouvrière s’est vue déclarée pour de bon « intégrée » au capitalisme, avec l’idée qu’au mieux les revendications des travailleurs aboutissaient à  compenser l’aliénation dans le travail par une consommation elle aussi aliénante. Certains radicaux ont alors cherché un autre agent révolutionnaire, et remplacé le besoin (sans cesse comblé, frustré et renouvelé par la frénésie consommatoire) par ce qu’ils ont cru in-intégrable : le désir, ou l’aspiration à une authenticité opposée à l’artificialité capitaliste.

A la racine de cette conception, il y a une analyse du capitalisme que nous ne partageons pas, car elle n’y voit qu’un emballement de la valeur  autonomisée de tout, y compris du travail : d’où la thèse d’un capitalisme capable de s’auto-réguler, y compris à travers ses crises, si graves soient-elles, capable de tout absorber, du bouddhisme au syndicalisme en passant par la contre-culture, et méritant d’ailleurs à peine le qualificatif de capitaliste car les notions de production, travail, capital, valeur et classe fondent en un système global auto-entretenu où elles perdent toute réalité distincte. Le capitalisme, s’il faut garder le mot, est devenu une représentation, qui perdure parce chacun de nous en maintient la fictivité.

Si, comme J. Camatte en 1973, on privilégie la lutte Contre la domestication, et si tout dépend de notre obstination à rester enfermés dans la prison de nos attitudes, l’unique solution est d’en sortir, de quitter ce monde, de (re)trouver au fond de soi ce qui a été perdu mais non tout à fait détruit, donc ce qu’il faut bien appeler une nature. Pour échapper, il faut en fait s’échapper. Dès lors il est logique de donner la priorité à la façon dont chacun pourrait changer de mentalité et d’attitude, par exemple en remplaçant l’économie par la psychanalyse : dans la 5e série d’Invariance, l’exégèse de Marx cède la place à celle de Freud.

Face à ces errances, la question toujours valable reste celle posée à Marcuse par un participant au congrès du SDS allemand, le 12 juillet 1967 : « Le problème qui devrait nous intéresser vraiment, et sur lequel vous ne nous avez pas encore fourni de réponse, est celui des forces matérielles et intellectuelles agents du bouleversement. »

Devant une révolution communiste qui tarde, c’est le moins qu’on puisse dire (cf. réponse 1), deux tentations symétriques apparaissent : objectiver la révolution, ou la subjectiver. La première attitude, repérée en son temps par W. Benjamin, présente la révolution sociale comme le terme forcé du développement de la société, comme l’effet inéluctable d’un mécanisme selon lequel la production capitaliste engendrerait « sa propre négation avec la fatalité qui préside aux métamorphoses de la nature » (la formule est de Marx : on lira le contexte de cette citation dans la réponse suivante). La seconde tentation renvoie la solution historique au niveau personnel, et au mieux assimile la vie sociale à une inter-subjectivité.

Mais comment vivre autrement dès aujourd’hui, surtout si le tableau est aussi noir que le peignent les partisans de cette position ? Comment se placer hors monde, dans un monde qui aurait tout avalé ?  G. Cesarano a fait en 1975 le choix de se tuer. Un suicide ne se laisse jamais réduire à une seule cause, et il y a des morts volontaires plus riches que certaines existences. « Le suicide est-il une solution ? », demandait le n°2 de La Révolution Surréaliste dans une enquête publiée en 1925. Dans le milieu surréaliste, ou sur ses marges, J. Vaché, J. Rigault et R. Crevel se sont donné la mort. « La barque de l’amour s’est brisée contre la vie courante », écrivait Maïakovski en 1930, deux jours avant de se tuer, ajoutant : « N’accusez personne de ma mort ». Il est quand même permis de penser que le poids de la contre-révolution stalinienne a pesé dans sa décision, comme 64 ans plus tard la marée basse des eaux radicales n’était pas pour rien dans le coup de fusil par lequel G. Debord a mis fin à ses jours. Giorgio Cesarano, lui, a pris au sérieux l’impératif de quitter ce monde. Le suicide peut être une solution individuelle. Socialement,  dans la mesure où il retourne contre soi le nihilisme ambiant, il équivaut à une défaite.

Le refus du monde existant ne peut être qu’une tension, non une réalisation effective, et nous ne nous désaliénerons que dans un processus révolutionnaire collectif :

«Dans la praxis révolutionnaire coïncideraient le changement des circonstances et la transformation de la conscience des hommes. (..) Ce n’est qu’au cours de leur propre praxis révolutionnaire que les masses exploitées et opprimées peuvent briser les circonstances qui les enchaînent et leur conscience mystifiée. » (L’Idéologie allemande, 1845)

[9]  Marx en son temps…  et au nôtre
Qu’y a-t-il encore de valable dans la théorie de Marx ? qu’est-ce qui y est obsolète et devrait être rejeté ?

Les contradictions de Marx sont à la mesure de la puissance de la synthèse qu’il a effectuée, profonde mais inévitablement marquée par son temps. A défaut de ses œuvres complètes, on peut s’en apercevoir en lisant l’anthologie de K. Papaioannou, Marx et les marxistes.

Marx fait l’éloge du développement industriel comme étape positive dans l’évolution humaine et comme moment nécessaire de la venue du communisme, mais il émet aussi l’hypothèse qu’en Russie le mode d’organisation de la paysannerie (le mir) pourrait épargner à ce pays l’obligation du passage par le capitalisme. Il est intéressant que cette réflexion lui vienne au soir d’une vie en grande partie vouée à produire un Grand Œuvre qu’il ne s’empressait pas de publier ni même d’achever.

Chacun (et nous aussi) trouve chez Marx ce dont il a besoin, et le choix du texte retenu sera symptomatique du contenu de la lutte de classes que l’on estime possible et nécessaire. Lire dans son œuvre une glorification du travail, de la croissance, et une justification par avance de l’épuisement de la planète, signifie réduire Marx à ses aspects les plus faibles, ceux d’un bourgeois progressiste.

Agir ainsi, c’est choisir de ne pas tenir compte du reste de ce qu’il a écrit.

Un grand nombre, sinon la plupart de ses textes les plus révolutionnaires, ceux en tout cas en rapport avec le communisme, n’ont été publiés (ou republiés) ni par Marx, ni par Engels : c’est sans doute le signe que leur auteur n’en percevait pas assez lui-même l’intérêt. Cela est vrai de beaucoup d’oeuvres de jeunesse (les Manuscrits de 1844 ne sont rendus publics qu’en 1932), mais aussi de textes de maturité comme les manuscrits des années 1860 (les Grundrisse publiées en Russie au milieu de la deuxième guerre mondiale, et le « 6e chapitre inédit » du Capital). Le contenu communiste de la révolution est le plus souvent absent des deux textes emblématiques, les plus connus et les plus cités, le Manifeste et le Capital (le Livre I), ou n’y est présent qu’en creux. L’avant-dernier chapitre du Livre I (dont on peut penser avec M. Rubel qu’il concluait mieux l’ouvrage que le chapitre « La Théorie moderne de la colonisation ») présente la fin du capitalisme comme la conséquence logique de la socialisation capitaliste du monde :

« Le monopole du capital devient une entrave pour le mode de production qui a grandi et prospéré avec lui et sous ses auspices. La socialisation du travail et la centralisation de ses ressorts matériels arrivent à un point où elles ne peuvent plus tenir dans leur enveloppe capitaliste. Cette enveloppe se brise en éclats. L’heure de la propriété capitaliste a sonné. Les expropriateurs sont à leur tour expropriés. (..) la production capitaliste engendre elle-même sa propre négation avec la fatalité qui préside aux métamorphoses de la nature. C’est la négation de la négation.  (..) Là, il s’agissait de l’expropriation de la masse par quelques usurpateurs; ici, il s’agit de l’expropriation de quelques usurpateurs par la masse. » (« Tendance historique de l’accumulation capitaliste »)

En affirmant que le capitalisme finirait par étouffer dans ses propres limites et serait donc son propre fossoyeur, Marx voulait démolir l’idée – répandue en son temps comme au nôtre – que ce système représente la phase ultime dans la marche de l’humanité vers le progrès et la liberté. Or, sa réfutation avait le défaut de remplacer une finalité par une autre. Le capitalisme, laissait entendre l’auteur du Capital, avait bien une mission historique, mais ce n’était pas de faire notre bonheur, seulement un malheur qui ne pouvait que mener ensuite à notre émancipation.

L’expérience prouve les limites d’un optimisme catastrophique qui, au temps de Marx et depuis, aura servi à justifier les politiques les plus opposées : une ligne révolutionnaire, bien sûr, mais aussi toutes les variantes de réformisme. En effet, si le capitalisme est condamné à mort par l’histoire, les dirigeants ouvriers peuvent passer avec la bourgeoisie n’importe quel compromis, y compris partager avec elle le pouvoir d’Etat,  puisque de toute façon la venue du socialisme est inéluctable. C’est en se fondant sur une citation comme celle-ci tout en ignorant les autres textes que les socio-démocrates, suivis au 20e siècle par les staliniens, ont créé le « marxisme », gardant de Marx ce qui justifiait leur encadrement des masses et leur propre participation à la gestion d’un capitalisme effectivement de plus en plus socialisé. De leur côté, les bourgeois ont appris à apprécier un Marx « sociologue » et « économiste » qui les éclaire sur les contradictions de leur système. Quant aux prolétaires eux-mêmes et à ceux qui maintenaient la visée communiste, ils ont cherché et vu chez Marx ce qui correspondait au niveau atteint par leur critique sociale à chaque époque : comme il est rare que la question communiste soit posée, il est normal que la plupart du temps non seulement le début, mais de gros morceaux du milieu et même de la fin (correspondance avec V. Zassoulitch sur la Russie en 1881) de l’œuvre marxienne restent négligés. Les périodes non-révolutionnaires favorisent la tendance à retenir chez Marx un (grand) penseur philosophique, politique et économique, et non le critique de la philosophie, de la politique et de l’économie, lequel ne refait surface que sous la pression des luttes sociales. Le jour où les prolétaires juifs et arables vivant en Palestine sortiront de l’impasse tragique où ils sont maintenant engagés, il est probable que leur dépassement des diverses barrières identitaires fera « découvrir » un article Sur la Question juive publié en 1843.

Ajoutons que nul n’est devin. Il était tentant en 1867 de se représenter l’avenir capitaliste (un avenir que Marx estimait assez bref) sous ses formes les plus avancées de l’époque, celles de l’Angleterre par exemple, bientôt étendues à l’ensemble du monde. Marx s’interrogeait donc sur les possibles conséquences pour le mouvement ouvrier et révolutionnaire d’un développement capitaliste avant tout intensif, d’une « domination réelle » plus ou moins généralisée. Il était difficile alors d’imaginer qu’un capitalisme installé dans la durée recourrait largement aussi à un développement extensif, à une production de plus-value non seulement relative mais absolue, comme on l’a vu avec l’industrialisation de l’Est européen au 19e siècle, puis de l’Asie, et comme on le voit aujourd’hui en Chine et en Inde, dont l’essor mêle modernité et archaïsme (horaires démesurés, salaire de misère, etc.).

Question subsidiaire mais non négligeable, cette réflexion oblige à revenir sur la place de l’analyse des crises, ou de « la crise », dans notre critique globale de ce monde. Qu’il y ait parmi les révolutionnaires une idéologie de la crise, c’est indéniable. Beaucoup parlent de crise alors qu’ils traitent, quoi qu’ils en pensent, des ratés ou des pannes du capital, donc de crise économique. La seule qui nous intéresse est sociale. Enfin, banalité maintes fois répétée, mais que nous répèterons : aucune crise n’est pas par elle-même productrice de radicalité révolutionnaire.

Trotsky n’est pas sans défauts, mais il voyait juste quand il écrivait en 1929 : « Si, au cours des 150 dernières années, le monde capitaliste a passé par 18 crises, il n’y a pas de raison de conclure que le capitalisme doit tomber à la 19e ou à la 20e. En réalité, les cycles de conjoncture jouent, dans la vie du capitalisme, le même rôle que les cycles de circulation du sang dans la vie de l’organisme. Du caractère périodique des crises découle aussi peu l’inéluctabilité de la révolution que du caractère rythmique du pouls découle l’inéluctabilité de la mort. »

Autre exemple, la crise du milieu des années 1970 n’a pas exacerbé ni même relancé le mouvement social, mais contribué à son déclin. Non parce qu’automatiquement le chômage éteindrait l’ardeur revendicative. Mais parce que cette montée du chômage est venue alors que déjà le mouvement s’était essoufflé. « La crise », par quoi on entend en fait généralement avant tout la chute de la production et de l’embauche, n’est pas le facteur historique déterminant.

[10]  Développer les forces productives ?
Si, pour Marx et le marxisme révolutionnaire « classique », le développement des forces productives était une condition objective nécessaire du communisme, après deux siècles au cours desquels ces forces ont montré leur caractère largement nuisible et destructeur, et montré en tout cas qu’elles ne sont pas « neutres » dans la lutte de classes, que reste-t-il aujourd’hui de cette théorie ? Dans quelle mesure doit-elle être corrigée ou rejetée ?

Il est difficile d’être plus intelligent que son époque : si radicale soit-elle, la critique sociale, aujourd’hui comme hier, n’échappe pas aux évolutions et aux oscillations de l’histoire.

Marx partageait l’illusion de son temps sur une maîtrise humaine quasi complète sur la nature. Nous nous flattons maintenant d’avoir compris qu’il n’est ni possible ni souhaitable de réaliser le rêve de Descartes : « nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature ».

Une chose est sûre : les forces productives n’ont jamais fait éclater d’elles-mêmes les rapports de production comme un enfant en grandissant fait craquer les coutures de ses vêtements. Mais il n’y a pas à renverser la position ancienne. Ce n’est pas parce qu’on a présenté longtemps ces fameuses forces productives comme un facteur d’émancipation que nous devrions maintenant les déclarer uniquement négatives.

S’il y a un apport historique du capitalisme à l’humanité, ce n’est pas d’avoir multiplié les machines grandes et petites, c’est d’avoir relié les groupes et les régions, d’avoir socialisé le monde. Les conditions de notre vie matérielle, à commencer par ce que nous mangeons, ne sont plus produites, comme elles l’ont été pendant des millénaires, dans le cercle de la famille ou du village, mais par un ensemble qui nous dépasse et dont nous dépendons. A nous, par une révolution, d’en faire autre chose, de transformer cette unification marchande en universalité humaine.

Un peu d’histoire. Le capitalisme est destructeur, certes, mais il l’a toujours été. Affirmer qu’il l’est davantage aujourd’hui qu’au temps de la colonisation, de l’accumulation primitive, de 14-18, de 39-45, de Staline et d’Hitler, c’est  se baser sur un critère qui semble aujourd’hui aller de soi : la civilisation salariale, industrielle et marchande menace les équilibres vitaux de la planète. Sans doute… mais en 14-18 il semblait tout aussi évident aux contemporains de vivre une catastrophe sans précédent. De même, après 1945, avec une force de certitude que l’on a oubliée, la menace de guerre nucléaire paraissait ouvrir pour la première fois à l’humanité la possibilité de l’anéantissement. Comment écrire de la poésie après Auschwitz et Hiroshima ?, s’est-on demandé.

De plus, la critique – indispensable – de la société de consommation ne saurait faire oublier que des milliards d’êtres humains souffrent du dénuement – et près d’un milliard de la famine -, et qu’au sein des pays riches l’omniprésence des écrans et des portables va de pair avec une réelle pauvreté, qui frappe souvent aussi ceux qui achètent écrans et portables. (Un signe de richesse, et de distinction pour parler comme Bourdieu, c’est d’ailleurs de pouvoir se passer de ces objets.) Le capitalisme a beaucoup évolué depuis 1867, mais nous ne vivons pas dans un monde de gavés repus.

Notre problème n’est pas de repérer la misère maximale, celle qui déclencherait le Grand Soir, ni l’aliénation maximale qui pousserait les individus à se soulever contre un univers dépourvu de sens, ni  non plus de croire à un péril à la fois écologique et humain si terrible qu’il forcerait enfin à abattre le monstre. Il n’y a pas de lien de cause à effet (ni de proportionnalité) entre le degré de gravité d’une situation, et la riposte révolutionnaire des prolétaires. De gré et de force, ils ont accepté les horreurs de l’industrialisation, Verdun, les dictatures, les camps, et bien d’autres infamies et souffrances. Il n’y a aucune raison qu’en soi la menace de destruction de la vie sur Terre ou d’une plongée dans la barbarie suffise cette fois à déclencher la révolution communiste. Il n’y a pas un seuil intolérable à partir duquel les prolétaires cesseraient de subir les fausses solutions pour imposer la bonne.

Longtemps le communisme, sous ses diverses versions « marxistes » ou « anarchistes », a été synonyme d’un monde où règnerait l’« universalité des besoins et des capacités de jouissances » (Grundrisse). Aujourd’hui que l’idéologie dominante en Europe et en Amérique du nord, tout en incitant à acheter Hi-Tech, vante le light et la modération consommatoire (plutôt le vélo que la voiture), la critique sociale se voit sommée de renoncer à la perspective d’un individu social communiste éprouvant et satisfaisant un maximum de besoins.

Comme nous l’avons rappelé plus haut, pendant longtemps, les critiques du capitalisme lui attribuaient le mérite d’avoir socialisé le monde, ce dont la révolution ferait une véritable universalité. Nous écrivions en 1848 : « Par l’exploitation du marché mondial, la bourgeoisie donne un caractère cosmopolite à la production et à la consommation de tous les pays. (..) Les vieilles industries nationales ont été détruites et le sont encore chaque jour. Elles sont supplantées par de nouvelles industries, dont l’adoption devient une question de vie ou de mort pour toutes les nations civilisées, industries qui n’emploient plus des matières premières indigènes, mais des matières premières venues des régions les plus lointaines, et dont les produits se consomment non seulement dans le pays même, mais dans toutes les parties du globe. A la place des anciens besoins, satisfaits par les produits nationaux, naissent des besoins nouveaux, réclamant pour leur satisfaction les produits des contrées et des climats les plus lointains. A la place de l’ancien isolement des provinces et des nations se suffisant à elles-mêmes, se développent des relations universelles, une interdépendance universelle des nations. » (Manifeste communiste)

Il y a ici un évident problème d’échelle. La possibilité de voyager de Paris aux Caraïbes est une chose ; la fantaisie de faire en avion l’aller-retour Paris-Fort de France pour passer un week-end sous le soleil antillais en est une autre. Quand un yaourt mangé à Paris incorpore des composants empruntés à une demi-douzaine de pays européens et parcourt plusieurs milliers de kilomètres avant d’atteindre le frigo de l’acheteur, la rationalité productive-marchande de ce processus devient absurde, y compris pour le capital global : même si aujourd’hui cette organisation est rentable, elle entraîne des faux-frais croissants que l’entreprise ne pourra éternellement externaliser. Dans d’autres cas, la pression du marché force à produire pour l’exportation aux dépens des cultures vivrières : le Sénégal se nourrit de riz venu de Thaïlande. Mais nous n’en conclurons pas qu’il faille faire une règle du local, et ne manger à Amiens que des pommes picardes.

Aux Etats-Unis, foyer de toutes les monstruosités et de toutes les utopies, des gens bien intentionnés ont décidé de n’acheter que des produits fabriqués à moins de 100 km de leur domicile, mais ce choix d’une sobriété heureuse n’ira certainement pas jusqu’à vivre sans ordinateur. En Occident, chacun, nous y compris, critique les défauts (graves et souvent rédhibitoires) d’un système dont il profite, et cette inévitable contradiction renvoie plus profondément à la contradiction imposée au prolétaire individuel comme aux prolétaires en tant que groupe : vivre dans une organisation sociale, même en essayant de la changer, c’est aussi en subir les règles et les habitudes, auxquelles nul n’échappe totalement. Ceux qui, comme nous, critiquent le pouvoir médical et même la médecine en tant que sphère séparée hésitent rarement à se faire soigner quand ils estiment en avoir besoin. Et les sectes qui refusent la transfusion sanguine ne sont pas un ferment de radicalité.

Historiquement, chaque programme communiste successif répond aux nécessités et aux préoccupations de son temps :

Fin 18e siècle, dans une société largement paysanne, où la masse laborieuse souffre de la faim alors qu’une minorité privilégiée accapare une grande part des ressources, Babeuf veut une réforme agraire capable de nourrir tout le monde, couplée à une répartition égale des richesses : donner le nécessaire à tous exige de refuser le superflu à quelques-uns : « La suffisance, mais rien que la suffisance » (Manifeste des plébéiens, 1795). C’est pourquoi Babeuf s’en prend non seulement au luxe, mais aussi à ceux des arts qu’il juge inutiles.

Quelques décennies plus tard, dans un monde où industrialisation rime avec paupérisation, Marx n’est pas le seul à souhaiter une révolution ouvrière qui développera l’industrie et l’agriculture « moderne » afin de fournir les masses en objets de consommation courants et en nourriture suffisante. Passer du règne de la nécessité à celui de la liberté, c’est d’abord passer de la pénurie à l’abondance. Malgré la persistance d’un courant très minoritaire qu’on dirait aujourd’hui anti-industriel, ce point de vue l’emportera jusqu’au dernier tiers du 20e siècle.

A partir de la fin du 20e, les pays dits riches (et, ailleurs, les classes privilégiées) sont emportés dans une escalade d’obsolescence et de gaspillage, dont nul n’ignore plus qu’elle s’effectue aux dépens de ressources souvent ni renouvelables ni renouvelées. Mais ce n’est pas la critique radicale qui a obligé à cette prise de conscience (très peu suivie d’effets) : c’est le capitalisme lui-même, par ses dirigeants et penseurs les plus lucides, qui est amené à s’inquiéter des conditions naturelles et humaines de sa reproduction, en n’y apportant d’ailleurs que des remèdes provisoires, autre forme de fuite en avant.  En 1960, l’I.S. montrait la fausseté de l’abondance marchande : cinquante ans après, on dénonce une consommation qui ruine la planète, et l’on répète qu’elle n’est pas généralisable (cela, on le savait en 1960, mais la question ne se posait pas, les couches sociales ayant accès à la marchandise restant alors marginales ou, comme en Chine, inexistantes).

Les « anti-industriels » ont le mérite de répéter que la technique n’est pas neutre, et qu’il serait vain de remplacer le patron bourgeois d’une aciérie ou d’un élevage de volaille en batterie par un conseil ouvrier sans se demander dans quelle mesure et à quelles conditions nous avons besoin d’acier et voulons ou non manger des oeufs. Ce que le courant anti-industriel ne comprend pas, c’est que la technique n’est pas non plus la source de tous nos maux. La « mégamachine » ne s’est pas créée elle-même, ni ne s’auto-entretient elle-même. Loin de fonctionner en technostructure autonomisée et délivrée des  impératifs de rentabilité, le lobby nucléaire d’EDF est pris dans les réalités de classe et de profit d’entreprise qui font la nature et les normes du capitalisme.

Au temps de Marx, on a pu croire possible (et souhaitable) de multiplier à l’infini les besoins. Mais s’agit-il de les limiter au strict nécessaire, comme le voulait Babeuf, en ne produisant que ce qu’il faut pour manger, s’habiller, se soigner, etc. ?

Cette position a le mérite de la simplicité, mais son évidence apparente a le défaut de ne définir les besoins que de façon négative : ne pas mourir de faim, ne pas dormir sous la pluie, ne pas souffrir du froid et de la maladie… Or, pour l’être humain, se loger, se nourrir ou se vêtir n’existent pas en soi, comme s’il suffisait de savoir que sans une quantité x de calories par jour, je meurs, et que sans une alimentation variée, je risque des carences. Les besoins sont historiques et « socio-culturels ». Nous ne pouvons définir un « minimum » nécessaire qu’à partir des réalités sociales où nous vivons. Entre le superflu et le nécessaire, comment trancher ? L’essentiel, qui en décidera ? le peuple ? la majorité ? des experts ? Même les plus démunis cherchent aussi un superflu… nécessaire à leur mode de vie. Au lendemain d’un tremblement de terre, il est plus urgent de réparer les canalisations d’eau que de monter un opéra, mais les survivants répareront d’autant mieux ce qui doit l’être qu’ils organiseront les spectacles qu’ils peuvent. L’idée que le soin du potager passe avant la leçon de piano est fort juste, mais un peu courte. Quant à décider aujourd’hui si les êtres humains feraient mieux de renoncer à l’opéra (parce qu’élitiste) ou au rock (parce que crétinisant), pour leur préférer par exemple les plaisirs simples et vrais de la fête populaire chère à Rousseau, nous ne nous aventurerons pas sur ce terrain, sachant qu’il est vain de projeter nos goûts et dégoûts d’aujourd’hui sur un monde de demain.

Le nœud de l’affaire n’est pas que l’homme doive manger pour vivre (et donc que nous devions créer une société où chacun mange à sa faim), mais que, pour l’homme, manger soit toujours plus que manger : on ne comprend l’alimentation humaine qu’en se demandant aussi où, comment, avec qui, l’homme mange, pourquoi il lui arrive de sauter volontairement des repas, et même de choisir de « mal » ou de trop manger. Si nous avons une histoire, c’est parce que l’homme ne coïncide pas avec lui-même, et qu’il modifie sans cesse sa nature. On ne résoudra jamais la question humaine en faisant rentrer l’existence dans une essence, quelle qu’en soit la définition.

Comme l’a montré la revue Hic Salta en 1998, nous ne cultiverons pas des pommes de terre parce qu’il faut manger pour vivre et que les pommes de terre sont nutritives et faciles à cultiver. Nous entretiendrons des relations mêlant l’effort au plaisir, et le jeu à ce qui prend aujourd’hui la forme du travail, et ces relations incluront la culture des pommes de terre. Les experts en productivité ne feront pas la loi sous le communisme, les agronomes et diététiciens non plus.

Le communisme ne viendra pas résoudre un besoin : hier le besoin pour les prolétaires de vivre, de rompre le cycle infernal de la misère et de la guerre, auquel s’ajouterait aujourd’hui le besoin de sauver la vie sur Terre. Une révolution ne traite pas un problème comme un technicien à sa table de travail, et la révolution communiste encore moins. Elle ne naît ni du seul désir, ni de l’impératif de répondre aux urgences historiques. Il y a et il y aura toujours plus d’une réponse à une crise ou à une catastrophe, serait-elle planétaire et fatale, et la révolution communiste n’est qu’une réponse possible. D’autres issues se présenteront et se combineront : la réforme, la dictature et la fuite en avant guerrière. Les prolétaires n’ont pas fait la révolution quand le capitalisme « se contentait » de les exploiter en temps de paix et de les massacrer en temps de guerre. Nous serions naïfs de croire qu’ils la feront maintenant que le capitalisme menace non plus seulement les prolétaires mais toute la vie. Pour que la solution communiste soit tentée et qu’elle l’emporte, la gravité du problème ne suffit pas : encore faudra-t-il aussi que nous en ayons envie.

« Le communisme, théorique n’est pas une téléologie; il ne prétend pas que l’industrie était inéluctablement inscrite dans le destin de l’humanité. Il constate seulement que les êtres humains n’ont pas trouvé en eux-mêmes le moyen de s’unifier en une espèce humaine. S’ils avaient été télépathes, l’universalité de l’espèce se serait peut-être affirmée autrement, en évitant de faire le détour historique par les sociétés de classe. » (La Banquise, n°2, 1983)

Ce n’a pas été le cas et, telle qu’elle existe aujourd’hui, l’humanité, pour se communiser, reprendra une partie, mais une partie seulement, des moyens de production et de communication créés par le capitalisme :

« En l’absence de l’industrie moderne, les babouvistes pouvaient difficilement faire une révolution. La lacune décisive de leur époque ce n’était pas le défaut d’abondance de biens de consommation car la richesse matérielle ne s’apprécie pas purement et simplement du point de vue de la quantité (la révolution réorientera la production et fermera toutes les usines inadaptables au communisme). Ce qui manquait aux babouvistes c’était cette masse de gens qui, disposant de forces productives mondialement unifiées, ont la capacité de faire aboutir leur révolte. La technique ne sert pas tant à produire des biens en abondance qu’à créer la base matérielle d’un lien social. Et c’est seulement à ce titre que la capacité de produire beaucoup, de se transporter vite, etc., est une condition du communisme. L’apport historique du capital est le produit d’une des pires horreurs commises par lui. Il n’a en effet permis à l’homme de devenir social, humain, en tant qu’espèce humaine, qu’en l’arrachant au sol. L’écologie voudrait l’y renvoyer mais l’homme ne s’enracinera de nouveau que s’il s’approprie toutes ses conditions d’existence. Ayant renoncé à l’obsession de ses racines perdues, il en plantera de nouvelles qui s’enchevêtreront à l’infini. » (La Banquise, Id.)

Votre question a le mérite de rappeler que la critique du capitalisme ne peut se limiter au capitalisme. Ce qu’il s’agit de révolutionner, c’est plus que l’exploitation du travail par le capital. A sa façon, le capitalisme intègre et résume des millénaires de domination de l’homme sur l’homme, dépasse certaines contradictions anciennes (par la démocratie, notamment) et en décuple d’autres. La puissance industrielle (ce que certains appellent la mégamachine) rend dramatiquement réalisable le rêve de l’homme de tout domestiquer – y compris d’autres hommes – voire de se créer lui-même.

Pour autant, comme l’expose notre réponse 4, le monde actuel, baptisé à tort « post-industriel », repose sur le rapport travail/capital, et nous ne nous débarrasserons de l’aliénation-réification-domination-domestication qu’en mettant fin au salariat qui continue à déterminer l’évolution humaine, et plus encore aujourd’hui qu’en 1867.

*

L’intérêt de ce questionnaire, c’est son caractère global. Les questions 8 et 10 renvoient à la 1ère, qui obligeait à s’interroger sur l’absence ou « le retard » d’une révolution communiste tant annoncée depuis plus d’un siècle et demie. On ne peut fournir aucune garantie qu’elle finira par advenir, ni aucune « clé » théorique qui la prouverait. Il n’y a pas de raccourci. Théoriser une réaction personnelle de sortie du monde s’avère inopérant : le changement social ne sera pas la résultante de millions de changements individuels (réponse 8). Inversement, fonder la nécessité de la révolution sur l’urgence de besoins essentiels, et la société communiste sur la satisfaction des besoins, semble asseoir notre théorie sur un socle enfin solide, puisque sur des exigences physiologiques et physiques, mais cette solidité n’est qu’apparente : aucun besoin humain ne peut être compris ni satisfait uniquement comme un fait matériel (réponse 10). Tant que nous nous débattrons dans les couples désir/besoin, pénurie/abondance, individu/société, et bien sûr sujet/objet, ce sera le signe que l’enjeu de la révolution communiste n’est pas encore posé historiquement.

Quelques lectures :
M. Rubel, Marx, théoricien de l’anarchisme, in Marx critique du marxisme, Payot, 2000 (recueil de textes de 1957-73)

B. Malinovski, La Sexualité et sa répression dans les sociétés primitives, 1921, disponible chez Payot et sur Internet

Freud, La morale sexuelle « civilisée » et la maladie nerveuse des temps modernes, 1908

Sur Giorgio Cesarano, voir le site Invariance

Rolf Wiggershaus, L’Ecole de Francfort : histoire, développement, signification, PUF, 1993, une « somme » très documentée

K. Papaioannou, Marx et les marxistes, 1965, 1972, réédité par Gallimard, coll. TEL, 2001

Et pour les anglophones : H. Draper, K. Marx’s Theory of Revolution, vol. II, The Politics of Social Classes, Monthly Review Press, New York-Londres, 1978

F. Mehring, Karl Marx, Bartillat, 2009 (1ère édition, 1918 : une biographie, non une hagiographie)

Trotsky, Crise de conjoncture et crise révolutionnaire du capitalisme, 22 déc. 1929, in Le Mouvement communiste en France, Ed. de Minuit, 1967

Le texte d’Hic Salta auquel nous renvoyons est celui B. Asturian, Le Communisme. Tentative de définition, 1996 disponible sur le site patlotch.fre

W. Benjamin, Sur le concept d’histoire, 1940, in Ecrits, Gallimard-Folio, t.3

(Nous avons emprunté notre titre au livre de souvenirs d’Henri Calet (1904-56), Le Tout sur le tout, paru en 1948, réédité chez Gallimard, coll. L’Imaginaire.)

Source : TropLoin

  1. ODIMBA
    07/02/2010 à 22:36 | #1

    Vive les soviets

  2. Patlotch
    07/02/2010 à 22:52 | #2

    Quelques remarques sans prétentions.

    Sur la première question.

    // [1] Croire encore à la révolution ?

    Est-il encore possible, dans notre époque, de croire raisonnablement à la possibilité (je ne dis pas la nécessité) d’une révolution sociale, et d’agir en conséquence ? Quelles sont les conditions de possibilité d’une telle révolution ? //

    D’emblée, je me demande pourquoi la première question est « croire en la révolution » plutôt que « sortira-t-on du capital ? ». Il en suivrait la question des conditions nécessaires à satisfaire, à partir de laquelle on coupe court aux « solutions » qui n’en proposent qu’une variante, jusqu’à celle de l’autonomie. Les notions de « conditions » comme de « nécessité » prennent alors un autre sens, un autre contenu.

    // A notre avis, la nature de la société n’a pas changé depuis 1848, elle s’est même renforcée et approfondie, les conditions des crises révolutionnaires sont toujours là, donc la possibilité de révolution communiste aussi. //

    Si l’on entend par « nature de la société » l’essence du mode de production capitaliste, on ne peut qu’être d’accord. Mais encore… Le terme « crises révolutionnaires » me gêne. Je vois bien ce que peut être une crise économique, une crise de l’économie politique, et qu’à un moment donné elle peut être une crise de reproduction (du mode de production capitaliste MPC, de la valorisation et de la classe prolétarienne).

    // La révolution est déterminée par des circonstances favorables, mais celles-ci créent une occasion à saisir, et pour cela il faut une envie collective qui dépasse les contingences de l’explosion sociale. // La volonté n’est pas tout, mais sans volonté on n’a rien.//

    Il me semble que les « circonstances favorables » sont ni plus ni moins le fait que dans une crise de reproduction, le système est momentanément bloqué, qu’il ne peut plus fonctionner dans sa logique de MPC, jusqu’à une sortie de crise, mais laquelle ? J’avoue avoir un peu de mal avec cette idée de « volonté ». Je ne nie pas qu’il y ait une dimension subjective, car effectivement on ne fait rien sans en avoir envie, ou sans y être contraint. Rien ne contraindra le prolétariat à choisir la révolution, qui ne résulterait des luttes qu’il entreprendra, et de leur contenu (en termes de mesures communisatrices explicitement visées). On peut supposer que l’explosion sociale n’est pas un invariant historique, et que les luttes de classes n’ont pas la même signification ni la même portée suivant le moment où elles interviennent. Leur contenu dans une crise de reproduction me semble nécessairement lié à ce caractère, et c’est là que se pose la question de faire la révolution, et aussi du rôle de la théorie, mais sans doute pas au sens de théorie des théoriciens telle que nous la connaissons aujourd’hui. Nécessité ou possibilité, peu importe alors – ce sont des facteurs somme toute subjectifs, descriptifs – dans la mesure où se posera d’emblée, immédiatement, le contenu à donner aux luttes, la question de leur contenu communisateur ou pas contre le capital, et des luttes internes au prolétariat sur ce clivage.

    À partir de là, j’anticipe un peu, on débouche sur la question 6 « Que faire en période révolutionnaire ? », mais je n’ai pas bien saisi la réponse, comme si la question concernait les théoriciens de la révolution, et non pas alors les prolétaires eux-mêmes, dont effectivement, ceux qui « ont la volonté » de faire la révolution, volonté jusque-là théorique. Mais est-il intéressant de se demander ce que feront les individus appartenant à cette ultra-minorité actuelle ?

    Ce qui se passe alors, ce qui est entrepris, me paraît engager le rôle de la théorie, au sens d’une maturation des luttes sociales, qu’on peut imaginer grandissante d’ici à la crise, et dans la crise. Un sorte d’intelligence révolutionnaire des luttes elles-mêmes. J’entends donc par là une théorie intégrée par les luttes, non forcément la théorie formulée par les théoriciens, vouée en apparence au moins jusque-là à sa séparation (c’est la question « À quoi sert la théorie révolutionnaire ? »)

    C’est tout, sur le tout, pour aujourd’hui.

  3. Patlotch
    08/02/2010 à 10:56 | #3

    Je poursuis quelques commentaires.

    La première chose que j’aurais du souligner (art de la fugue ?) mais qui ne tient pas directement aux positions de TropLoin, c’est la nature de ce questionnaire, le fait que la plupart des questions portent elle-même une positionnement théorique. A tel point que je me demande si mon idée fut bonne d’attirer l’attention sur ce texte, qui laisse sur la faim théorique. Le questionnaire est construit du point de vue de l’intervention théorique, non de celui de la lutte de classes telle qu’elle existe. De ce fait, les réponses sont piégées sur le terrain « apporter des solutions ». Cela n’enlève rien à l’intérêt disons « pédagogique », et comme le disent les auteurs « Revenir à quelques interrogations élémentaires, c’est relativiser ce qui doit l’être, mais aussi reprendre ce qui pour nous reste fondamental. »

    [1] Croire encore à la révolution ?
    [2] Communisation ?
    [3] Quelle différence avec l’anarchisme ?
    [4] Peut-on encore parler de classe et de lutte de classes ?
    [5] Que faire en période non-révolutionnaire ?
    [6] Que faire en période révolutionnaire ?
    [7] Mais à quoi sert la théorie révolutionnaire ?
    [8] Marx & Reich
    [9] Marx en son temps… et au nôtre
    [10] Développer les forces productives ?

    Je suis également soucieux, sans considérer qu’elle doive « s’emparer des masses » par les efforts de propagande, de rendre la théorie compréhensible autant que possible au-delà du jargon d’expert et des nécessités propres à la formulation théoricienne. « Théorie communiste » ne sait pas faire, prisonnier d’un système conceptuel qu’il s’agit de bétonner. Là on frise le risque de sortir de la théorie par le niveau de réponses rappelant certes « ce qui pour nous est fondamental », mais ne permettant pas de cerner accords et désaccords à la hauteur de l’exigence théorique actuelle.

    Concernant donc la deuxième question, « Communisation ? » on ne peut qu’apprécier d’une part que le terme et le concept soient revendiqués et expliqués, comme le fait par ailleurs Astarian  » http://dndf.org/?p=6357
    1. Immédiateté du communisme 1.1. Définition et origine
    Ne pas confondre immédiateté et instantanéité. Par immédiateté du communisme, on pose que la révolution prolétarienne n’a plus pour objectif de créer une société de transition, mais le communisme directement. Du coup : plus de problème de prise du pouvoir politique, d’alliance avec d’autres couches sociales, ni d’effectuation de la transition sur le terrain (dépérissement de l’Etat, etc.).

    On lit bien, entre les lignes, le concept de programmatisme.

    Je m’en tiendrai à une question, à partir de ce fragment.

    // S’il est permis de douter de la pertinence d’un tel programme en 1875, le reprendre en 1972 était nettement une erreur. Ce projet n’est pas celui d’une révolution communiste. Il ne l’était pas autrefois et l’est encore moins aujourd’hui. L’industrialisation n’a pas à être développée systématiquement…//

    Si tel est le cas, pourquoi avoir affirmé en [1} que  » la nature de la société n’a pas changé depuis 1848, elle s’est même renforcée et approfondie… » et pourquoi ne pas considérer que la non pertinence du programmatisme tient à un changement certes non de la nature du Mode de production capitaliste, mais des modalités qualitatives dans lesquelles il existe depuis près de quatre décennies ?

    Quid aujourd’hui du débat entre TC et TropLoin sur la restructuration ? Est-ce que la crise advenue ne change rien à ce qu’on peut en dire ?

    Sinon, rien à dire sur la tentative de desciption du processus communisateur. J’ai apprécié les considérations sur la vitesse, tout à fait intéressantes rapportées au fait qu’il sera question d’ »immédiateté sociale »

  4. A.D.
    08/02/2010 à 20:23 | #4

    « Le questionnaire est construit du point de vue de l’intervention théorique, non de celui de la lutte de classes telle qu’elle existe. » Patlotch.
    De la lutte de classes « réellement existante » ? C’est les théories qui disent : lutte, luttes de classes, classes, et niveau ou point, moment ou cycle actuel. Sans l’appareillage pas de point de vue sur la lutte de classes, pas de point de vue tout court, non?
    A part ça, tout de tout, et un peu du reste qui reste à faire.
    Le texte est intéressant, tes remarques, Patlotch, sont bien visées..;
    Bien le Bonsoir à tous et toutes.

  5. Patlotch
    08/02/2010 à 22:42 | #5

    AD « Le questionnaire est construit du point de vue de l’intervention théorique, non de celui de la lutte de classes telle qu’elle existe. » Patlotch.
    De la lutte de classes « réellement existante » ? C’est les théories qui disent : lutte, luttes de classes, classes, et niveau ou point, moment ou cycle actuel. Sans l’appareillage pas de point de vue sur la lutte de classes, pas de point de vue tout court, non?

    Ben oui, mais fort justement l’intérêt de la théorie est qu’elle cause de la lutte de classes et de la crise à partir de ce que nous avons sous les yeux, non de sa propre histoire, comme auto-référence. Suis-je le seul à voir plus qu’une nuance ?

    Et puis, bon, que « les théories disent » ou pas, « lutte, luttes de classes, classes, et niveau… » ça existe sans le discours qu’on tient dessus, et à moins d’être carrément aveugle… « Moment ou cycle actuel », c’est une autre paire de manches

  6. A.D.
    09/02/2010 à 14:12 | #6

     » Suis-je le seul à voir plus qu’une nuance ? »
    « …à moins d’être carrément aveugle… »

    C’est le type de texte (questionnaire « du point de vue de l’intervention théorique ») qui veut ça, et peut-être aussi la démarche de Trop Loin…
    Vue de Trop loin.

  7. Patlotch
    09/02/2010 à 23:39 | #7

    [3] Quelle différence avec l’anarchisme ?

    // La confrontation marxisme/anarchisme a donné lieu à trop de confusions, de sottises et de calomnies. //

    J’en fus alimenté, donc rien à dire.

    // Inversement, M. Rubel a présenté un Marx, théoricien de l’anarchisme //

    Rubel m’a aidé à sortir Marx de l’Etat, donc rien à dire.

    // Pour nous en tenir ici à la communisation // contrairement à la plupart des marxistes, beaucoup d’anarchistes ont affirmé le contenu concret du communisme, et parfois cherché à le mettre en pratique dès maintenant // il y a là une perception de la révolution comme pratique de relations sociales débarrassées de l’Etat et du travail salarié, et comme auto-production d’un individu immédiatement social.//

    J’en ai même connu qui le tentait dans l’administration d’Etat

    // Le mérite historique de l’anarchisme, c’est d’être l’adversaire impitoyable de l’Etat et du parlementarisme // Pourtant, par refus de faire une critique de la politique, et donc de la démocratie, les libertaires ont autant de mal à saisir la dynamique révolutionnaire que les autoritaires qu’ils dénoncent.

    La principale faiblesse n’est pas ce « refus » en lui-même, mais l’absence d’une critique de la démocratie comme idéal politique du capitalisme. Cela dit, il y a tant d’anarchismes… On va voir de plus en plus d’anarchistes et libertaires en tous genres. C’est sans doute ce qui se présente d’abord quand on rejette la politique, la démocratie… La question est d’où il agiront, d’un point de vue de classe et en rapport avec le travail à abolir.

    // La seule solution sera d’inventer des façons de vivre et d’être ensemble qui permettent aux médiations – inévitables – de ne pas se dresser au dessus de nous comme des puissances qui nous écrasent. //

    Cela pose la question des seuils d’organisation de « la production sans productivité » (BA). Là, je n’ai vu que des approximations frappées au coin de l’idéalisme par naïve ignorance des conditions de toute production matérielle. Je veux bien que ce soit hors champ de visibilité théorique, mais c’est pas une raison pour injecter de nouvelles robinsonnades. C’est pourquoi je considère intéressante la prolétarisation de couches nouvelles et leur entrée en luttes, armées de savoirs et compétences techniques qui ne sont pas plus strictement liées au rapport de travail de l’usine que la pratique théorique ne l’est à l’idéologie dominante. La classe prolétarienne, tout en se segmentant sociologiquement, et avant de s’unir dans la communisation, est appelée à s’élargir bien au-delà du statut d’ouvrier. C’est un facteur dont nous ne pouvons avoir actuellement aucune idée, mais je le vois comme une condition de réussite du processus une fois engagé.

  8. Patlotch
    10/02/2010 à 20:06 | #8

    // [4] Peut-on encore parler de classe et de lutte de classes ? //

    // le rapport capital/travail domine la planète et son évolution. Par conséquent, début 21e siècle, une réflexion – et plus encore une critique – sociale doit partir du fait que le capitalisme (et non par exemple l’hypertrophie technique, la domination, l’autorité ou la relation homme/femme, ou même l’argent en tant que force autonomisée) structure le monde. Ni plus ni moins. Autre chose serait de tout attribuer au rapport capital/travail //

    // Qui dit rapport capital/travail, dit contradiction entre les deux pôles du rapport, et donc lutte. Périodiquement, nous croisons des gens qui n’y perçoivent que des concepts réifiés, là où nous voyons au contraire des réalités, sans lesquelles il n’y a pas de projet révolutionnaire //

    // Ceux qui dans le milieu radical nient l’existence des classes et de leur lutte, ou en minimisent l’importance, comprennent encore moins l’histoire que les bourgeois qui ont mis à jour cet antagonisme dès le début du 19e siècle. Le problème révolutionnaire n’est pas de savoir si la lutte de classes existe, mais de se demander comment, au lieu de s’entretenir elle-même, elle pourrait avoir une fin, par la révolution.//

    Dans le cadre où c’est écrit je n’ai pas de désaccords avec les réponses à cette question. Dans le cadre de mes commentaires, cela va mieux en le disant.

    Histoire de titiller sur « nécessité » et « conditions », je m’interroge sur la formule « projet révolutionnaire ». Je l’entends pour ma part comme « conditions nécessaires mais non programmables de la communisation ».

  9. norman
    10/02/2010 à 21:11 | #9

    « Histoire de titiller sur « nécessité » et « conditions », je m’interroge sur la formule « projet révolutionnaire ». Je l’entends pour ma part comme « conditions nécessaires mais non programmables de la communisation ». »

    ceux qui ne l’entendent pas comme ça seront envoyé en camp de réeducation

  10. Patlotch
    10/02/2010 à 23:01 | #10

    // [5] Que faire en période non-révolutionnaire ? Quelles sont les tâches des communistes dans une période de contre-révolution comme actuellement ? //

    Si je considère qu’il n’y a par définition de révolutionnaires qu’en période révolutionnaire, qu’est-ce qu’un communiste avant la communisation, sinon quelqu’un qui lui est favorable, qui s’adonne à des activités dans cette perspective, en faisant de la théorie et/ou par le sens qu’il donne à sa participation aux luttes ? (ceci sous réserve qu’il ne s’agisse pas, entre autres, de bâtir un programme « communiste » par la somme des revendications syndicales, programme qui, de « programmatiste » à « démocrate radical », n’envisageant même plus la transition socialiste, se noie dans le pur et simple électoralisme de parti) ?

    Je partage la critique des diverses formes d’activisme (interventionnisme ou éducationnisme), comme de la volonté de faire communiquer les luttes éloignées par l’espace et par leurs spécificités, même si elles sont produites (en dernière analyse, ou en premières causes ?), par les mêmes contradictions profondes. Encore s’agit-il de reconstruire le processus entre ces causes générales et les particularités de ces luttes, ce que ne font pas nécessairement les protagonistes. C’est peut-être là que la théorie a un intérêt, sortie de l’idée que sa connaissance aurait pu changer la donne, le résultat de ces luttes.

    // Disons seulement que le transmission des luttes (présentes et passées) ne peut venir que des luttes elles-mêmes. C’est en s’engageant aujourd’hui dans un conflit avec la direction que des salariés de Peugeot en sont venus à se renseigner sur les grèves antérieures de l’entreprise, faisant resurgir une mémoire de trente ans quand ils en ont eu besoin… //

    Ça me semble assez proche de ce que Théorie communiste appelle « luttes théoriciennes ».

    // Nous n’avons pas, jour après jour, à rendre publique l’idée ou le fait dont la révélation, ajoutée comme une molécule à des milliers d’autres, finirait par renverser chimiquement la situation, et changerait les révoltes partielles en insurrection généralisée.//

    J’avoue avoir eu cette illusion quand j’ai découvert les thèses communisatrices, et j’ai compris avec le temps dans quel rythme historique elles s’inscrivaient. Je vois là des échos à la notion de « médiation temporelle » (Le moment présent, RS), plus généralement inscrite dans une critique de l’immédiatisme, voire tout simplement de l’idéalisme philosophique.

    D’accord aussi sur la critique de l’information qui défile comme à la télé, sans distanciation possible, mode d’accumulation du bla bla qui a envahi Internet aussi.

    // Comme chacun a pu le constater, il est fréquent que ceux qui propagent des idées révolutionnaires (en écrivant de la théorie, en participant à une revue ou un journal, ou en publiant des livres sur le passé et le présent) disent faire autre chose que ce qu’ils font. L’essentiel de leur activité consiste à diffuser des textes mais, comme si cela ne suffisait pas, et comme pour éviter d’être taxés de théoriciens (en chambre, il va sans dire), ils se présentent en praticiens. On dirait que cela les gêne de se reconnaître pour ce qu’ils sont. Ce n’est pourtant pas un défaut de manipuler plutôt des mots que des pavés ou des fusils, à condition d’en être conscient, et de savoir quand et où l’édition, les sites, les rencontres et les débats, au-delà d’une simple circulation d’idées, commencent à modifier si peu que ce soit la réalité sociale. Il y a une différence quantitative certaine entre un texte diffusé à 100 exemplaires et un autre diffusé à 10.000 : mais la seule différence qui nous importe est qualitative, lorsqu’un texte influe sur le cours des événements. Alors, l’ampleur de sa diffusion joue son rôle.//

    Nous avons eu ces discussions dans Meeting. Il semble pourtant que, même blindé contre l’accusation de théoricisme (en chambre…), il y ait plusieurs façon d’y répondre, ou pas. La présente ne me dérange pas dans le principe. Il me paraît néanmoins difficile de « savoir quand et où l’édition, les sites, les rencontres et les débats, au-delà d’une simple circulation d’idées, commencent à modifier si peu que ce soit la réalité sociale.» Si l’on ne doit pas prendre ses désirs (mais qui en a de tels) et la réalité, si l’influence n’est au niveau de changer les caractéristiques d’aucune lutte présente, c’est bien dans les luttes que se pose de la façon la plus logique la question de la diffusion, ce qui suppose d’y participer, si précisément on veut éviter d’apparaître pour un « éducateur ».

  11. Patlotch
    11/02/2010 à 12:32 | #11

    Norman
    P « Projet révolutionnaire ». Je l’entends comme « conditions nécessaires mais non programmables de la communisation ». »
    ceux qui ne l’entendent pas comme ça seront envoyé en camp de réeducation

    Si c’est un gag, au temps pour moi… Précision à toutes fins utiles.

    Je ne parle pas des conditions dans lesquelles pourrait intervenir la communisation, ensemble de circonstances favorables qui détermineraient la possibilité de l’engager le moment venu. J’entends par « conditions nécessaires » les mesures communisatrices proprement dit – souvent listées ici – sans lesquelles on ne peut pas parler de communisation. Certes, c’est tautologique, définitoire, mais comme le concept peut être mis à toutes les sauces…

    Qui dit « conditions nécessaires » sous-entend qu’elles peuvent n’être pas « suffisantes ». C’est ici qu’interviennent un certain nombre de champs qui, s’ils ne sont pas directement ni strictement déterminés par la contradiction de classe entre prolétariat et capital, conditionnent néanmoins la réussite du processus au sens large, du point de vue de la positivité du communisme à réaliser. C’est le cas notamment de la question du genre, et du rapport humanité/nature (qui n’est pas fondamentalement un problème « écologique »). Cela suppose, y compris au-delà de la communisation, de sortir d’une visée étroitement humaniste (communauté humaine, rapports d’individus…). Le communisme ne réalisera pas l’homme, ni la femme, nouveaux. Il ne réalisera pas l’Homme. Il lui donnera sa place, toute sa place, rien que sa place. Ou il échouera.

    À partir de là, on peut effectivement parler de « projet révolutionnaire ».

  12. norman
    11/02/2010 à 18:38 | #12

    oui c’était une blague, parce que cela me parait tellement évident que je n’arrive pas à saisir comment on pourrait voir les choses autrement

  13. Patlotch
    12/02/2010 à 13:50 | #13

    (projet révolutionnaire / communisation non programmable)
    norman  » cela me parait tellement évident que je n’arrive pas à saisir comment on pourrait voir les choses autrement  »

    Tu as de la chance. Cela me parait si peu évident que je vois comment on peut voir les choses autrement. J’ai longtemps cru moi-même – je suis lent – que pour aller au communisme, il était nécessaire d’avoir une théorie, une pratique, des activités inscrites dans une stratégie. Que ce soit celle des étapes et transitions relevant du programmatisme, ou dans la visée communisatrice, du point de vue de la position des « révolutionnaires » dans la lutte de classe, de leur réponse à la question « Que faire ? », c’est assez peu différent. C’est la posture militante, objectiviste et subjectiviste, qui inscrit son activité dans un « projet révolutionnaire », et donc logiquement avec une « conduite de projet », comme disent les manageurs.

    Si c’était évident pourquoi l’Adresse de ‘Meeting’ prenait-elle le soin de l’écarter : « La communisation n’est pas un programme qu’il faudrait appliquer, ni même quelque chose que l’on pourrait d’ores et déjà définir comme un but à atteindre…» ? de même que les réponses de Dauvé & Nesic à la question 5] Que faire en période non-révolutionnaire ?

    Donc, c’est plus paradoxal qu’évident, la communisation ne peut pas être un « projet révolutionnaire » ACTUEL. Ce n’est pas programmable. Mais une fois le processus engagé, l’activité communisatrice s’inscrit dans un tel projet, qui devient une condition de son succès. Pas de révolution sans théorie.

    Les réponses à 5] sont autant de réponses à la question ‘Que ne pas faire en période non-révolutionnaire ?’

  14. Patlotch
    12/02/2010 à 14:04 | #14

    [6] Que faire en période révolutionnaire ?
    Quelles sont, au contraire, les tâches des communistes dans une période révolutionnaire ?

    Je partage grosso modo les réponses. J’ajouterai qu’il y aura tant de choses à faire et dans une telle diversité de capacités et de registres vitaux, face aux diverses formes de la contre-révolution et aux menaces du chaos, qu’il n’y a pas de souci à se faire. Il y aura de la place pour tout le monde. De chacun selon ses possibilités, à chacun selon son choix d’en être ou pas.

  15. Patlotch
    12/02/2010 à 14:26 | #15

    [8] Marx & Reich

    Les réponses dépassent le rapport Marx et Reich, en abordant toute la problématique psychologique de l’individu, être singulier, en rapport à son appartenance de classe, qui n’en est pas une somme arithmétique de conditions individuelles séparées. Distinction fondamentale entre l’aliénation chez le jeune Marx et ce qu’elle devient dans le Capital. Rien à ajouter d’original.

    Je vois effectivement, dans la communisation, ou du moins dans la crise de reproduction, un processus dans et par lequel chaque individu est de plus en plus confronté à son appartenance de classe, la sauver ou la quitter, la défendre ou l’abolir.

    On sera bien dans une praxis au sens des Thèses de Feuerbach, et comme disent les auteurs : « Les comportements et les psychologies changeront en changeant le monde.»

    Cela dit, l’expression « Individus immédiatement sociaux » m’apparaît aussi malheureuse, ou inadéquate, auto-contradictoire, que « Essence humaine comme ensemble de rapports sociaux », sauf à changer radicalement, la signification que l’on donne à « social », et de même à « Individus », puisque nous n’en avons d’idées que celles forgées par la société capitaliste, elles-mêmes sujettes à une évolution, à une décadence « surréaliste » accélérée dans l’agonie du système déterminant à son image les comportements individuels.

  16. Patlotch
    12/02/2010 à 14:49 | #16

    [9] Marx en son temps… et au nôtre
    Qu’y a-t-il encore de valable dans la théorie de Marx ? qu’est-ce qui y est obsolète et devrait être rejeté ?

    (J’ai sauté la question [7] Mais à quoi sert la théorie révolutionnaire ?, déjà évoquée plus haut. On n’a pas fini de s’interroger sur l’impact de la théorie d’ici à la communisation, mais tant qu’on s’interrogera en termes de rapport entre théorie et pratique, « ce sera le signe que l’enjeu de la révolution communiste n’est pas encore posé historiquement.»)

    Marx a été, et ne pouvait être, avec ce qu’il avait sous les yeux, qu’un théoricien du programmatisme ouvrier. Mais, d’une part en partant de ce qu’est le Capital en essence – radicalement à la racine -, d’autre part comme théoricien de la représentation (Isabelle Garo) définissant la praxis contre la philosophie séparée, il pose les bases d’une possibilité d’analyse et de théorisation dépassant celle qu’il pouvait élaborer en son temps. De ce double point de vue au moins, il peut encore servir.

    La théorie de la communisation se fait par conséquent avec et contre Marx, de la même façon que, n’étant pas « marxiste », il théorisait avec et contre ses positions antérieures.

    Dans la mesure où depuis plus de trente ans, les thèses communisatrices n’ont cessé d’évoluer en relation avec le cours quotidien de la lutte de classes, j’ai quelque difficulté à considérer que la révolution se poserait ni plus ni moins comme en 1848.

  17. Patlotch
    12/02/2010 à 15:34 | #17

    [10] Développer les forces productives ?

    Il devient de plus en plus clair, avec la crise et le « devenir-monde » menacé par le capital dans sa dimension productiviste aussi, que les réponses de Marx liées à la satisfaction de besoins (matériels), même posés dans leur évolution historique, sont, plus qu’insuffisantes, fausses (« De chacun selon ses possibilités, à chacun selon ses besoins »). Si je comprends bien, c’est ce que détaille TropLoin.

    Il fallait que le Capital en vienne à menacer, en subsomption réelle avancée, l’avenir même de la planète (au-delà de celui de l’humanité), pour qu’on puisse intégrer d’un point de vue communiste de nouvelles contradictions importantes qui rencontrent celle de l’exploitation, et la bousculent mais sans pouvoir la dépasser en tant qu’elle est essentielle (on l’a vu pour « l’abolition du genre »).

    C’est au point où ne suffisent plus, même sur le plan théorique, les réponses communisatrices en termes abstraits, conceptuels, voire structuralistes, et comme toutes rapportées pour ne pas dire rabattues de façon sans doute réductrice sur la question lancinante de Théorie communiste ( » Comment une classe, agissant strictement en tant que classe de ce mode de production, peut-elle l’abolir et abolir toutes les classes ? « ). Elle est devenue à la fois incontournable, plus pressante, plus prégnante, en « tension » dans les luttes actuelles, et insuffisante.

    Une question (théorique) bien posée est à moitié résolue (en théorie), mais l’humanité ne se pose (comme pratiques) que celles qu’elle peut résoudre (en pratique). On ne peut pas aller plus vite que la musique.

    Limites donc de la théorie, mais pas les mêmes qu’il y a quelques années : limites d’une manière de faire de la théorie, parce qu’émergence visible des limites de la luttes de classes dans sa dynamique qui pose la communisation comme question actuelle de luttes qui ne peuvent pas encore l’engager.

    On trouve, dans les réponses à la question 10, des échos à ce qu’écrit Bruno Astarian dans « La communisation comme sortie de crise » http://dndf.org/?p=6357, où il me semble poser sinon de nouvelles, du moins de manière plus précise, ce qui devrait ouvrir une nouvelle période de confrontation au sein du « courant communisateur ».

  18. Patlotch
    12/02/2010 à 16:09 | #18

    Quelques mots de conclusion à mes commentaires.

    // L’intérêt de ce questionnaire, c’est son caractère global.//

    C’est vrai, mais en même temps, l’ensemble des questions définit une posture théorique et le contenu des réponses s’en ressent.

    Elles sont davantage de nature à introduire la question de la communisation (genre « la communisation pour les nuls ») que d’entrer véritablement dans un débat théorique entre les tendances internes au « courant communisateur ». De ce fait, j’ai surestimé l’intérêt qu’elles pouvaient avoir pour une actualisation de ce débat, les désaccords apparaissant davantage entre d’autres textes de TropLoin et de Théorie communiste.

    Cela dit, à l’inverse, apparaissent aussi plus évidents les accords sur  » ce qui pour nous reste fondamental ». À cet égard, je considère que les polémiques internes au courant communisateur, pour autant qu’elles soient indispensables (Meeting : « La diversité et les oppositions internes, pour ne pas dire les conflits, au sein de ce courant communisateur sont définitoires de son existence et elles doivent être reconnues.»), ont pu masquer ce qui fait l’en-commun des positions communisatrices, aux yeux de qui les découvre et n’en est pas un spécialiste depuis des décennies. Et ça, ces blocages propres au « milieu » (comme à tout milieu), ce relatif enfermement de la problématique communisatrice, c’est dommageable à la diffusion d’une compréhension basique de ce dont il est question, et à l’élargissement de sa prise en charge par les luttes.

    C’est par conséquent un grand mérite de ce texte que de « reprendre » « ce qui [nous] est fondamental », où je veux entendre sans être naïf un « nous » plus large que les positions de TropLoin.

    Autrement dit, je vois cette double nécessité, 1 de poser les questions théoriques comme des questions pleinement théoriques avec le débat qu’elles entretiennent comme reflet (?) du cours des choses, et 2 de faire connaître les résultats, les acquis communs ou problématiques du courant communisateur d’une façon relativement « objective », ce qui est manifestement difficile à partir de chaque positionnement retranché.

    PSchtt : sauf erreur, symptomatique que ni le site de TropLoin ni celui de Meeting (et Théorie communiste) ne se référencient dans leurs liens, alors qu’y figurent, d’autres sites plus loin, et assez loin d’exprimer des positions communisatrices.

  19. Patlotch
    16/02/2010 à 23:54 | #19

    Je tiens d’un mien patron haut fonctionnaire l’expression « parler c’est le progrès », et cette considération, bousculant le discours de l’administration des choses (la gestion http://209.85.229.132/search?q=cache:0b4ilZDR7AgJ:travail-societe.cnam.fr/lipsor/dso/articles/fiche/vdegaulejacsocmaldelag.doc+%22morale+du+harc%C3%A9lement%22+management&cd=3&hl=fr&ct=clnk&gl=fr ) des choses (de Saint-Simon à Marx) : si ma grand-mère le comprend pas c’est mauvais

    J’ai constaté, qqs le domaine (politique, jazz, technologie du son, poésie, communisation…) que les spécialistes, les ‘ténors’, universitaires ou pas, répugnent à descendre dans l’arène du débat avec les zamateurs. Internet étant chargé de tous les péchés virtules, on ne s’y mouille pas. C’est une forme de trouille pas plus glorieuse que celle du vulgaire qui passe, dont je me revendique. Je ne serai jamais qu’un zamateur de communisation. Mais bon, c’est pas parce que le temps est long que la façon d’en parler peut se contenter du « vrai’ contact autour d’une bière et autres tartufferies de café du coin. C’est que la marque d’un manque à gagner de looser retranchés.

  20. A.D.
    19/02/2010 à 16:55 | #20

    salut,
    je ne comprends pas le dernier paragraphe…ou plutôt, me semble manquer à quoi cela réfère « descendre dans l’arène »… les ténors chantent entre eux ?
    sélavy

  21. Patlotch
    21/02/2010 à 20:12 | #21

    Troploin « Nous ne pouvons rien pour les déçus, les fatigués, les impatients ou les énervés de l’histoire. »

    Certe. Mais d’où que c’est qu’on peut dire ça? Se le permetre ? Sinon d’une posture théoricienne qui s’effondre de sa pertinence même, pour le plaisir d’en être sans en naître, to be or not to be…

    Je ne suis plus en phase – in my life – avec la distanciation de BL Bernard Lion, « on est tous schizophrènes, espoir et peur de la révolution, cest normal… » ça ressemble tant aux attendus ‘staliniens’ de leurs étapes que ça me fait littéralement chier, ce discours à l’écart du réel, du communisme comme mouvement sous réserve que l’on en soit partiquemen, et qu’à ça je préfère encore la racaille antisociale, qu’elle soit banleusarde, grecque, ou intello située.

    Un moment viendra où la théorie la plus adéquate soit-elle, devra s’embarquer, par ses célibataires-mêmes, ceux qui la conçoivent ou d’autres,

    That is désormais the question : franchir le pas suppose qu’on le fasse ou qu’on ferme sa gueule.

    PS on comprend mieux que la théorie, pour ceux qui jugent qu’il va falloir attendre, ne concerne que les théoriciens. C’est l’équivalent du discours de la qualité totale chez les manageurs de l’Etat et du capital. Ça marche pas ? la faiue aux autres, en bas…

    Beurk ce genre de « théorie »

  22. A.D.
    22/02/2010 à 16:53 | #22

    J’abonde.
    Je n’aimais pas cette phrase,de B.L. je n’aimais pas le texte « anti-rebelle » de Pépé, ni le sous-titre du blog…
    Pas en phase avec cette phrase car : quelle importance la psychologie des auteurs, lecteurs ? puis, le catastrophisme engendre la peur, l’impuissance, et cercle vicious, en fait l’effet est répulsif : ouhlala, vaudrait peut-être mieux, rester comme ça, si c’est le Grand Chaos, le Big Destroy… Je pense pareil à propos d’une intervention de R.S. sur meeting autour de Gaza sur l’emploi de la bombe atomique lors d’évènements « révolutionnaires ».
    Pour la sortie de Pépé, déjà ancienne et visible ici, j’ai horreur des railleries, de la caricature des motifs et des conduites, tout cela n’avait rien de théorique, je veux dire aucun contenu théorique, juste des règlements de compte…
    Troploin « Nous ne pouvons rien pour les déçus, les fatigués, les impatients ou les énervés de l’histoire.
    J’ai pensé comme Patlotch, d’où parlent-ils? et de qui ?
    Un brin de hauteur suffisante, heureusement qu’ils se décarcassent, faut attendre le coup de sifflet, ça y est gonzes et gonzesses, à nous de jouer…
    FIn de la théorie telle que nous l’avions connue
    Jouer un autre jeu.

  23. leniveleur
    22/02/2010 à 22:12 | #23

    ola, du calme et de la patience, je renvois à un message du Patlotch du 14 sept dernier ou, je cite:
    « parce que c’est comme ça, oui, la lutte de classe, c’est aussi le cours de la crise, de l’économie politique, qu’aucun volontarismesubjectiviste ne saurait accélérer et d’autant moins sur des bases théoriques qu’il va falloir considérer comme caduques »
    c’était plus long mais je n’est pas garder en mémoire le message, suis fainénat, je repate pas tout

    Amitiés à Pat et Denis

  24. A.D.
    22/02/2010 à 23:25 | #24

    volontarisme-subjectiviste ?
    versus théoricisme-objectivisme ?
    N’attendre pas de fin, parce qu’il n’y a pas de fin, lutte pour transformer la suite, tout de suite et sans fin.
    Le moment est opportun aux inopportuns, la lutte est le cours de la lutte, la lutte est en cours, dans la cour où l’on lutte honneur aux lutteurs, horreur des classes, des luttes de crasse,où l’on se ramasse, changer les règles, à tous : jouer notre jeu.
    On ne peut pas aller plus vite que la musique ?
    Nous sommes cette partition, nous le tempo, nous les instruments providentiels, nous sommes cette musik COUAC !

  25. A.D.
    25/02/2010 à 22:26 | #25

    [6] Que faire en période révolutionnaire ?
    Le point antérieur était « que faire en période contre-révolutionnaire ? », la

  26. A.D.
    25/02/2010 à 23:04 | #26

    [6] Que faire en période révolutionnaire ?
    Le point antérieur[5] était : « que faire en période non-révolutionnaire ? », la réponse : la non-révolution, comme tout le monde…vu les conditions objectivo-subjectives.
    Passons au point 6 : Réponse : la révolution, comme toussétoutes (tous est toutes), vu les conditions…
    Qui attend des théories ce qu’il faut ou faudra faire, maintenant ou jamais, qui attend de passer à l’action et à laquelle ? L’instance théorique est-il un Conseil, ce qu’il reste du Conseil dans la période présente ? Organisation conseilliste-conseillère auto-proclamée (Nous ne tenons notre mandat que de nous mêmes…K.Marx), attendant la suite (=théorie), en attendant la fin.
    A défaire, et refaire, on est pas à rien faire, eh! doucement les échauffés, les rageurs,  » les déçus, les fatigués, les impatients ou les énervés de l’histoire ».
    ça change des damnés de la terre…puis symétriquement définitoire : les satisfaits, les en pleine-forme, les patients, les cool de l’histoire se reconnaîtront, merci.

  27. Patlotch
    26/02/2010 à 01:20 | #27

    As’ qui paraît (un camarade me l’a fort wardé) circule, listé en zinterne, une texte au titre redoutable : POUR EN FINIR AVEC LA COMMUNISATION

    Je m’abstiendrai de toute critique ou commentaire tant qu’il ne sera pas rendu public.

    Comme je tiens les deux – l’auteur du texte et le forwardeur – pour des amis, par ailleurs non des moindres faisant vivre DNDF, je reprends ici, en substance, ce que j’ai répondu au second

    Franchement, j’en ai marre de ces textes qui « circulent » sur des listes internes, de textes « qui n’existent pas », de signataires qui se refusent à les publier là où il est possible d’en discuter, à savoir sur le site d’un de LEURS camarades, qu’ils sont bien contents de trouver au cas zoù, comme toi, et toi… et moi, pour assurer les basses oeuvres, autrement dit « la propa » au moment où ils en ont décidé [Untel ne va pas sur DNDF, Untel autre "n'a pas le temps d'aller sur DNDF" où se trouve son texte et d'éventuels commentaires..., il conviendrait donc de leur envoyer en privé... Ceux qui sont concernés, a priori au premier chef, leur faut un nègre pour les alimenter ? Elle va être super, la répartition des rôles, dans la communisation, étrangement similaire à ce qu'elle est dans les entreprises, admininistrations, milieux de la recherche, etc.]

    Vous rendez-vous compte qu’un texte essentiel au présent débat, « Le moment actuel », qui a quelque 10 mois, TC, qui en est à l’origine, n’en parle nulle part, officiellement, sur Internet ? J’ai pris la responsabilité de le rendre publique.

    J’en ai marre de ceux qui voudraient bien qu’on cause de leur texte à eux, à condition de pouvoir piquer dans les critiques de quoi l’améliorer pour qu’une fois mandé, il atteigne à la quasi-perfection, indestructible par les éléphants de la théorie ?

    Que tout ce beau petit monde prenne ses responsabilités, descende dans l’arène sans condescendance, et on pourra discuter sans avoir toujours le sentiment d’être attendu au coin de la rue.

    Vous rendez-vous compte que ça fonctionne authentiquement comme le PC des années de toujours ?

    De ces manigances le reste ? Littérature de secte !

    Pour ma part, je considère plus importante, y compris du point de vue théorique, ma poésie, que ma complaisance, qui a assez duré, envers ces pratiques théoriques désuettes selon leurs critères mêmes

  28. a.
    27/02/2010 à 23:39 | #28

    ça fait bien longtemps que tout ce petit milieu est un ramassis de stals mal baisés… y a qu’à se pointer dans une « réu » à la parisienne… n’est-ce pas ?
    les rackettistes et leur fonctionnement racket c’est la première force contre révolutionnaire. Les flics de « l’intérieur ».
    Mieux vaut s’en rendre compte maintenant que trop tard…

  29. BL
    01/03/2010 à 18:13 | #29

    Patlotch nous dit:

    « Je ne suis plus en phase – in my life – avec la distanciation de BL Bernard Lion, « on est tous schizophrènes, espoir et peur de la révolution, cest normal… » ça ressemble tant aux attendus ’staliniens’ de leurs étapes que ça me fait littéralement chier, ce discours à l’écart du réel, du communisme comme mouvement sous réserve que l’on en soit partiquemen, et qu’à ça je préfère encore la racaille antisociale, qu’elle soit banleusarde, grecque, ou intello située. »

     » à l’écart du réel » Mon discours serait distancié, à l’écart du réel, alors que je n’ai dit qu’une chose : A la fois on espère la révo et on ne peut vivre que comme si le capital est éternel .

    Cette schizophrénie ne peut être que le fait des quelques fondus qui parlent du communisme comme d’une réalité réellement à venir, pour tous les autres, c’est à dire pour tout le monde, ce monde est éternel et je suis ( aussi et c’est heureux) comme tout le monde. On peut « préférer » la racaille antisociale mais de toute façon on y est ou pas c’est tout.

  30. A.D.
    02/03/2010 à 16:08 | #30

    ATTITUDE D’ALTITUDE

    Embarquement immédiat, bienvenu à bord : l’équipage est honoré de votre fidélité, le steeward et les hôtesses vont vous transmettre les consignes de sécurité, veuillez attacher vos ceintures… attention au décollage, et bon voyage.
    Trop loin…et pas rendus de si tôt, nous disent les personnels théoriciens, les hôtes et leurs hôtesses, c’est bien pourquoi ils errent en pyjamas, pantoufles et peignoirs, y’a pas le feu, qu’est-ce qu’on y peut ?
    Le cours des luttes, celui de la contradiction primordiale, ici cochez la contradiction première et la mère de toutes les contradictions et des dépassements à venir, selon le plus strict hégélianisme qui puisse être : l’exploitation comme rapport de classe antagonique et contradictoire, ou bien la valeur et son devenir dévalorisé, ou bien encore l’humain irréductible à l’économie marchande, et à ce titre irréductiblement humain.
    Plus rien à dire, sauf à prédire, on décolle.
    Allons-y sur place, attendons notre tour, et s’il vient cela sera notre tour, c’est prévu, sinon, c’est qu’on ne peut pas tout prévoir, cela serait être infalsifiable épistème quand tu ne tiens plus rien…On vous tiendra au courant.

  31. Patlotch
    03/03/2010 à 14:10 | #31

    BL « Cette schizophrénie ne peut être que le fait des quelques fondus qui parlent du communisme comme d’une réalité réellement à venir, pour tous les autres, c’est à dire pour tout le monde, ce monde est éternel et je suis ( aussi et c’est heureux) comme tout le monde. On peut « préférer » la racaille antisociale mais de toute façon on y est ou pas c’est tout.»

    Si tout le monde n’y est pas, on y va de plus en plus. Je pense que cette schizophrénie est plus générale, même si elle n’est pas dans une tension révolutionnaire pour tout le monde. Elle atteint tous ceux qui espèrent une issue à leur vie de merde, et qui se cognent à son impossibilité actuelle, que cela se traduise dans les luttes (suicidaires, etc), ou dans le simple rapport au travail… Sous toutes formes de repli, de fuite, de désertion, il y a tendance à un retrait antisocial, asocial, voire antisociétal. Je suis (aussi et c’est malheureux) comme tout le monde.

    Si la formule m’a séduit au départ (« À la fois on espère la révo et on ne peut vivre que comme si le capital est éternel »), s’y enfermer est le pendant d’une façon de faire de la théorie comme si elle ne pouvait produire des effets que dans les luttes ou les milieux radicaux qui expriment les limites. Je crois que c’est un problème majeur des milieux communisateurs, que de continuer à penser la théorie comme avant. Au fond, là est le blocage actuel. Et un déficit consternant de diffusion, de propagande.

    On comprend dès lors que certains veuillent en sortir, considérant que, « la communisation n’existant pas », il n’y a que des « mesures communisatrices ». Et ce qui était sorti par la porte revient par la fenêtre : pourquoi pas tenter de prendre des mesures, « amorcer », jusqu’au jour où ça marchera…

  32. A.D.
    03/03/2010 à 16:00 | #32

    « Avant 1871, les grèves, les publications socialistes et anarchistes, et les activités de l’Internationale ont préparé le surgissement de la Commune, mais cela relevait plus de la propagande et de l’agitation (au meilleur sens du mot) que de « l’activité théorique » »…

    « Sur un lieu de travail, atelier, bureau ou école (et les possibilités de critique radicale ne sont pas les mêmes dans ces trois lieux), le « révolutionnaire », en période de paix sociale, n’est guère en position très différente des autres salariés. Il n’essaye pas d’ « élever » le niveau. Il n’apporte pas à ceux qui luttent le sens de leur lutte. Il participe aux luttes quand il y en a. »

    Sur les lieux de travail concrètement : attendre les décisions des syndicats, et si non, eh!bien tant pis…
    Mais la terre est basse, et le travail se fait rare et bon marché, ceux et celles de la base et de la débrouille, qui ne peuvent ni en veulent, et il y en a, depuis les années après-soixante-huit, ils et elles s’en contrefoutent des ateliers, des bureaux et des écoles, ni d’élever le niveau, ni d’attendre (encore et encore…) pour y participer, faut bien vivre quoi, et faire des copains, des copines…c’est toujours ça, en attendant jusqu’au jour où ça marchera…pour cause de grande crise générale : à vos ordres ?

  33. A.D.
    03/03/2010 à 18:00 | #33

    Madame et Monsieur TOUTLEMONDE,

    Heureux d’en être, malheureusement : qui êtes-vous donc monsieur et madame TOUTLEMONDE ?
    Pensez-vous que ce « monde est éternel », ou faites-vous semblant ?
    Un sondage ou une étude plus poussée nous l’apprendront peut-être, avec une certaine marge d’erreur, l’erreur est humaine…Pour le moment risquons cette ébauche empirique : TOUTLEMONDE s’en tape de l’éternité, et pourquoi pas ?
    Qui n’a entendu les politiciens clamer : nous sommes comme TOUTLEMONDE, les stars aussi, les sans-emplois, les immigrés de la trente-troisième génération, les femmes, les homos, les hommes en armes, mais des filles aussi…
    Etre ou faire, au fait ? Faire de la théorie comme TOUTLEMONDE ? Théoriquement,les luttes ne sont-elles pas théoriciennes ? Elles font de la théorie et sont ou ne sont pas comme TOUTLEMONDE ?
    Salut

  34. BL
    03/03/2010 à 19:13 | #34

    A Patlotch

    « On comprend dès lors que certains veuillent en sortir, considérant que, « la communisation n’existant pas », il n’y a que des « mesures communisatrices ». Et ce qui était sorti par la porte revient par la fenêtre : pourquoi pas tenter de prendre des mesures, « amorcer », jusqu’au jour où ça marchera… »

    Tout simplement on peut pas tenter de prendre des mesures , on ne peut décider contre tout évidence que tel mouvement est début de communisation.

    Evidemment une fois ce sera vrai est ça se saura sans que personne ne le décide.

    « Au fond, là est le blocage actuel. Et un déficit consternant de diffusion, de propagande »

    Je suis assez d’accord mais ce forum ne fait rien pour m’encourager et ce n’est pas une modération plus sévére qui y pourra quelquechose seule les luttes proches le peuvent comme ce fût le cas avec la Grèce

  35. Patlotch
    04/03/2010 à 11:17 | #35

    Si DNDF n’est pas un site explicitement dédié à la communisation (comme était celui de Meeting), il a le mérite d’être le seul lieu sur Internet où l’on peut librement parler de communisation, et tenter de faire le lien entre la théorie et les luttes partout dans le monde, grâce au forum. C’est un exercice très instructif.

    Peut-être qu’il manque un espace d’expression et de discussion plus spécifique au « courant communisateur », mais je ne pense pas qu’on puisse créer à un niveau international ce qui n’existe pas chez soi.

    Le problème n’est peut-être pas de s’adresser à des milieux radicaux privilégiés, pour critiquer parallèlement leur activité. S’il n’y a pas d’ »aire de la communisation », il ne faut pas faire comme s’il y en avait une.

    Je considère qu’un enjeu actuel de la théorie est de prendre une ou des formes à même d’être fécondées et utilisées par d’autres que les théoriciens, sans que ce soit nécessairement leur responsabilité de le faire.

    Le primordial n’est peut-être pas tant de faire ressortir la dynamique présente à travers quelques rares conflits « proches », mais l’analyse du capital tel qu’il est confronté à sa reproduction. Je pense que c’est sur cette base-là que l’idée d’une issue communisatrice peut être saisie, dans le lien entre luttes et crise de l’économie.

  36. pepe
    04/03/2010 à 18:55 | #36

    P et BL. Je ne comprends pas bien l’idée que ce qu’on trouverait sur DNDF serait ou pas intéressant dans nos débats divers. Ces forums existent, ils sont d’une tenue fort honorable (je trouve par exemple très intéressant les developpements derniers de ton débat avec AD autour de la révolte des prolétaires avant (ou qui cause) la crise économique!!! et ta mise au point d’aujourd’hui). Ils sont lus, c’est ce qui explique la forte « performance » des deux articles les plus lus en un mois. Le fait que peu de monde y participe n’enlève rien à l’intérêt du contenu, tant qu’on ne s’y laisse pas aller à l’invective et à l’anathème post situ de plus en plus imbuvable. Et, comme tu le dis, P, c’est un peu le seul site ou sont étalés de tels débats théoriques, à ma connaissance! Je conçois en revanche très bien que des gens répugnent à « mettre les mains » dans un niveau théorique trop « vulgarisé », trop au coup par coup et sans le recul de la théorie lourde. De toute façon c’est comme ça, existe ce qui doit et peut.

    Au passage, je rejoins BL dans sa réponse à ta critique de sa sortie sur « la schizophrénie consciente » et je trouve un peu court que tu renvoie à cette position la résurgence des « mesures communisatrices », la communisatuion pure et dure ne venant pas. Moi j’y vois une lucidité pas vraiment gaie sur une situation qui se refuse à tout volontarisme stérile mais qui tient si chaud! ( Les immédiatistes sont toujours un peu des rebelles….)

  37. Patlotch
    04/03/2010 à 19:56 | #37

    Dont acte pour « l’invective et à l’anathème post situ de plus en plus imbuvable »

    Ma réaction du 26 février a deux aspects :

    1) Elle est partie d’un quiproquo et d’une erreur sur l’auteur du texte « Pour en finir avec la communisation », qu’on m’a transmis en l’attribuant à AD. Si j’avais su d’où il provenait, je n’aurais pas réagi.

    2) Je me tiens à l’écart des listes de discussion, pour des raisons qu’on devine, et parce que je préfère réagir à partir de ce qui est public, que ce soit des événements ou des textes. Même si je n’y participe pas, je tiens bien sûr les discussions internes pour indispensables, mais il faut s’interroger sur ce qui sort. D’une part, on ne sait plus quel est le statut, public ou interne, de certains textes pourtant jalons dans la période écoulée. D’autre part, on semble négliger leur portée à connaissance au-delà de milieux qu’on identifie etc… Je m’interroge dans ces conditions sur la possibilité de sortir de ce confinement auto-référentiel, et j’en viens à penser qu’il y va, maintenant, du rôle de la théorie et de la manière d’en faire. Suis-je le seul ?

    Peut-être est-ce dans la logique d’une théorie qui ne peut rien dire sans tout dire, et qu’on ne peut comprendre qu’en en comprenant tout. Peut-être que ce n’est pas un problème seulement pour les discussions, mais aussi pour les luttes quand la question s’y pose.

    Toujours est-il que je ne reproche pas à ceux qui s’expriment avec le souci de la rigueur propre à « la théorie lourde » de ne pas participer à ces échanges « au coup par coup ». C’est comme ça. Chacun son truc. Le déficit est plus grand de commentaires sur les événements dont témoigne DNDF. Perso je fais un exercice de reformulation en prenant quelques risques tant avec la théorie qu’en avançant des (pro)positions on ne peut plus mouvantes. J’aime bien la dynamique des forums. Je ne vois d’ailleurs pas pourquoi il serait plus difficile de parler dans un forum que dans un café, sauf si c’est un café théorique (Ah ! fermer internet et ouvrir un bar, une mesure communisatrice, une mesure de vodka-calva…).

    Je n’aurais pas dû ajouter cette remarque à la suite de l’échange avec BL. Je n’assimile pas sa position à celle du texte « En finir avec la communisation ». J’ai réagi ailleurs à ce texte en persistant avec l’erreur quant à son origine, et donc sans exprimer l’idée, pourtant évidente, que remplacer le concept de communisation par les « mesures communisatrices » n’était pas anodin. C’est aussi moins surprenant dans le relatif silence public de la théorie et des débats « publics » depuis la fin de Meeting.

    Puisque tu as rappelé en marge la phrase de BL, « il faut avoir le courage ou l’exhibitionnisme d’une certaine honnêteté : Nous vivons en schizophrènes conscients; à la fois nous espérons ardemment l’éclatement révolutionnaire et à la fois nous le redoutons (si toutefois on a la moindre conscience du chaos catastrophique que ce sera) et nous vivons tous (oui tous ! sans aucune exception, j’insiste) comme si cela ne devait jamais avoir lieu, on ne peut pas faire autrement et c’est normal. »

    Je partage le début mais je trouve aujourd’hui la chute discutable, surtout venant de quelqu’un qui a consacré des années de sa vie à la théorie révolutionnaire. Sans rien faire d’extraordinaire, sans être immédiatiste, je ne crois pas (pouvoir)vivre « comme si cela ne devait jamais arriver ». Ça doit être pour ça que je me sens de plus en plus anormal.

  38. pepe
    04/03/2010 à 20:01 | #38

    au passage, je ne pensais pas du tout à toi en parlant de « l’invective et à l’anathème post situ de plus en plus imbuvable ». Je pensais, entre autre, au ton insupportable de la polémique de Bertho avec les téléologistes….

  39. A.D.
    04/03/2010 à 20:04 | #39

    « une situation qui se refuse à tout volontarisme stérile mais qui tient si chaud! ( Les immédiatistes sont toujours… »
    « De toute façon c’est comme ça, existe ce qui doit et peut. »

    Quand du stérile hiver a resplendit l’ennui… S.Mallarmé.

    Lucidité objectiviste-attentiste contre immédiatisme-rebelle irrémédiablement stérile :
    Vous connaissez peut-être cette plaisanterie : les anarchistes (irréductiblement immédiatistes-rebelles) consultent un réveil qui fait tic tac, il fonctionne, mais ne marque pas la bonne heure, et ne sonne pas, par conséquent au moment opportun, c’est pourquoi les anarchistes en entendant la sonnerie se précipitent depuis des décades pour tout révolutionner, et peut-être qu’un jour l’heure vraie et celle du réveil coïncideront. Oui, mais…
    D’autres munis d’un arsenal beaucoup plus lourd, plus précis et plus efficace, s’efforcent de le rendre encore plus précis, tellement qu’il sonnera à l’heure pile pour indiquer à la face du monde ce que le monde entend déjà par volée de cloches et vrombissements de sirènes.
    Le réveil volontariste-immédiatiste-rebelle, ou le réveil objectiviste-théoriciste-attentiste?
    Question de tempérament, de vocation, de goût…tout le monde n’a pas la possibilité de communier dans la « théorie lourde » et d’en faire un but en soi, ce que je peux comprendre, comme je peux comprendre d’en faire un but en soi.

  40. A.D.
    04/03/2010 à 23:03 | #40

    Salut,
    Ces injures et cie se comprenaient dans le passé, dans un contexte de concurrence pour la direction des affaires, ou pour empêcher d’autres courants d’y accéder ou de s’y maintenir, actuellement plus rien de tel, et c’est aussi la même raison qui a supprimé l’utilité et la possibilité d’une critique théoricienne, c’est à dire d’une affirmation positive d’une position juste. C’est aussi pourquoi il est devenu impossible d’avancer au-delà théoriquement, cela n’a plus de sens, ou ne fait plus de sens dans la mesure où cela est totalement coupé de toute possibilité d’inflexion, cette impossibilité est devenue sa définition.
    Attendre et voir, ou che sara, sara, »De toute façon c’est comme ça, existe ce qui doit et peut. « . Et la montagne conceptuelle accouchant de litotes.

  41. Patlotch
    05/03/2010 à 02:08 | #41

    Je partage assez bien, ma foi, n’étant pas coutûme, le dernier cri du choeur AD.iste.

    Franchir le pas, out the « récit » (critique qui sent au demeurant son post-modernisme sur le tard), c’est aussi ‘franchir le pas suspendu’ de la praxis. Que cela s’exprime comme « la communisation n’existe pas », le côté un tantinet décalé de la posture TropLoin (« nous ne pouvons rien pour… »), le flop européen où les Français attendent les Grecs, ensemble les Anglais et les Suédois revendiquant leur suédosité – et tous en choeur : à nous les p’tites ? – , toussétoutes communisateurs avant là l’être, sans parler de mes coup de gueules dans le landerneau…

    Nous voilà au pied des murmures, et des lamentations.

    AD Et la montagne conceptuelle accouchant de litotes

    Comme on fait lit tot ou tard on se couche

  42. A.D.
    05/03/2010 à 14:47 | #42

    Le vierge, le vivace et le bel aujourd’hui
    Va-t-il nous déchirer avec un coup d’aile ivre
    Ce lac dur oublié que hante sous le givre
    Le transparent glacier des vols qui n’ont pas fui !

    Un cygne d’autrefois se souvient que c’est lui
    Magnifique mais qui sans espoir se délivre
    Pour n’avoir pas chanté la région où vivre
    Quand du stérile hiver a resplendi l’ennui.

    Tout son col secouera cette blanche agonie
    Par l’espace infligée à l’oiseau qui le nie,
    Mais non l’horreur du sol où le plumage est pris.

    Fantôme qu’à ce lieu son pur éclat assigne,
    Il s’immobilise au songe froid de mépris
    Que vêt parmi l’exil inutile le Cygne.

    Le vierge,le vivace et le bel aujourd’hui : Stéphane Mallarmé.
    A Patlotch,

  43. BL
    05/03/2010 à 18:24 | #43

    Cette « discussion » tourne finalement autour de la fausse question du « que faire » et sans le dire d’un rôle de la théorie, conception inséparable du programmatisme

    La théorie « lourde » ( au sens de restreinte) est en train de se rapprocher du caractère théoricien des luttes, même si ça ne voit pas encore je pense que ça ne aurait tarder beaucoup. La communisation va devenir au moins le terme qui va être utilisé dans les luttes de classe aussi bien pour désigner leur mode d’organisation ( « communiser » nos forces, être une communauté de prolétaires en lutte contre le capital qui nous contraint à être prolétaires inexploitables) que leur objectif: faire de la sociètè un communauté d’ndividus « solidaires » ( terme qui désigne maintenant tout ce qui n’est pas directement valorisable). Ce terme de communisation pourra désigner ce que j’appelle socialisation tout simplement parce que maintenant socialiste est le nom du parti qui attaque ouvertement le prolétariat en Grèce, ce terme ne fera donc pas en lui même rupture mais montrera qu’il faut passer à autre chose.

    Dans cette optique il faut sans doute une certaine « propagande » autour du concept.C’est pour ça que je pense qu’un espéce de « manifeste de la communisatiion » pourrait être d’actualité.

  44. jul
    05/03/2010 à 22:56 | #44

    Soit dit en passant,
    je ne connais l’idée de communisation que depuis cet été, suite à de trop nombreuses questions à propos de l’anarchisme, mouvement dans lequel j’ai milité depuis 1996 et à une (re)découverte des textes de Marx et de la révolution allemande.
    DNDF participe à mon éducation (ouh le gros mot !) au même titre que les restes de Meeting, TC, Patlotch.free.fr, Senonevero même si ce dernier est le plus efficace en ce qui me concerne.
    Je ne suis pas un théoricien, je ne sais que faire ou du moins je ne sais plus, j’essaie seulement de comprendre le monde, la théorie communiste et transmettre ça à mes compagnes et compagnons anarchistes, du moins ceux et celles qui se revendiquent encore de la révolution, pas si nombreux-ses lorsqu’on pose les questions qui dérangent. Je suis de ceux dont RS disait qu’ils peuvent vous rejoindre dans « le démocratisme radical » mais il me manque peut-être comme le dit BL « une espèce de manifeste de la communisation » ou du moins un abrégé de la pensée de la rupture dans la révolution et de ses implications aujourd’hui.
    Donc pour conclure, -oui vos débats sont lus et participent à…
    -comment participer à une discussion sur la « propagande » ? Pour ma part, il s’agit d’être compréhensible et d’expliquer, par exemple, pourquoi il n’y a plus d’identité ouvrière, sans pour cela renvoyer sur un TC de 197? qui n’est pas disponible sur le net.
    bon j’arrête pour cette fois, mais mon questionnement sur l’identité ouvrière tient, ainsi que sur le cycle de lutte (patlotch, tes liens sont morts)

  45. Patlotch
    06/03/2010 à 00:38 | #45

    Merci Jul. Ton intervention est un encouragement. Oui faut que je répare mon site des liens morts, ouf savoir lesquels, s’ils existent encore, prendre le temps…

    Pour AD / Je ne pense pas que Mallarmé puisse nous aider à communiser plus que la chanson du renard et du loup, lui c’était la queue pas les ailes, dans la Glasnost. L’image est fausse, tu le sais, et je la trouve même assez dégueulasse concernant ceux qu’elle vise. STP ne mélangeons pas les genres, je te le demande, prétention, en tant que poète. Je ne supporterais pas la moindre complaisance sur ce registre mélangeant les genres. Merci d’éviter ces écarts ici. Ou alors dans « la poésie et la violence des mots », où Mallarmé a sa place, plus « révolutionnaire’ qu’on ne l’a lu.

    Pour BL / La théorie lourde ne devrait pas se prendre à la légère, où elle devient plus mauvaise qu’elle n’est, avec ses raccourcis tranchant ‘que faire’. T’as pas envie de causer là, d’accord, mais ta remarque, franchement, est décevante et pitoyable. Vous avez trop l’habitude de vous débarrasser des gens et des choses d’un revers de ‘blindés’. Pour moi, ça vaut pas mieux que les anathèmes de « Débat sur la totalité ». C’est une posture chez vous pas moins que chez eux, les insultes en moins. Une forme de mépris poli m’a toujours été plus insupportable qu’une insulte bien sentie. J’ai l’habitude et l’expérience de tous pouvoirs. Je connais par coeur Gracian et Debord, donc pas besoin de nous la jouer : vous en êtes, cagneux, les dignes héritiers, pas moins que les autres sur la forme, plus philosophes pré-marxiens que soucieux de praxis. Ce qui vous fait intéressants, c’est la théorie lourde, mais elle reste une philosophie, et ça vous emmerede tant que vous essayez encore d’en sortir sur le terrain de la philosophie, dissertant sur la praxis depuis la XIème thèse ad Feuerbach. Assumez-là, votre philosophie renommée à bon compte « théorie », comme d’autres ont adopté « critique », « critique de la critique », etc ( sic caricature ‘Temps critiques’, critique de beaufs ploucs post-post-post….).

    Osez la confrontez partout, votre philosophie : elle est meilleure que toutes les autres, sur ce terrain bien entendu, ‘théorie lourde ». Autrement qu’en jargon : chiche ! au lieu de vous planquer derrière des arguties sur « que faire ? ». On peut se planquer d’Internet comme des luttes théoriciennes, that is now, here, the question.

    Ta Solidarnotch est une chute pessimissiste lamentable pour la réception du concept de communisation, et l’on se passera dorénavant de tes précieuses ridicules préviseurivisions, qui sont plus lourdes que la plus lourde des théories, et trop légères pour qu’aucune lutte ne s’en préoccupe.

    Je comprends dès lors que tu ne te poses pas la question « que faire?  » et je me fous de ce que nous en faisons fais toi et moi individuellement. On le sait, rien, comme Dauvé et Cie, qui ont, comme toi, le mauvais goût de lus en plus cynique et d’époque, de le justifier depuis leur posture théorique. Lourde. Vous êtes devenus lourds. Comme on prend du ventre, avec l’âge.

    Ce style appartient au passé, le mien peut-être aussi, mais ça signifie plutôt qu’il est temps de passer le relai, le témoin, plutôt que la ramener en « vieux con » qui radote les postures dont il s’est construit depuis trois ou quatre décennies, . Ça vaut pour toi, pour moi, Dauvé&Cie. Convenons-en. Une pensée dialectique des plus fécondes qui accouche de résultats aussi mécanistiches et manichéens, partisans, et sectataires, excuse-moi, vous avez un réel problème, à TC. Un problème, c’est vrai, qui n’a jamais été, dommage, mais qui n’est plus, tant pis, le problème de personne, sauf vous.

    Quant à la communisation reprise (ou, quand, comment, par qui, dans quelle langue et quelles luttes ?), comme ‘socialisation’, excuse-moi, mais je préfère me pose la question « que faire ? », qu’avoir passer trente ou quarante de ma vie pour que la montagne de la lutte des classes se ronge d’une telle souris.

  46. Patlotch
    06/03/2010 à 00:54 | #46

    BL

    Je partage ton idée d’une sorte de « Manifeste de la communisation ». Ya de quoi communiQUer, entre théorie lourde et clientèle prolétarienne. Autrement dit, ya de quoi plus Que faire. Arrête de te mordre là que…

  47. A.D.
    06/03/2010 à 13:54 | #47

    « Pour AD / Je ne pense pas que Mallarmé puisse nous aider à communiser… » P.

    C’était juste parce qu’on en avait parlé de Stéphane Arsenal…faudrait pas sur-sur-sur…etc interpréter, pareil pour Rimbaud. Un intermède, sans plus…
    salut toussétoutes

  48. leniveleur
    06/03/2010 à 13:57 | #48

    pour JUl, articles sur l’identité ouvrière, si cela peut aider
    AmitiésCLN

    Communisation – Wikipédia
    Il n’existe plus d’identité ouvrière propre face au capital et confirmée par lui. … Il n’y a pas d’étape entre la révolution et le communisme : ni …
    fr.wikipedia.org/wiki/Communisation – En cache – Pages similaires

    L’intervention et le courant communisateur – Revue Internationale …
    18 juin 2008 … Il n’existe plus d’identité ouvrière propre face au capital et confirmée … Il n’y a pas d’étape entre la révolution et le communisme : ni …
    meeting.communisation.net/…/l-intervention-et-le-courant – En cache
    Insurrection ?… oui, mais…électorale ! – Revue Internationale …
    4 févr. 2007 … Revue Internationale pour la Communisation … de reconnaître dans le vote Le Pen sa propre perte d’identité ouvrière, … À chaque échéance électorale, il est d’usage que la plupart des libertaires mènent une … Pourquoi ? D’abord, parce que José Bové est tout sauf un produit politique stéréotypé. …
    meeting.communisation.net/…/insurrection-oui-mais-electorale – En cache

  49. A.D.
    12/03/2010 à 16:08 | #49

    « Cette « discussion » tourne finalement autour de la fausse question du « que faire » et sans le dire d’un rôle de la théorie, conception inséparable du programmatisme » B.L.

    A ce moment-là, comme le remarque Patlotch, la philosophie a subsumé la « théorie ».
    C’est à la question philosophique « que faire » à laquelle répond le philosophe par sa pratique.
    La philosophie théorique, critique à titre classiste ou à tout autre, a occupé la place laissée vacante de la conscience, âme du mouvement ouvrier, le corps démembré, fractionné de la classe n’a pas de conscience de classe, l’appartenance est le fractionnement.
    Si la question de la place de la théorie ou philosophie communiste se pose comme question programmatique, c’est, peut-être que cette dans cette pratique de la philosophie théorique existent ou se condensent les présupposés propres au programme ouvrier. Ainsi à la théorie correcte, la bonne, répond le vrai rapport de classe, le prolétariat universel, ou l’humanité inaliénable (TC/TropLoin). Unicité, avant tout. Pourquoi ? C’est que les oppositions, les divergences aussi grossières ou fines soient-elles sont l’occasion et la condition d’affirmation de la philosophie critique et théorique. L’affirmation de l’unicité de la philosophie critique et théorique est l’affirmation fondamentale du mouvement ouvrier -programmatisme- car l’unité de la classe est équivalent à l’affirmation de la classe.
    La classe est une et fractionnée, ce mouvement a atteint l’activité de production des théories et des philosophies critiques : dans cette dynamique la production théorique et philosophique est subordonnée aux luttes et aux enjeux en cours.
    Les fractions de classe en lutte s’opposent, pour part consciemment pour d’autres par circonstance, à la fois à l’exploitation individuelle et collective ET à la fraction majoritaire de la classe qui s’accommode souvent d’un rétablissement (la défense) de la situation (la reprise, la croissance, les emplois). La fraction majoritaire est elle même segmentée, mais il clair qu’elle fera tout pour conserver sa position, quoiqu’il advienne, car c’est cette fraction qui aujourd’hui représente et n’existe qu’à travers l’affirmation du travail dans sa subordination, dans son implication capitaliste.

  50. Patlotch
    13/03/2010 à 13:48 | #50

    La question du « Que faire ? » peut s’entendre sous deux angles.

    La première, c’est celle qu’interrogeait Meeting, celle de Lénine et de tous ceux qui ont pensé la théorie comme stratégie pour l’action. Je pense sincèrement que TC, comme TropLoin, sont sortis de ce rapport et que par conséquent, on ne peut considérer avec AD que « La philosophie théorique, critique à titre classiste ou à tout autre, a occupé la place laissée vacante de la conscience, âme du mouvement ouvrier ».

    La seconde rejoint la question à laquelle répond TropLoin « Que faire en période non révolutionnaire ? », question supposée posée aux « communistes », mais à laquelle ils répondent en théoriciens (communistes). Ce glissement, en retour, connote le sens de leur « Que faire ? ». Si la réponse de TropLoin n’est pas léniniste, elle voue la théorie à ne rien pouvoir, ni vouloir faire.

    TC n’en est plus là, sinon, il n’aurait pas pris l’initiative de Meeting, ni d’autres pour trouver la passe, entre « théorie lourde » et luttes réelles. TC ne se pose pas en théoriciens voulant donner une stratégie aux lutteurs, et même, au contraire, signifie qu’il ne faut pas l’utiliser en ce sens. Mais TC se pose, évidemment, la question « Que faire ? » concernant TC d’abord, et plus largement, le « courant communisateur » (ceux que TropLoin appellent les communistes) : quelle théorie et comment, dans « le moment actuel » ?

    Pour l’heure, les théoriciens de TC sont les seuls qui, à ma connaissance, partant des luttes comme théoriciennes, tentent d’interpréter un retour de signification des luttes vers la théorie. De ce point de vue, ils sont les seuls à pratiquer une théorie vivante, cherchant ses prises, sa cohérence interne et externe. La limite de l’exercice, c’est que les luttes réelles ne se sont pas approprié les thèses communisatrices au point de participer à ce retour de signification vers la théorie. Les théoriciens sont seuls,mais se posent la question, si « une page est tournée » dans et par « le moment actuel », on ne peut plus faire de la théorie comme avant.

    BL mélange les deux aspects de la question, en assimilant le « Que faire » stratégique au « Que/comment faire » de la théorie. À preuve, l’activité de TC et sa suggestion « Dans cette optique, il faut sans doute une certaine « propagande » autour du concept. C’est pour ça que je pense qu’un espèce de « manifeste de la communisation » pourrait être d’actualité. » Donc BL répond bel et bien à une question « Que faire ? ». Il y a un peu d’auto-organisation dans le courant communisateur… Un peu de schizophrénie aussi.

    Le problème est ce qu’il entend par « Dans cette optique ». En substance, c’est pour lui à partir des « luttes proches qui seules peuvent, comme ce fut le cas avec la Grèce » indiquer, in fine, une cible, un sujet sensible à la propagande et à la diffusion de la « théorie lourde ». Et là, effectivement, il me semble que BL lui-même retombe dans ce qu’il critique, à savoir « un rôle de la théorie inséparable du programmatisme ». Peut-être, après tout, qu’AD met le doigt sur quelque chose…

    Quoi qu’il en soit, le déficit de lisibilité de la théorie communiste est d’abord un problème de la théorie communiste, et c’est en ce sens que j’ai apprécié plus haut la formulation basique de TropLoin.

  51. A.D.
    17/03/2010 à 16:47 | #51

    « In USA where a historical low record of workers’ demanding struggles has appeared, thousands of homeless and unemployed people occupy… » (Victor Serge, Agents of Chaos : A Communique circulatede in Athens and Thesaloniki : 11.03. 2010).

    D’une fraction l’autre.

    Fraction grecque (bille en tête), fraction allemande (Bild dans le cabochon)
    Fraction ouvrière, perte de salaire, sinon…pas de salaire. Les syndicats arrangent ça, Opel, Ford, métallurgie, etc… Fraction grecque enragée, majorité apeurée s’accrochant à ce qu’elle a, ce qu’elle est.
    Le pire ennemi de la fraction en lutte c’est le prolétariat lui-même.
    Dans la société-capital la classe s’affirme dans sa soumission réelle( ou subsomption), après l’autonomie, l’anomie. Cette majorité toujours silencieuse, hors sondages, hors votes, luttera jusqu’au bout d’elle même pour conserver un peu de sa place, dans l’espoir d’une reprise économique, d’un loto, ou d’un gravissement des échelons : un seul espoir, faire le patron.
    Mais revenons à cela : la théorie, non pas actuelle, la théorie du passé récent révolu.
    Celle qui jauge et enregistre les bavardages des luttes, mais attention au paradigme de l’Emeute à Fontvert. On se renseignera, on ne saignera pas, on n’apportera pas la bonne parole que diable non, on réfléchira à sa signification dans le cycle de luttes actuel, c’est plus sérieux, et plus utile, indispensable vraiment. Le temps venu, il NE peut que venir, c’est le sens de ce que vous voulez, quand les luttes toucheront le secteur particulier, là : pas pareil, mais sans plus, on est comme tout le monde : que dit le délégué, la préposée du syndicat ? Faudrait voir de pas s’imposer, pas d’activisme les gonzes, on nous confondrait avec des léninistes, on nous confondrait avec des enragés, avec des Grecs…
    Tout cela est terminus, tout ce qui pouvait SERVIR dans la théorie passée, il n’y aura pas de théorie de la révolution, a servi merci.
    La théorie qui attend, qui attend tout le temps,
    La philosophie correcte, comme un vélo d’appartement, pour tenir la forme sans voir du pays.
    Les réflexions, sans inflexion,
    Ne vaut pas tripette devant, dans et contre la crise générale de l’activité,
    Fraction de classe, les ami(e)s dans, contre les classes à jamais.
    Fraction de classe contre la classe.
    ABAT LE PROLETARIAT, ABAT LE CAPITAL !
    HIC RHODUS HIC SALTAT :

  52. A.D.
    29/03/2010 à 15:02 | #52

    Les positions de T.C. et de Trop Loin au sujet de la fonction de leur théorie respective sont identiques, autant que contenu de ces « différentes » théories qui s’affirme inconciliable comme on l’a vu. C’est au moins remarquable, au plus définitoire de la limite même des démarches analytiques, descriptives et pédagogiques.
    Ces théories ont pour rôle de parler d’elles-mêmes, de s’affirmer face à d’autres discours, de considérer les luttes et les pratiques comme leur matière première, leur aliment.
    Il y a en effet « théoricisme » quand un discours se place d’autorité en position d’autorité par sa prétention à la projection prédictive définitive. La hauteur ainsi prise, la distance créée produit une posture théoricienne qui n’est pas sans rappeler le sort des « parfaits » de la société cathare : leur perfection, leur pureté spirituelle ne pouvant s’accorder trop longtemps, sans se corrompre, avec la vie ici-bas, les parfaits jeûnaient jusqu’à périr pour se débarrasser de leur embarrassante enveloppe corporelle.
    Les textes les thèses des uns et des autres font partie de ce moment particulier, de même certaines formes et/ou contenus de lutte ou tentatives d’alternative ou de réalisation communautaire, ou de conciliation relative entre le penser et le vivre.
    La théorie n’a rien à dire sur cela, si ce n’est par vocation « avant-gardiste », le fondement même de toute critique émise par et dans les théories est une affirmation de la théorie elle-même, un énoncé performatif.
    La théorie est programme théorique, le monde et les humains sont le matériau dont elle a besoin pour se prouver toujours infalsifiable, quoiqu’elle dise ne pas l’être, pour projeter son discours.
    On pourrait peut-être se demander comment T.C. et Trop Loin s’ajustent si bien quant à leurs pratiques théoriques vis-à-vis des divers composantes des luttes sociales : c’est que c’est là l’essentiel, le reste n’est que fioriture, essentielle aussi pour maintenir et même approfondir de pseudo-divergences, ou d’inflexions particulières. La révolution à titre humain, ou strictement prolétarienne…

  53. Patlotch
    01/04/2010 à 11:25 | #53

    Je pense, AD, que tu verses d’un anti-théoricisme à l’anti-théorie, ce qui me rappelle furieusement un certain ouvriérisme anti-intellectuel, sauf que là -disparition de l’identité ouvrière oblige – la positivité que tu opposes à la théorie est difficile à cerner, hors l’apologie de la rebellion.

    Ce qui pourrait être une mise en garde contre une posture théoricienne surplombant le réel de la lutte de classes, se complait à l’ironie, à tourner en dérision ce qui serait une prétention, de TC, TropLoin… à accorder à la théorie, à la leur, plus de poids qu’elle n’en a dans les luttes réelles. Avec un rien de mauvaise foi, tu retiens néanmoins des concepts que ces théoriciens ont élaborés (programmatisme ouvrier, lutte théoriciennes - »considérer les luttes et les pratiques comme leur matière première, leur aliment »…). Ce que tu considères avec eux comme des acquis de la théorie amplement confirmés dans la réalité, tu penses pouvoir le retouner contre eux (« La théorie est programme théorique », oui mais pas seulement). M’est avis que tu te plantes et tombes dans le faux procès, voire le procès d’intention, avec ce paradoxe : tu fais toi-même, en venant ici les « discuter », la preuve que ces théories ne font pas à tes yeux (que) ce que tu leur reproches…

    AD « Il y a en effet « théoricisme » quand un discours se place d’autorité en position d’autorité par sa prétention à la projection prédictive définitive. »

    Encore faudrait-il démontrer sur quoi tu t’appuies, alors que l’on trouve suffisamment de précautions prises (au deux-mille vingtièmisme de BL près), et des considérations méta sur le rapport théorie-pratique dont tu sembles ignorer le cheminement.

    AD « Ces théories ont pour rôle de parler d’elles-mêmes, de s’affirmer face à d’autres discours, de considérer les luttes et les pratiques comme leur matière première, leur aliment »

    La fin (« luttes théoriciennes »…) s’oppose au début, l’accusation d’autoréférence exclusive, qui nie le champ propre de la théorie avec ses nécessaires controverses (« lutte de classe dans la théorie », pour reprendre Althusser). C’est d’ailleurs ce caractère des luttes comme « aliment » de la théorie qui justifie une « veille théorique » sur laquelle tu ironise ailleurs à bon compte. Il est donc normal que ces théories se confontent et « s’affirment face à d’autres discours ». Il faut croire qu’elles n’ont pas trouver le tien suffisamment stimulant, dans le relevé de leurs erreurs, pour éprouver le besoin d’y répondre.

    Le plus drôle, c’est qu’avec ta pseudo-critique du théoricisme, on voit trop ce que tu voudrais que la théorie soit, qu’elle ne peut être, ce que savent bien ces théoriciens. Au fond, tu lui reproches de ne pas être ce que tu lui reproches d’être.

    Comme dit l’autre, ton problème est dans ta question.

  54. A.D.
    01/04/2010 à 19:59 | #54

    Patlotch • février 12, 2010 @14:04

    [6] Que faire en période révolutionnaire ?
    Quelles sont, au contraire, les tâches des communistes dans une période révolutionnaire ?

    Je partage grosso modo les réponses.
    # Patlotch • mars 13, 2010 @13:48 La limite de l’exercice, c’est que les luttes réelles ne se sont pas approprié les thèses communisatrices au point de participer à ce retour de signification vers la théorie. Les théoriciens sont seuls,mais se posent la question, si « une page est tournée » dans et par « le moment actuel », on ne peut plus faire de la théorie comme avant.
    Ce style appartient au passé, le mien peut-être aussi, mais ça signifie plutôt qu’il est temps de passer le relai, le témoin, plutôt que la ramener en « vieux con » qui radote les postures dont il s’est construit depuis trois ou quatre décennies, . Ça vaut pour toi, pour moi, Dauvé&Cie. Convenons-en. Une pensée dialectique des plus fécondes qui accouche de résultats aussi mécanistiches et manichéens, partisans, et sectataires, excuse-moi, vous avez un réel problème, à TC. Un problème,
    Patlotch • mars 5, 2010 @2:08

    Je partage assez bien, ma foi, n’étant pas coutûme, le dernier cri du choeur AD.iste.

    Franchir le pas, out the « récit » (critique qui sent au demeurant son post-modernisme sur le tard), c’est aussi ‘franchir le pas suspendu’ de la praxis. Que cela s’exprime comme « la communisation n’existe pas », le côté un tantinet décalé de la posture TropLoin (« nous ne pouvons rien pour… »), le flop européen où les Français attendent les Grecs, ensemble les Anglais et les Suédois revendiquant leur suédosité – et tous en choeur : à nous les p’tites ? – , toussétoutes communisateurs avant là l’être, sans parler de mes coup de gueules dans le landerneau…

    Nous voilà au pied des murmures, et des lamentations.

    AD Et la montagne conceptuelle accouchant de litotes

    Comme on fait lit tot ou tard on se couche

    je comprends dès lors que tu ne te poses pas la question « que faire? » et je me fous de ce que nous en faisons fais toi et moi individuellement. On le sait, rien, comme Dauvé et Cie, qui ont, comme toi, le mauvais goût de lus en plus cynique et d’époque, de le justifier depuis leur posture théorique. Lourde. Vous êtes devenus lourds. Comme on prend du ventre, avec l’âge.

    « Comme dit l’autre, ton problème est dans ta question. »

    Quelle question ?
    Toutes ces jongleries n’y changent rien, Patlotch, et comme la Nième de Feuerbach, tu dis je me sers de T.C contre T.C., et alors quoi ?
    Tu dis « programmatisme », on peut dire mouvement ouvrier, ou socialisme, ce n’est plus un enjeu depuis longtemps.
    Pour les luttes théoriciennes c’est le même topo, un genre de « nos idées sont dans toutes les têtes », comme l’ »écart » pour « le saut qualitatif « ….

    « . Il est donc normal que ces théories se confrontent et « s’affirment face à d’autres discours ». Il faut croire qu’elles n’ont pas trouver le tien suffisamment stimulant, dans le relevé de leurs erreurs, pour éprouver le besoin d’y répondre. »Patlotch
    Pour la première phrase. C’est NORMAL, mais c’est cela et seulement cela. Des discours, des idées, et seulement cela, leur importance est très relative : les luttes (le mot n’a pas le copyright ?) n’ont pas besoin de théories, les théories vivent des luttes, tout en surplombant tout ça, conceptuellement parlant, ça fait la galère, les souqueurs, et la vigie, la veille aux lunettes théoriques, non mais quoi ? Terre, terre, ou quoi.
    Deuxième partie de la phrase : » Il faut croire qu’elles n’ont pas trouver le tien suffisamment stimulant, dans le relevé de leurs erreurs, pour éprouver le besoin d’y répondre. »
    Pourtant, Patlotch, tu disais un peu le même, à propos des gens « pas causant », sur ton blog d’ailleurs tu poétises : AsseZ de Théorie, etc…
    Tu vois trop ce que je voudrais que la théorie soit ?
    Mais, non, tu ne vois pas car je pense que ce moment est terminé, le moment théorique est épuisé, probablement totalement, nous aurons donc vécu la période du pic théorique, c’est déjà ça mais, comme dit toujours Verlaine  » Je ne me suis pas consolé »…

  55. Patlotch
    02/04/2010 à 01:22 | #55

    Tout ça, mes propres contradictions, ma poésie (qui ne dit pas ça) etc. n’empêchera jamais qu’elles se posent, indécrotablement, pour commencer, dans une exigence matérialiste, les choses non les mots. Je prends le parti de la théorie qui le présuppose, basiquement, avec Marx contre Hegel, Aristote contre Platon, pour simplifier, Heracilte et Diogène pour jouir de mots qui disent les choses, et Roland Simon avec, ne t’en déplaise.

    La limite de l’exercice blabla, c’est qu’on en fait ni théorie ni pratique de rien, sauf du plaisir à causer sans causer rien, surtout pour soi.

    Hé bien maintenant, ça me fait chier

  56. Patlotch
    02/04/2010 à 01:39 | #56

    Le « moment théorique » est d’autant moins « terminé » que les luttes s’approprient sa nécessité, savent ce qu’elles font, de quoi elles sont grosses. Et c’est au moment où cela commencerait à « faire question », dans les luttes comme en retour dans la théorie (du communisme, donc des luttes) que toi, AD, comme moi en observateur ni dans la théorie ni dans la pratique, tu viendrais vendre ton discours creux sur les deux versants de la chose ?

  57. Patlotch
    02/04/2010 à 14:55 | #57

    Une remarque générale (puisque BL et Pepe y sont revenus), je crois que nous nous sommes tous enfermés, ou plutôt nous avons enfermé, dans la question « Que faire ? », une problématique plus large et multiple qui concerne notamment la théorie, la pratique théorique peut-être plus que les luttes elles-mêmes (en tous cas ceux qui n’y participent n’ont rien à leur dire, aux luttes, seulement à les entendre). Chaque fois que l’on réduit des problèmes à des grands mots magiques qui les contiendraient tous, on court le risque de ne plus rien comprendre ni discerner. On a ainsi crée un tabou, un interdit dans le « courant communisateur », avec la formule « Que faire ? », qui permet d’étiqueter sans rien démontrer, et de couper les têtes soupçonnées de se poser la question dans un sens ou un autre.

    C’est un enfermement, à mon sens, qui hérite d’un complexe du non-militant, en miroir de l’activiste, sur la base de la critique du militantisme. Il est pourtant inutile de jouer sur les mots : ceux qui font et diffusent de la théorie sont des militants, il n’y a pas de honte à l’être et le reconnaître. Dès lors, ils se posent, explicitement ou non, s’ils ne sont pas stupides, une question « Que faire ? » dans le champ de leurs activités, et quoi qu’il en soit, ils y répondent par leurs activités, avec une réflexivité. Ce « Que faire ? » est de l’ordre de l’évidence.

    C’est à distinguer de l’essentiel de cette discussion du « Que faire ? », qui portait sur la nécessité d’évacuer d’une part le volontarisme ou l’activisme objectiviste et subjectiviste, d’autre part un rôle de la théorie comme guide pour l’action. Sur quoi je suis d’accord.

    Mise au point quant à la poésie. Quant à ce que j’ai écrit AsseZ de théorie, ça se présente comme une prose poétique, libre donc à chacun d’y mettre ce qu’il entend, mais il est sûr que celui qui le lit comme une réflexion sur la théorie communiste n’engage que sa responsabilité de lecteur. Je n’ai rien écrit de semblable dans la partie de mon site consacrée à la communisation, ni ailleurs. En clair, il était là question de donner la primeur au poème sur LA poétique, pour faire une poésie qui ne fasse pas dans LE poétique. Le parallèle possible n’est pas d’ordre métaphorique. Ce qui est comparable avec le rapport entre luttes et théorie, c’est que le poème est théoricien relativement à la poésie, et peut alimenter une poétique (une théorie de la poésie). C’est pourquoi j’ai opéré concernant mes réflexions un renversement, dans le sens de Hugo : « « Ne vaudrait-il pas toujours mieux faire des poétiques d’après une poésie, que de la poésie d’après une poétique ? ». En ce sens, c’est bien davantage les discussions sur ce rapport de la théorie aux luttes qui ont pu alimenter ma réflexion poétique, que l’inverse, terrain glissant, miné : militant ;-)

    J’ai pris un risque énorme en rapprochant sur mon site Poésie et Communisation, mais j’ai pu le faire justement parce que je ne mélange pas les champs. Je connais assez bien l’histoire des rapports entre l’art et la politique pour ne pas tomber dans les panneaux, par exemple de « la poésie engagée ». Une poésie qui n’est pas engagée n’est pas une poésie. Mais quand elle s’engage là où elle ne peut avoir aucun effet, c’est un tract, pas un poème. L’art révolutionnaire, ça n’existe pas.

    Pour être tout à fait clair, il faut continuer à faire de la théorie, à partir des luttes, mais peut-être que nous avons AsseZ d’une façon de la faire.

  58. A.D.
    02/04/2010 à 15:50 | #58

    . » Et c’est au moment où cela commencerait à « faire question », dans les luttes comme en retour dans la théorie (du communisme, donc des luttes)…

    « La limite de l’exercice, c’est que les luttes réelles ne se sont pas approprié les thèses communisatrices au point de participer à ce retour de signification vers la théorie. »

    En ce qui me concerne, je ne peux pas écrire à propos de la pratique de ma pratique, etc…car cela se confond souvent avec ma vie. Je suppose avoir déjà eu pas mal de petits problèmes en prenant ce mauvais sentier, je n’insisterai pas là-dessus.
    Ce que je rejette, aussi bien pour T.C. que pour Trop Loin, c’est la posture implicite, non le contenu finalement rétrospectif ou prospectif (c’est tout un).
    Ce que je trouve c’est que cette posture est intenable aujourd’hui : entre 2012 et cycle de luttes, entre écart et communisation. Trop loin ( pas Dauvé et Nésic), déjà dans la révolution,et/mais « comme tout le monde », et révolution dans la révolution pour le genre, etc…Cela donne le temps d’attendre, et de s’égarer dans de vaines dénonciations, quand ce n’est pas en amusante hauteur.( vertige d’y être arrivé).
    Que faire, rien de spatial, nous c’est ce que l’on fait, ce rien de spécial permet en fait beaucoup : » on ne peut rien pour… » (Trop Loin), ou le prolétariat ne peut que…( version T.C.).
    Rien à vendre pourtant

  59. Patlotch
    02/04/2010 à 18:00 | #59

    AD, tu crois voir une contradiction entre ces deux citations. Je m’explique.

    « Et c’est au moment où cela commencerait à « faire question », dans les luttes comme en retour dans la théorie (du communisme, donc des luttes)…

    « La limite de l’exercice, c’est que les luttes réelles ne se sont pas approprié les thèses communisatrices au point de participer à ce retour de signification vers la théorie. »

    Ce qui fait question, dans certaines luttes, c’est la limite de l’existence comme classe. C’est un de leur aspect théoricien. Ce n’est pas le produit d’une pénétration de thèses communisatrices. Et sauf à prendre ceux qui y participent pour des imbéciles décervelés, vue la nature de cette remise en cause, ils savent ce qu’ils font, ce qu’ils posent comme intervention de classe dans l’écart, puisqu’elle le définit.

    Ils n’ont pas à le formuler dans les termes de « la théorie lourde », et pas non plus à connaître les thèses communisatrices pour que cela revête, d’emblée, de façon performative, une dimension théoricienne. C’est à l’inverse la « théorie lourde » qui s’empare d’un élément caractérisant ces luttes.

    Par contre, qu’ils n’établissent pas le lien entre les actions de cette nature et les thèses communisatrices interdit naturellement un retour de participation à l’élaboration théorique.

    Il en résulte, là, immédiatement, que tu comprends pourquoi ta critique de la « posture implicite » relève d’un non-sens.

  60. A.D.
    03/04/2010 à 13:18 | #60

    Ce n’est pas les thèses de T.C., ni celles de Trop Loin, qui sont pour moi en cause (toujours), mais bien ce qu’ « on » en fait :
    Le texte de Pepe que tu trouvais « courageux », Le fond de l’air, etc…., Patlotch, voilà la posture, de même bien des interventions d’aka « Harold » qui voulait en découdre avec les petits bourgeois rebelles, mais oui, de Montreuil, et qui trouvait si belles les thèses de TC, car lui permettant cette pseudo-radicalité.
    C’est de cela qu’il est question pour moi pour « posture implicite », et il est possible de trouver les bases de cette « pseudo-radicalité » théoriciste dans d’autres textes de ce groupe. Il ne s’agit pas de textes « théoriques », mais des » règlements de compte » sur le compte théorique.

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