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Bismarck.
Otto Eduard Leopold von Bismarck, né à Schönhausen le 1er avril 1815 et mort le 30 juillet 1898 à Friedrichsruh, est un homme politique prussien puis allemand. Il est fait comte de Bismarck en 1865, puis prince de Bismarck-Schönhausen en 1871 et duc de Lauenburg en 1890. Il est à la fois ministre-président du Royaume de Prusse de 1862 à 1890, chancelier de la Confédération de l'Allemagne du Nord de 1867 à 1871, avant d'accéder au poste de premier chancelier du nouvel Empire allemand en 1871, poste qu'il occupe jusqu'en 1890, tout en conservant sa place de ministre-président de Prusse. Il joue un rôle déterminant dans l'unification allemande.
Au début de sa carrière politique, Bismarck se fait un nom en défendant les intérêts des junkers, petite noblesse prussienne, dont il fait partie, depuis les bancs conservateurs. Il est nommé ministre-président de Prusse en 1862. Dans le conflit constitutionnel prussien, il lutte contre les libéraux pour maintenir la primauté de la monarchie. Également ministre des affaires étrangères, il déclenche la guerre des Duchés puis la guerre austro-prussienne entre 1864 et 1866, et impose par là-même la suprématie de la Prusse en Allemagne. La guerre franco-prussienne de 1870 permet de résoudre la question allemande en retenant la solution petite-allemande, défendue par la Prusse, et entraîne l'unification allemande en 1871. Ensuite, sur le plan de la politique extérieure, il essaie d'établir un équilibre entre les grandes puissances européennes grâce à un système d'alliances.
En politique intérieure, à partir de 1866, Bismarck s'allie d'abord aux libéraux modérés, ce qui conduit au vote de nombreuses réformes comme l'institution du mariage civil, qui rencontre la résistance des catholiques, auxquels il s'oppose durement en instituant la politique du Kulturkampf. À la fin des années 1870, il se sépare des libéraux, pour renouer avec les conservateurs. Durant cette phase, sont votées les lois pour le protectionnisme et l'interventionnisme étatique. Un système de sécurité sociale est également créé. Les années 1880 sont surtout marquées par les lois antisocialistes. En 1890, les divergences de point de vue de Bismarck avec le nouvel empereur Guillaume II conduisent à son départ.
Après sa démission, Bismarck continue de jouer un rôle politique, en critiquant l'action de son successeur. Il écrit également ses mémoires, qui influencent fortement l'image que se forge de lui l'opinion publique allemande.
Jusqu'au milieu du XXe siècle, les historiens allemands jugent en grande majorité son action de manière positive, celle-ci étant, dans cette période nationaliste, associée à l'unification de l'Allemagne. Cependant, après la Seconde Guerre mondiale, les critiques s'accentuent : il est alors accusé d'être responsable, en tant que fondateur de l'Empire allemand, de l'échec de la démocratie en Allemagne. Des approches plus modernes de l'histoire tentent cependant de remettre l'action de Bismarck, avec ses forces et ses manques, dans le contexte de son époque avec la structure politique qui était alors en place.
[modifier] Origine et enfance
Bismarck à l'âge de 11 ans.
Otto von Bismarck est né le 1er avril 1815 à Schönhausen. Son père, Ferdinand von Bismarck, est officier militaire et propriétaire terrien prussien et sa mère, Wilhelmine Menckence, est la fille d'un homme politique[l 1]. Son grand-père paternel est un disciple de Jean-Jacques Rousseau. Otto a un frère, Bernhard, né en 1810, et une sœur, Malwine, née en 1827[w 1].
En 1816, la famille déménage vers Kniephof en Poméranie de l'est, sans pour autant abandonner sa possession de Schönhausen. Otto y passe son enfance. La différence d'origine sociale entre ses parents a un fort impact sur la socialisation de Bismarck. De son père, il hérite la fierté, de sa mère, un esprit vif, logique, ainsi qu'une aisance orale. Elle lui donne également l'envie de s'échapper de son milieu social. Bismarck peut aussi remercier sa mère pour l'éducation atypique qu'elle lui a donnée. Son fils ne doit pas en effet être seulement un junker, il doit également entrer dans l'administration. Toutefois, à cause de cette éducation stricte qu'il reçoit, il ne se sent jamais vraiment chez lui au domicile parental et, alors qu'il montre de la retenue vis-à-vis de sa mère, il éprouve beaucoup d'affection pour son père[l 2],[l 3],[l 4].
[modifier] Études primaires
Otto von Bismarck à l'âge de 19 ans, alors qu'il est étudiant à
Göttingen.
En 1822, au lieu, comme c'est l'habitude dans la noblesse, d'envoyer son fils dans une école de cadet, la mère de Bismarck l'inscrit dans un internat berlinois, le Plamannsche Erziehungsanstalt, afin de le préparer dans les meilleures conditions à occuper un poste de haut fonctionnaire. Il n'a alors que six ans. Cet internat suit à l'origine les méthodes pédagogiques de Johann Heinrich Pestalozzi ; cependant, au moment où Bismarck le fréquente, le temps des réformes est révolu depuis longtemps et a laissé la place à l'entraînement physique et à l'esprit patriotique. La transition entre la vie au domicile parental, rythmée par les jeux d'enfant, et la vie en internat, empreinte de discipline, est des plus difficiles pour le jeune Bismarck. À l'époque, il refuse catégoriquement de se soumettre à l'autorité[l 5],[l 6].
En 1827, il entre au lycée berlinois Friedrich-Wilhelms (Friedrich-Wilhelms-Gymnasium). Puis, en 1830, il intègre le Humanistische Berlinische Gymnasium zum Grauen Kloster dans lequel il demeure jusqu'à l'obtention de son Abitur en 1832. Mis à part le grec ancien (qu'il juge inutile), Bismarck se montre un élève extrêmement doué pour les langues, mais pas toujours assidu[l 7].
Bismarck est de confession luthérienne. Il reçoit des cours de religion de la part de Friedrich Schleiermacher, qui le confirme lors de ses 16 ans dans l'église de la trinité de Berlin (Dreifaltigkeitskirche)[l 8]. Bismarck se penche à l'époque sur la religion d'un point de vue philosophique ; il est notamment influencé par Spinoza et Hegel[l 9]. Il semble au départ être plutôt déiste et panthéiste que réellement croyant[l 8]. Bien que son retour à la religion ne change pas fondamentalement sa personnalité et que, comme il déclare, « Si je croyais à tout ce qui se trouve dans la bible, je serais devenu pasteur[l 10],[l 11] », Bismarck revendique durant toute sa vie sa foi[l 12]. Son christianisme familial a notamment joué un rôle décisif pour surmonter les moments difficiles, comme la mort de son amie Marie von Thadden-Trieglaff[l 12].
[modifier] Études secondaires
Après son Abitur, en mai 1832, et à l'âge de 16 ans, il s'inscrit en droit dans l'université de Göttingen. Il s'oppose fermement aux séquelles de la Révolution de Juillet et à la vague de libéralisme qui l'accompagne. Ce n'est donc pas un hasard s'il rallie le corps étudiant de la Corps Hannovera Göttingen plutôt que celui des anciens opposants de la Burschenschaft Hannovera Göttingen ; il y reste attaché sa vie durant. Il méprise, dans la Burschenschaft Hannovera Göttingen, « leur refus de donner satisfaction, leur manque d'éducation et d'étiquette, mais de manière plus connue, leurs conceptions politiques, reposant sur leur manque de culture et de connaissances, et leurs conditions de vie liées à leur devenir historique ». Il résume plus tard ses observations, en disant que cela a à voir avec un mélange d'utopie et d'un manque d'éducation. D'autre part, il dit ne pas être influencé par les idées monarchistes prussiennes[l 13]. L'histoire et la littérature l'intéressent beaucoup, le droit moins. Le seul professeur qui l'ait à la fois impressionné et influencé est l'historien Arnold Hermann Ludwig Heeren qui aborde dans ses cours le fonctionnement des systèmes étatiques dans le monde. C'est à cette époque-là que le jeune Bismarck construit une relation étroite avec John Lothrop Motley, un Américain qui devient par la suite diplomate, qui reste toute sa vie un de ses rares amis[l 14],[l 15].
[modifier] Premier poste et voyage
En novembre 1833, Bismarck change d'université et poursuit ses études de droit à l'université Friedrich-Wilhelms de Berlin. En 1835, il passe son premier examen d'État. À sa sortie, il devient Gerichtsreferendar (stagiaire) au tribunal municipal de Berlin. Il passe ensuite de son propre vœu de la justice vers l'administration. Alors que sa vie de bureaucrate à Aix-la-Chapelle le lasse déjà, il tombe amoureux, en 1836, de Laura Russell[l 16], la nièce du duc de Cleveland[w 2],[w 3]. Après avoir eu entre temps une liaison avec une Française, il voyage à travers l'Allemagne en 1837 avec une jeune Anglaise, amie de Laura. Ce voyage, qui dure plusieurs semaines, dépasse largement la durée de ses congés (qui sont de 14 jours), ce qui le conduit à perdre son poste[l 17].
Bismarck s'endette alors, d'une part à cause de ses petites attentions envers la gent féminine et d'autre part à cause de son penchant pour le jeu qu'il assouvit dans les casinos. Il reste sans emploi plusieurs mois et essaie plus tard de terminer son referendar (période d'essai) à Potsdam, avant de tourner le dos définitivement à l'administration quelques mois plus tard. Rétrospectivement, il explique ce changement de cap par le fait qu'il n'a pas envie d'être un simple rouage de l'administration : « Moi, je veux faire de la musique de la manière dont elle me semble bonne, ou ne pas en faire du tout »[l 18].
En 1838, Bismarck accomplit son service militaire, en tant que volontaire pour un an (Einjährig-Freiwilliger) pour commencer, puis passe dans le bataillon des chasseurs à pied (Garde-Jäger-Bataillon). En automne, il est muté dans le bataillon de chasseurs à pied numéro 2 qui stationne à Greifswald, en Poméranie occidentale[l 19].
[modifier] Seigneur et bon vivant
À la mort de sa mère, en 1839, Bismarck prend en charge les possessions familiales à Kniephof. Il devient donc agriculteur. Avec son frère Bernhard, de cinq ans son aîné, il exploite les terres de Kniephof, Külz et Jarchlin, en Poméranie orientale, dans le canton de Naugard. En 1841, Bernhard est élu chef du conseil communal (Landrat) de Naugard, ce qui entraîne une division provisoire des terres : Jarchlin est géré par Bernhard, Külz et Kniephof par Otto. À la mort de leur père, en 1845, Otto reprend également le siège familial à Schönhausen dans le canton de Stendal[l 20],[l 21].
Bismarck maîtrise rapidement l'exploitation de la ferme. En une décennie, en tant qu'administrateur du domaine paternel, il réussit non seulement à le réhabiliter mais également à rembourser les dettes qu'il a accumulées. Même si d'un côté cela lui plaît d'être son propre maître, la vie d'agriculteur ne le comble pas complètement[l 22]. Il lit énormément, sur des sujets très différents, tels la philosophie, l'art, la religion ou encore la littérature[l 23],[l 21].
En 1842, il entreprend un voyage d'études en France, en Angleterre et en Suisse. En 1844, il arrête ses efforts pour retourner dans l'administration, lucide quant à son sentiment anti-bureaucrate. Il essaie d'oublier son insatisfaction existentielle en buvant, en chassant et en ayant une vie sociale intense. Il acquiert alors le surnom de « formidable Bismarck »[l 22],[l 21].
Grâce à Moritz von Blanckenburg, un ami rencontré au Gymnasium zum Grauen Kloster, Bismarck rentre en contact avec le cercle pieu d'Adolf von Thadden-Trieglaff. Ce dernier est fiancé à Marie Blanckenburg, la fille de Moritz. Même si Marie et Otto s'aiment, Marie ne veut pas revenir sur son serment de fiançailles. Elle finit par épouser Adolf von Thadden-Trieglaff en octobre 1844. À ses noces, elle place son amie, Johanna von Puttkamer, aux côtés de Bismarck. Durant l'été 1846, les Blanckenburg, Bismarck et Johanna von Puttkamer font un voyage dans le Harz. Après la mort inattendue de Marie le 10 novembre 1846, Bismarck demande, dans une lettre devenue célèbre[w 4] à Heinrich von Puttkamer la main de sa fille. Ce dernier tardant à répondre, Bismarck se rend, à Reinfeld, convaincre les parents de Johanna à leur domicile. Les noces sont célébrées en 1847 à Reinfeld. Depuis cette époque, la croyance de Bismarck en un Dieu personnel joue un rôle central dans sa vie[l 24].
Du mariage d'Otto et de Johanna naissent trois enfants : Marie (1848–1926), qui épouse Kuno Graf zu Rantzau ; Herbert (1849–1904), qui s'unit à Marguerite Gräfin v. Hoyos et Wilhelm (1852–1901), qui épouse Sibylle Gräfin v. Arnim-Kröchlendorff. Johanna met de l'ordre dans la vie d'Otto et lui donne un point d'attache émotionnel, en plus de celui formé par sa mère. Les lettres que le couple s'échange sont des références du genre épistolaire du XIXe siècle[l 25].
[modifier] Débuts politiques
[modifier] Agitateur conservateur
Otto von Bismarck en 1847.
Bismarck fait son entrée en politique en devenant représentant au conseil du canton de Naugard (Deputierter des Kreises Naugard), et alors qu'il s'occupe encore de ses terres à Kniephof. Il soutient à de nombreuses reprises son frère qui dirige le conseil du canton en tant que Landrat. Par l'intermédiaire de son cercle religieux, il entre en contact, entre 1843 et 1844, avec d'éminents hommes politiques des bancs conservateurs, comme les frères Ernst Ludwig von Gerlach et Ludwig Friedrich Leopold von Gerlach. Il afferme Kniephof et déménage à Schönhausen, proche de Magdebourg, ville où Ludwig von Gerlach occupe un siège, pour développer ces liens. En 1846, il obtient son premier poste de fonctionnaire en tant qu'intendant des digues de Jerichow. Sa principale préoccupation du moment est alors de préserver la suprématie de la petite noblesse en Prusse. Les conservateurs s'opposent à l'État absoluto-bureaucratique et rêvent d'un retour à l'Ancien Régime, avec un gouvernement conjoint des nobles et du roi[l 26]. Avec les frères Gerlach, il défend, par exemple, le droit pour les nobles de rendre justice sur leurs terres[l 27].
En 1847, il entre au Parlement uni prussien (Vereinigter Landtag) comme représentant de la chevalerie de la province de Saxe[l 28]. Dans ce comité dominé par l'opposition libérale, il commence dès ses premiers discours à se faire remarquer comme un des conservateurs les plus stricts, il conteste notamment le fait que les guerres de libération de la puissance française en 1813 et 1814 étaient accompagnées de la volonté de mettre en place des réformes libérales. Dans la « question juive », il se déclare clairement opposé à la mise à égalité politique de la population juive. Cette position, et d'autres semblables, entraînent de vives réactions parmi les libéraux. Bismarck trouve cependant sa vocation dans la politique : « les choses m'empoignent beaucoup plus que je ne l'aurais pensé[l 29] » avoue-t'il.
Sa passion pour le combat politique lui laisse à peine le temps de manger et de dormir. Grâce à sa présence dans cette assemblée, Bismarck s'est fait un nom dans les milieux conservateurs, sa réputation arrivant même jusqu'au roi[l 30]. Bien que clairement conservateur, Bismarck est déjà à ce moment-là plus pragmatique que la moyenne et est prêt à apprendre de ses rivaux, ce qui apparaît notamment lors de la création d'un journal conservateur pour contrer les journaux libéraux allemands[l 31].
Bismarck est fermement opposé à la Révolution de Mars. Quand il apprend les succès du mouvement dans Berlin, il décide d'armer les paysans de Schönhausen, et propose de les faire marcher sur Berlin. Le général Karl von Prittwitz, basé à Potsdam, s'oppose toutefois à cette idée. Par la suite, Bismarck essaye de convaincre la princesse Augusta, l'épouse du futur empereur Guillaume Ier d'Allemagne, de la nécessité d'une contre-révolution. La princesse juge toutefois la requête manipulatrice et déloyale. En raison de son comportement, Bismarck s'attire alors durablement l'animosité de la future reine. La reconnaissance par le roi Frédéric-Guillaume IV de Prusse de la révolution fait échouer temporairement les plans contre-révolutionnaires de Bismarck. Par la suite, il n'est pas élu dans la nouvelle assemblée nationale prussienne, mais il prend par contre part au rassemblement extra-parlementaire des conservateurs. En été 1848, il est l'un des membres fondateurs et des rédacteurs du Neue Preußische Zeitung (Nouveau journal prussien), plus couramment nommé Kreuzzeitung (« Journal à la croix ») à cause de la croix de fer figurant au milieu de son titre. Bismarck y écrit de nombreux articles, si bien qu'en août 1848, il est l'un des principaux instigateurs du parlement des Junker. Celui-ci rassemble ainsi plusieurs centaines de nobles soucieux de protéger leurs intérêts de propriétaires terriens[l 32].
Toutes ces activités font que la camarilla qui entoure le roi commence à estimer Bismarck. Celui-ci espère être récompensé par un poste de ministre après la contre-révolution de novembre 1848. Mais il ne réalise pas encore que, même au sein des cercles conservateurs, il passe pour trop extrémiste. Le roi écrit d'ailleurs en note sur sa liste de propositions : « à utiliser seulement, là où la baïonnette agit sans limite »[l 33].
[modifier] Vers la Realpolitik
Siège de l'assemblée d'Erfuhrt dans l'église St Augustin, en 1850.
En janvier et juillet 1849, Bismarck est élu à la chambre des représentants de Prusse. Il décide alors de se vouer complètement à la politique et déménage donc sa famille à Berlin. Il devient ainsi l'un des premiers politiciens de métier en Prusse[l 34]. Au parlement, sa voix porte les idées et les positions des ultra-conservateurs. Il défend par exemple les demandes pour que Frédéric-Guillaume IV n'accepte pas le titre de Kaiser qui lui est proposé par la délégation du Parlement de Francfort[l 35]. En effet, cela éveille en lui la crainte d'une absorption de la Prusse par l'Allemagne, et à l'époque, il trouve la question nationale secondaire en comparaison avec la sauvegarde de la puissance prussienne[l 36].
L'union politique qui se forme entre Joseph von Radowitz et le roi afin de faire l'unification de l'Allemagne par le haut, est considéré comme à la fois irréaliste et dépourvu de bon sens par Bismarck. Au sein du parlement prussien, il ne fait d'ailleurs pas mystère de son opposition à ce plan. Son discours du 6 septembre 1849 change son image auprès des cercles politiques, et particulièrement celui de sa propre famille politique ; il montre en effet, en étant à la fois modéré et subtil, qu'il est dorénavant bien plus qu'un simple agitateur. Il devient alors pour la première fois un candidat crédible à un poste dans la diplomatie ou dans la haute administration[l 37]. Malgré ses critiques du projet, il est élu au poste de secrétaire de l'Union d'Erfurt qui vise à la rédaction d'une constitution pour une union allemande sous l'égide de la Prusse. Même s'il se retrouve dans un milieu parlementaire hostile, Bismarck se révèle, à Erfurt, être l'un des plus grands orateurs de son époque et sa langue imagée et directe attire l'attention même parmi ses opposants[l 38].
Après l'échec des projets d'union, Bismarck a la tâche délicate de défendre devant le parlement prussien le traité d'Olmütz, qui est une humiliation pour la Prusse. Il réussit en même temps à présenter ses points de vue conservateurs et à se tenir loin de toute idéologie, en défendant l'idée d'un État doté d'une forte puissance politique : « Le seul principe fondateur sain pour un grand État, à la grande différence d'un petit État, est l'égoïsme d'État, et non le romantisme. Il n'est pas digne pour un grand État de se quereller pour quelque-chose qui n'entre pas dans ses propres intérêts[l 39]. » Par l'importance qu'il donne à l'État, à la puissance et à l'intérêt politique, Bismarck se démarque des conservateurs traditionnels, qui, pour des motifs purement défensifs, s'opposent à l'État moderne, centralisé, bureaucratique et absolutiste[l 40].
[modifier] Diplomate au Bundestag
Palais Thurn et Taxis à Francfort, siège du Bundestag, en 1900.
Bien qu'il n'ait aucune formation de diplomate, Bismarck est nommé le 18 août 1851 par Frédéric-Guillaume IV et avec l'appui de Leopold von Gerlachs, diplomate (Gesandten) au parlement de Francfort. Ce poste est alors, de son propre avis, le plus important dans la diplomatie prussienne. Sa nomination est vue comme un symbole à la fois de la victoire de la réaction politique et sociale en Prusse et de la capitulation de cette dernière face à l'Autriche[l 41]. À Francfort, il agit de manière très autonome, à tel point qu'il se retrouve parfois en opposition avec la politique du gouvernement berlinois[l 42].
En tant que député, il continue à se présenter comme un conservateur. Son comportement lors de la séance de débat du 25 mars 1852 le mène au duel avec le député libéral Georg von Vincke ; cependant, au cours du combat, aucune balle n'atteint sa cible[l 43]. Alors que le Royaume de Prusse et l'Empire d'Autriche travaillent ensemble après la fin de la politique des unions, Bismarck ne veut pas se résigner au fait que le ministre autrichien Felix zu Schwarzenberg veuille donner à la Prusse un rôle secondaire. Lui et le gouvernement berlinois veulent faire reconnaître la Prusse comme le partenaire égal de l'Autriche. En pratique, il cherche perpétuellement la polémique avec le diplomate autrichien Friedrich von Thun-Hohenstein, attaque sèchement Vienne et paralyse même le travail du parlement afin de pointer les limites du pouvoir autrichien à Francfort. Il contribue également à empêcher l'Autriche d'intégrer l'alliance douanière allemande (Deutschen Zollverein)[l 44].
La décision du gouvernement prussien en 1854 (dans le contexte de la guerre de Crimée) de renouveler l'alliance défensive avec l'Autriche, attire les critiques de Bismarck. Quand, en 1855, l'Autriche songe à entrer en guerre contre la Russie, Bismarck réussit, grâce à quelques subtils louvoiements, à ne pas mettre à exécution les demandes autrichiennes de mobilisation des armées prussiennes. Ce succès augmente son prestige diplomatique. Après la défaite de la Russie en Crimée, il plaide dans plusieurs lettres ouvertes pour un appui à la France et à la Russie afin d'affaiblir encore l'Autriche. En particulier, il explique ses vues pour la politique extérieure dans sa « lettre magnifique » (Prachtschrift) de 1856. Ces déclarations déchaînent un conflit virulent avec les « hauts-conservateurs » (Hochkonservativen), réunis autour des frères Gerlach, qui ne voient en Napoléon III qu'un représentant des principes révolutionnaires et un « ennemi naturel » de la Prusse. Bismarck répond que la légitimité du chef d'État n'a aucune importance à ses yeux et que les intérêts diplomatiques du pays passent avant les principes fondamentaux du conservatisme. Cela lui vaut de passer de plus en plus pour un égoïste opportuniste au sein du clan conservateur[l 45],[l 46]. Proche des banquiers Julius Schwabach et Gerson von Bleichröder, Bismarck se base aussi sur leurs réseaux pour s'informer. Gerson von Bleichröder, avec qui il échange des centaines de lettres, est aussi son conseiller fiscal et le gérant de son portefeuille[l 47].
[modifier] Diplomate à Saint-Petersbourg et Paris
Maison de Bismarck à Saint-Pétersbourg.
Le conflit avec les Gerlachs trouve aussi ses causes dans la politique intérieure. Après l'accession au pouvoir de Guillaume Ier, les hauts-conservateurs perdent de leur influence pendant que les libéraux-conservateurs plus modérés du Wochenblattpartei en gagnent. Avec le début de cette nouvelle ère, Bismarck prend aussi ses distances avec les extrémistes conservateurs pour asseoir sa position. Il évoque ainsi, dans une longue lettre ouverte, une « mission nationale » prussienne et une alliance avec le mouvement national-libéral. Cela marque vraiment un virage politique pour lui. Même s'il ne veut pas combattre pour l'unification pour elle-même, il a compris qu'en canalisant les forces des nationalistes allemands il pourrait considérablement renforcer le pouvoir de la Prusse[l 48].
Bismarck a donc de grandes attentes quant à ce nouveau climat politique qui envahit alors la Prusse. Il est toutefois dans un premier temps déçu. En janvier 1859, il est muté à Saint-Pétersbourg. Il voit sa nouvelle affectation sur les bord de la Neva comme une mise à l'écart. La transition est difficile pour sa famille, et les années à Francfort restent pour les époux Bismarck comme les années les plus heureuses de leur mariage. Cependant, Bismarck espère profiter de cette mutation pour élargir ses connaissances diplomatiques et se réjouit de la bienveillance à son égard du couple impérial et de la cour russe. Ses ambitions se portent alors vers les plus hautes places administratives dans l'État prussien. Il porte une attention toute particulière au conflit constitutionnel prussien, qui entoure l'écriture de la constitution prussienne. Ses espoirs de devenir ministre-président (Ministerpräsidenten), qu'il forme dès avril 1862, ne se réalisent pas. Au lieu de cela, il est muté à Paris, poste qu'il considère dès le départ comme temporaire, en attente de mieux. Au même moment, est dévoilée à son épouse la relation qu'il a entretenue avec l'électrice Katharina Orlowa, elle-même épouse du diplomate russe assigné à la Belgique, Nikolaï Alexeïevitch Orloff. C'est toutefois la dernière infidélité connue de Bismarck, il se voue désormais exclusivement à la politique[l 49].
[modifier] Ministre-président
Otto von Bismarck en 1860.
À Berlin, l'opposition des libéraux au projet de réforme de l'armée se renforce, même si personne ne remet vraiment en cause la nécessité d'une telle réforme. En effet, à l'inverse de celles des autres grandes puissances, l'armée de la Prusse n'a pas grandi depuis 1815. En comparaison avec les forces autrichiennes, l'armée prussienne semble faible. Le service militaire n'existe de facto plus que sur le papier et les tentatives répétées d'intégrer la Landwehr, force armée constituée de tous les hommes en âge de combattre, dans l'armée régulière ont pour l'instant échoué. Et même si une union avec les libéraux sur le sujet est devenue possible, Guillaume Ier considère qu'un tel geste serait un signe de faiblesse venant de la couronne[l 50].
Cela attise les critiques des libéraux, ce qui conduit le parlement à rejeter le financement de la réforme. En mars 1862, l'assemblée est dissoute et un nouveau gouvernement est nommé. À la place des libéraux modérés, on trouve dans ce gouvernement des conservateurs comme le ministre de la guerre Albrecht von Roon. Le parti progressiste (Deutsche Fortschrittspartei) nouvellement fondé sort grand vainqueur de ce remaniement, pendant que le nombre de députés conservateurs diminue. Dans cette situation désespérée, Guillaume Ier considère sérieusement de se retirer au profit de son fils, le futur Frederic III, à tel point qu'après une altercation avec les ministres du gouvernement, le roi écrit un brouillon de lettre de démission[l 51],[l 52].
Le général Roon voit dans la nomination de Bismarck au poste de ministre-président la seule possibilité pour empêcher la prise de pouvoir du Kronprinz Frédéric, jugé libéral. Par un télégramme intitulé « Periculum in mora »[note 2], suivi du mot : « Dépêchez-vous ! », il rappelle Bismarck à Berlin. Après 25 heures de train, le 20 septembre 1862, ce dernier rentre dans la capitale. Deux jours plus tard, il est reçu par le roi au château de Babelsberg. À propos du contenu de l'entretien, nous ne disposons que du compte-rendu de Bismarck, qui doit être pour l'essentiel véridique contrairement à d'autres parties de ses mémoires[l 53]. Bismarck conquiert le monarque encore réticent et devient son disciple le plus fidèle[l 53]. Il promet de faire aboutir la réforme de l'armée mais tient à expliquer les causes des polémiques qui l'entourent. Selon lui, il faut se décider clairement entre un contrôle de l'armée par le parlement ou par le roi. Afin d'éviter que l'assemblée ne prévale, il est prêt à passer par « une période de dictature »[l 54]. Le roi lui demande, en effet, s'il est prêt à soutenir la réforme quoi qu'il arrive, au besoin, en outrepassant un vote à la majorité du parlement. Bismarck ayant accepté, le roi se montre impressionné par sa décision et déclare : « Alors il est de mon devoir, de continuer la lutte avec vous et de ne pas abdiquer »[l 55]. Le roi nomme Bismarck ministre-président et ministre des affaires étrangères[l 56],[l 57].
[modifier] Relation avec le roi et conservatisme
Cette rencontre à Babelsberg pose les bases de la relation entre le roi et Bismarck pour les prochaines décennies. Bismarck acquiert un pouvoir quasi absolu, par l'intermédiaire de son ministère, et une confiance totale de Guillaume Ier. Il se comporte vis-à-vis de ce dernier comme un vassal qui jure à son suzerain loyauté et courage au combat. Bismarck obtient un pouvoir absolu, qu'il utilise par la suite. Ainsi, ses ministres ne peuvent rendre des comptes qu'au roi, mais ils ont besoin au préalable de l'accord personnel de Bismarck[l 58].
Certes, Bismarck reste conservateur, mais il devient de plus en plus pragmatique. Les idéaux, théories et autres principes politiques ne sont pas, selon lui, prépondérants face à l'intérêt de l'État. Il se donne pour but d'accroître la puissance prussienne et il se sert de cet objectif comme critère de décision. De son point de vue, il n'est possible pour la Prusse de conserver ses aspirations à devenir une grande puissance que si elle parvient à gagner une position hégémonique en Europe, au détriment de l'Autriche, et sans s'attirer les foudres des autres puissances européennes. À proprement parler, il ne donne jamais dans le nationalisme, mais plutôt dans le réalisme diplomatique. Il part d'ailleurs du principe que ses succès sur la scène internationale lui seront favorables au plan national. Il veut certes préserver la monarchie et l'État autoritaire, tout comme la place prédominante de la noblesse et des militaires mais, en cas de doutes, il fait toujours passer la puissance de l'État au premier plan. C'est ainsi que Bismarck passe des alliances temporaires avec les mouvements libéraux et nationalistes[l 59].
[modifier] Conflit constitutionnel prussien
Au début, la plupart des politiques, jusque parmi les conservateurs, sont hostiles à Bismarck qui passe pour réactionnaire. Il a, de ce fait, des difficultés pour trouver des ministres compétents ; il écrit ainsi : « Nous serions déjà satisfaits, si nous arrivions à trouver et conserver huit hommes. »[l 60] (« Wir sind froh, wenn wir acht Männer finden und halten. »). Le premier cabinet de Bismarck se compose, en effet, d'une majorité d'hommes politiques de seconde importance, parmi lesquels : Carl von Bodelschwingh, Heinrich Friedrich von Itzenplitz et Gustav von Jagow. Dans ses mémoires, Bismarck juge que certains de ses ministres « n'avaient pas les moyens de diriger un ministère. » Ils ne montrent que peu de compréhension pour la ligne directrice politique à l'exception notable de Roons, et certains se révèlent plus intéressés par leurs plaisirs personnels et leurs divertissements que par leur travail[w 5].
Dans ce contexte, Bismarck est le seul réel décideur. En tant que chef d'un cabinet en conflit, il domine clairement les polémiques contre les libéraux. Au début, Bismarck essaie de neutraliser l'opposition à la fois par des menaces mais aussi par des compensations. Cela échoue, à cause de certaines de ses déclarations qui renforcent son image de politicien conservateur et ainsi le desservent. Par exemple, il déclare : « L'Allemagne ne regarde pas le libéralisme prussien, mais son pouvoir. », « Les grandes questions de notre temps ne se décideront pas par des discours et des votes à la majorité, mais par le fer et le sang. »[l 61],[w 6].
Alors que l'alliance avec les mouvements libéraux et les nationaux commence à prendre forme, il prononce un discours qui contribue à lui donner une réputation, dans l'opinion publique, de politicien aux méthodes brutales[l 62]. À la suite de cette réaction, il arrête ses tergiversions et se met à combattre les libéraux avec ardeur. Le parlement est ajourné et Bismarck gouverne, en automne 1862, sans avoir un budget régulier. Le parlement est rappelé au début de 1863. Bismarck se légitime en utilisant la très controversée, et maintenant célèbre Lückentheorie. En fait, il note qu'il y a un vide juridique dans la constitution à propos du ministre-président, et considère que le roi en tant que souverain est en droit de combler ce vide de la manière qui bon lui semble, et, donc, de court-circuiter le parlement[w 7]. Par la suite, le fonctionnement normal de l'État se fait à l'aide de compromis entre le roi et les deux chambres du parlement. Si l'un des trois organes refuse le consensus, advient un conflit : « les conflits deviennent des questions capitales, parce que la vie publique ne peut pas s'arrêter. Se pose alors la question capitale de qui a le pouvoir entre les mains ? »[l 63].
Bismarck fonde son raisonnement sur le fait que le cas d'une divergence d'opinion entre le roi et le parlement n'est pas tranchée par la constitution. Par conséquent, il y a un vide juridique, qui doit être comblé selon les prérogatives du roi. Cette interprétation du droit est considérée par la plupart de ses contemporains comme un détournement de la constitution. Maximilian von Schwerin-Putzar juge que cela signifie : « le Pouvoir passe avant le droit » (« Macht geht vor Recht. »). Or, jusqu'à présent, prévaut dans la haute société et dans l'entourage du roi la règle fondamentale : « Le droit passe avant le Pouvoir. « Justitia fundamentum regnorum ! » C'est la devise du roi de Prusse, et cela reste ainsi par la suite[l 64]. »
Afin de lutter contre les libéraux, Bismarck adopte au fil du temps différentes stratégies. Parmi celles-ci, il tente une alliance avec le mouvement social-démocrate en 1863. Il rencontre ainsi à plusieurs reprises Ferdinand Lassalle sans que cela ne soit suivi d'effet. Malgré une opposition forte, notamment venant de courtisans, et contre toutes attentes, Bismarck survit à la crise politique. Il emploie des méthodes radicales, allant jusqu'au licenciement de hauts fonctionnaires libéraux dont certains sont députés. En même temps, la liberté de la presse disparaît, et ce au mépris de la constitution. En 1865, Bismarck défie en duel le professeur et député Rudolf Virchow. Ce dernier refuse, car il considère ce mode de règlement des différents comme archaïque. La situation politique évolue alors peu, et le conflit autour de la constitution dure jusqu'en 1866 et ressemble à une guerre des postes. Bismarck essaie de miner l'opposition. Il dirige grâce à l'appareil étatique et, pendant un long moment, le parlement n'est même pas convoqué. En mai 1866, il est de nouveau dissout. Bismarck pense même un temps abolir le parlement et la constitution. Mais, avec le temps, il devient de plus en plus hostile à de telles revendications, formulées par les conservateurs, car ces derniers ne peuvent lui promettre un ordre politique stable à long terme[l 65],[l 66].
Pendant ce temps, Bismarck cherche à mettre sous pression l'opposition prussienne, en allant chercher des succès sur la scène internationale. Cependant, cela se solde par un demi-échec. La convention d'Alvensleben du 8 février 1863, qui prévoit le soutien de la Russie dans sa lutte contre un soulèvement en Pologne, reçoit une large désapprobation en Prusse, même au sein des cercles conservateurs. De plus, les pressions exercées par la Grande-Bretagne et la France de Napoléon III rendent caduque la convention. L'Autriche voyant Bismarck affaibli, en profite pour essayer de faire passer une réforme de la Confédération germanique à son profit. Bismarck ne réussit qu'avec beaucoup de peine à dissuader le roi de prendre part au Congrès des princes, réuni à Francfort. En riposte à l'Autriche, le ministre-président prussien présente une réforme de la confédération selon la vision prussienne qui vise, comme auparavant, à équilibrer le pouvoir entre la Prusse et l'Autriche dans l'Union. Cependant ses revendications diffèrent sur un point, il réclame « La création d'une nouvelle représentation nationale qui recevrait la participation directe de toute la nation[l 67]. » Cela n'en est pas moins une proposition de ralliement de la Prusse au mouvement national, qui est lui-même très proche du mouvement libéral. Bismarck ne se sert pas de cette nouvelle possibilité immédiatement, car, à cause du conflit autour de la constitution, il est pour lui hors de question de s'allier aux libéraux. Les élections d'octobre 1863 permettent à l'opposition prussienne de réaffirmer sa position[l 68],[l 69].
[modifier] Guerre des Duchés
La question de la réforme de la confédération germanique est vite mise au second plan par une crise internationale de plus grande ampleur. En effet, la mort de Frédéric VII de Danemark déclenche une querelle quant au devenir des duchés de Schleswig et d'Holstein. Le prince Frédéric Auguste de Schleswig-Holstein-Sonderbourg-Augustenbourg les revendique, soutenu par les mouvements nationalistes allemands, qui veulent les voir fusionner en une seule entité qui serait annexée par la confédération germanique en tant qu'État indépendant. Le nouveau roi de Danemark, Christian IX, lui-même mis sous pression par les mouvements nationaux dans son propre pays, déclare au contraire vouloir intégrer le Schleswig à l'État danois[w 8]. À la grande déception des mouvements libéraux et nationalistes, Bismarck refuse de soutenir les revendications de Frédéric d'Augustenbourg. Mais, en même temps, il se montre en désaccord avec la position danoise et aspire à moyen terme à intégrer les deux duchés dans l'aire d'influence de la Prusse. Il sait que ce n'est pas réalisable dans l'immédiat. C'est pour cela que Bismarck, à l'image de l'Autriche, nourrit un intérêt à la création d'un État augustenbourgeois. De leur côté, les Autrichiens voient dans une solution nationale à la question des deux duchés un danger pour la stabilité de leur propre État plurinational. Cela créerait en effet un précédent qui pourrait se retourner contre eux. Dans ce contexte, les deux grandes puissances allemandes ont donc intérêt à coopérer[l 70].
La politique de Bismarck dans cette crise, comme dans d'autres, ne suit pas un schéma fixe. Il part du principe qu'il faut s'adapter aux circonstances et essayer de les mettre à profit[l 71]. Bismarck se présente comme le défenseur du droit des peuples existants, et exige du Danemark qu'il s'en tienne au traité de Londres signé en 1852. Cette politique apaise les autres grandes puissances européennes, et l'Autriche se range du côté de la Prusse. À partir de ce moment, les autres États germaniques n'ont plus vraiment le choix et suivent les deux grandes puissances. Bismarck explique d'ailleurs au diplomate autrichien Alajos Károlyi que les deux puissances peuvent imposer leur volonté, en passant outre les décisions du Bundestag. Ce faisant, la pérennité de la confédération germanique est pour la première fois remise en question[l 72],[l 73]. Le conflit dégénère en guerre entre la confédération germanique et le Danemark en février 1864. Au contraire des précédentes guerres menées par la Prusse, le commandement suprême n'est pas pris par le roi ou par un militaire haut gradé, mais par le ministre-président, qui subordonne les opérations militaires à ses calculs politiques. Comme le Generalfeldmarschall Frédéric von Wrangel a théoriquement la priorité, de par son prestige acquis lors de la première guerre des duchés et de son ancienneté, il est relevé de ses fonctions par Bismarck[l 70].
Après la bataille de Dybbøl du 18 avril 1864, les négociations commencent entre belligérants à Londres, mais elles échouent en grande partie à cause des hésitations de Bismarck. La guerre continue et les troupes austro-prussiennes conquièrent le Jutland, provoquant la défaite du Danemark. Le traité de Vienne du 30 octobre 1864 marque la fin de la guerre. Le Danemark renonce aux duchés de Schleswig et de Holstein. Les tentatives de création d'un État augustenbourgeois se soldent par un échec à cause de la volonté de Bismarck de faire des duchés une sorte de protectorat prussien. Finalement, la région est dirigée conjointement par l'Autriche et la Prusse, situation qui, pour Bismarck, ne peut être que provisoire. Cette volonté de diriger seul les duchés mène à la guerre austro-prussienne[l 74],[l 75].
Au niveau de la politique intérieure, le succès au Danemark ne provoque pas d'affaiblissement du parti progressiste. Les libéraux adoptent, eux, une posture défensive face à Bismarck, quand, par exemple, ils refusent de voter la nécessaire construction d'une flotte, principalement en réaction au conflit sur la constitution. Dans le camp libéral, certains anciens adversaires de Bismarck, comme Heinrich von Treitschke, font évoluer leurs positions. Les libéraux commencent alors à se scinder en deux camps distincts : ceux qui ne croient l'unification allemande possible que par un gouvernement progressiste, et ceux qui pensent au contraire qu'un gouvernement conservateur peut tout autant y parvenir[l 76].
[modifier] Guerre austro-prussienne
Cohen-Blind commet un attentat contre Bismarck
Après la guerre des duchés, Bismarck essaie encore quelque temps de trouver un accord, sur des bases conservatrices, avec l'Autriche. Alors qu'il devient clair que le diplomate Ludwig von Biegeleben considère qu'il ne faut plus tolérer que la Prusse augmente encore sa puissance, Bismarck met sur pieds une alliance avec les mouvements libéraux et nationaux afin de fonder un État allemand dominé par la Prusse seule ; cette solution est nommée « petite-allemande » en opposition à la « grande-allemande », centrée sur l'Autriche[l 77]. Il ne compte d'ailleurs pas, au départ, régler le différend austro-prussien de manière militaire. Au contraire, il laisse la porte ouverte à toutes les possibilités afin d'obtenir le contrôle des duchés de Schleswig et Holstein. La convention de Gastein d'août 1865, apporte une solution en divisant les deux duchés : le Holstein allant à l'Autriche et le Schleswig et le Lauenbourg à la Prusse. Par la même occasion, Bismarck est fait comte von Bismarck et ministre responsable du Lauenbourg[l 78]. Mais cela ne fait selon lui que différer la résolution des différends sérieux entretenus avec l'Autriche.
Finalement, Bismarck se décide pour la guerre, car il espère ainsi en finir avec le conflit constitutionnel prussien, l'opposition faisant de plus en plus scission avec le gouvernement au pouvoir. La décision est prise lors du conseil des ministres du 28 février 1866. Bismarck réussit à convaincre le roi, pourtant très réticent à l'idée d'une « guerre fratricide », et à le dissuader de changer d'avis lors des mois suivants. Bismarck met alors tout en œuvre afin d'isoler et de provoquer l'Autriche. Mais il se tient prêt à reculer si les autres grandes puissances viennent à se montrer réticentes[l 79]. Il s'assure en particulier la neutralité de Napoléon III. Le soutien de l'Italie, formalisé par un traité d'alliance temporaire, rassure Bismarck. Après avoir renouvelé le parlement allemand par un vote direct, il se lance, depuis les bancs des conservateurs prussiens, dans une critique virulente à l’égard de l'Autriche afin de la provoquer. Même Ludwig von Gerlach prend ses distances avec lui. Les libéraux se mettent à considérer Bismarck comme quelqu'un de peu digne de confiance et rejettent sa proposition d'alliance. Dans l'opinion publique, l'idée d'une guerre fratricide est fortement impopulaire, à tel point que le 7 mai 1866, Ferdinand Cohen-Blind commet un attentat au pistolet contre le ministre-président, pour tenter de désamorcer la guerre[w 9].
Otto von Bismarck, le ministre de la guerre Albrecht von Roon et le général
Helmuth von Moltke.
L'Autriche décide, le 1er juin 1866, de faire trancher la question de l'avenir du Schleswig-Holsteins par le Bundestag. Bismarck considère cela comme une entrave à la convention de Gastein et ordonne aux armées prussiennes de marcher sur le Holstein. En conséquence, le Bundestag, sur demande de l'Autriche, décide la mobilisation de l'armée de la confédération germanique, ce qui annule automatiquement le traité d'alliance entre la Prusse et le reste de la confédération germanique. Le 16 juin 1866, l'armée prussienne entame les manœuvres contre le royaume de Hanovre, de Saxe et l'électorat de Hesse-Cassel. La victoire prussienne n'est en aucun cas acquise d'avance, la plupart des observateurs contemporains, dont Napoléon III, anticipent en effet une victoire autrichienne[l 80]. Bismarck joue le tout pour le tout : « Si nous sommes défaits, je ne ferai pas marche arrière, je combattrai jusqu'au bout[l 81]. »
Bismarck s'efforce de garder la guerre sous son contrôle. Cela va à l'encontre des plans du général Moltke, qui veut une guerre totale. À cause de la brièveté de la campagne, la question du retrait du commandement militaire de Bismarck n'a pas eu le temps d'apparaître à l'ordre du jour[l 82]. Les discordes dans l'armée confédérée, l'emploi stratégique du chemin de fer et de nouvelles tactiques sur le champ de bataille expliquent la supériorité de l'armée prussienne, qui se manifeste, le 3 juillet 1866, lors de sa victoire décisive dans la bataille de Sadowa. Alors que Guillaume Ier et les militaires poussent à envahir Vienne et à imposer de dures conditions de paix, Bismarck, à l'inverse, propose des conditions mesurées, afin de ménager son adversaire du jour en espérant en faire un allié futur. C'est pourquoi, la paix de Prague du 23 août 1866 n'inflige aucune perte de territoire à la monarchie habsbourgeoise mais lui impose d'approuver la création de la Confédération de l'Allemagne du Nord, réalisation de la « solution petite-allemande » ; c'est-à-dire que la partie nord de la confédération germanique s'unifie sous domination prussienne. L'Autriche approuve également l'annexion du duché de Holstein, de celui de Schleswig, du royaume de Hanovre, de l'électorat de Hesse-Cassel, du Nassau et de Francfort par la Prusse. Les États du sud de l'Allemagne restent indépendants[l 83],[l 84],[l 85]. En récompense pour son succès dans la guerre, Bismarck reçoit 400 000 thalers et le domaine de Varzin[l 86]. Sur cette commune, il favorise la construction de la fabrique de papier de Hammermühle, qui est de tout premier plan[w 10].
[modifier] Dénouement du conflit constitutionnel
La guerre consolide considérablement la position des conservateurs à l'intérieur du parlement prussien. Bismarck veut que les libéraux reconnaissent légalement les budgets depuis 1862. Cette loi est appelée Indemnitätsvorlage. Elle est nécessaire pour Bismarck, car même s'il a réussi à conserver son pouvoir, sur le plan du droit constitutionnel sa situation est tout simplement intenable selon l'historien Heinrich August Winkler[l 87].
Néanmoins, cette situation représente également une possibilité d'alternance politique pour les libéraux, et la question de savoir quelle réponse il faut donner à la proposition de Bismarck mène à une profonde scission dans leurs rangs. Pendant que certains voient les avancées notables à attendre sur la question nationale de la part de Bismarck, d'autres argumentent que le droit à la liberté doit avoir la priorité sur la question de l'unité nationale. Cela conduit à la formation du parti libéral national, fruit d'une division du parti progressiste. Des changements semblables ont lieu au sein des conservateurs : le parti conservateur libre est ainsi fondé pour rassembler les partisans de la realpolitik de Bismarck, en opposition aux anciens conservateurs réunis autour de Leopold von Gerlach, qui s'est auparavant détourné du ministre-président. Ce dernier peut donc compter sur les deux nouveaux partis pour appuyer sa politique, dans les années suivantes[l 88],[l 89].
[modifier] La « Revolution von oben »
Assemblée de la confédération d'Allemagne du nord, le
24 février 1867 ; Bismarck se tient directement en-dessous du bureau du président du parlement.
La victoire dans la guerre austro-prussienne marque un tournant au sein de l'opinion publique pour Bismarck. Le bouleversement provoqué par la guerre et le pas vers l'unité qu'il représente sont perçus comme une révolution faite sans émeute, une révolution décidée par le pouvoir en place, ce qui en allemand est traduit par l'expression « Revolution von oben ». Bismarck écrit lui-même : « tant qu'à avoir une révolution, mieux vaut la provoquer que la subir[l 90]. » Il aurait également déclaré à Napoléon III : « en Prusse, seuls les rois font les révolutions »[l 91],[w 11].
Bismarck s'est peu soucié du respect du principe conservateur fondamental qu'est la légitimité monarchique, quand il s'agissait des annexions et de la formation de la confédération de l'Allemagne du nord en particulier. Son nouveau parlement est élu de manière démocratique. Bismarck dicte en grande partie la constitution —c'est le dictat dit « de Putbus »— même s'il fait certains compromis avec les parlementaires. C'est pourquoi cette constitution est appelée « Constitution bismarckienne ». Un point central du texte est de sceller la domination prussienne sur la confédération. Par ailleurs, Bismarck se taille un poste sur mesure en créant la fonction de chancelier, qui lui permet, en plus des postes de ministre-président et de ministre des affaires étrangères, de bénéficier de pouvoirs très larges. Après l'élection du premier parlement, les libéraux réussissent à arracher quelques concessions au nouveau chancelier. Aussi, même si le conseil militaire se voit retirer une grande partie de son influence parlementaire, il n'est pas créé de poste de ministre associé. Ni le chancelier, ni aucun membre du gouvernement ne peuvent être nommés ministre de la guerre par le Reichstag, le cas échéant. Dans l'ensemble, Bismarck se montre réceptif aux exigences des libéraux, même s'il a veillé à empêcher de manière constitutionnelle que le système ne puisse devenir parlementaire[l 92].
Les réformes ne concernent pas que la constitution : la justice, les institutions sociale et économique ainsi que l'organisation de l'administration sont profondément remaniées. Il est tout à fait remarquable d'ailleurs que Bismarck, d'abord authentique conservateur, a mis en place un système étatique très moderne pour l'époque. Sur de nombreux points, il suit les idées libérales. Il n'est certes pas le seul à conduire ces réformes et on pourrait citer Rudolph von Delbrück, qui a alors un rôle capital. L'influence de Bismarck n'est en aucun cas à sous-estimer et l'historien Lothar Gall voit dans les succès de l'État bureaucratique centralisé d'Europe centrale, avec notamment l'éclosion de la société industrielle, une conséquence des réformes institutionnelles et judiciaires qui sont à mettre en grande partie au crédit de Bismarck[l 93].
[modifier] Guerre franco-allemande et formation de l'Empire
[modifier] Vers la guerre
En opposition avec la fonction purement pratique qu'a jusqu'alors la question nationale, après 1866, la nation devient un important facteur d'intégration aux yeux de Bismarck. Il reconnaît ainsi que la capacité de survie de la monarchie, et de l'État fédéral associé, ne peut être assurée sur la durée que si la Prusse reste à la pointe du mouvement nationaliste[l 94]. En même temps, apparaît le besoin, pour des raisons de puissance politique, d'unifier les États du sud de l'Allemagne à la confédération de l'Allemagne du nord et, par là-même, de réaliser l'unification totale de l'Allemagne sous domination prussienne[l 95].
Bismarck à Versailles en 1871 (à la droite de Bismarck et assis se trouvent les comtes Hatzfeld et von Keudell, debout de gauche à droite : les comtes de Wartensleben, Wellmann, Bismarck-Bohlen, Blanquart, Delbrück (avec un chapeau
haut-de-forme), Zezulke, Bucher, Wiehr, Abeken, Willisch, Dr. Busch, Taglioni, Wagner und v. Holstein).
Malgré la signature de traités d'alliances défensives avec les États du sud, le pouvoir d'attraction de la confédération de l'Allemagne du nord ne se montre pas assez fort pour les pousser à l'assimilation. Lors de l'élection pour le Zollparlament, les opposants à l'assimilation gagnent notamment à la fois en Bavière et dans le Wurtemberg. Bismarck est de l'avis que l'apparition d'une menace extérieure peut faire changer les opinions en sa faveur. Il n'essaie pourtant pas de créer une véritable situation menaçante, même s'il pense que l'unification se fera par les armes : « Une intervention volontaire, pour des raisons subjectives, a toujours eu dans l'Histoire pour effet de couper les fruits verts sur l'arbre. Et il me saute aux yeux dans ce sens, que l'unification allemande n'est pas un fruit mûr[l 96]. »
Sur le plan de la politique extérieure, Bismarck sait qu'il lui faut compter avec une forte résistance de la France contre l'unification allemande. L'opinion publique française nomme « revanche pour Sadowa ! » les revendications territoriales qui conduisent à la crise luxembourgeoise, désamorcée en mai 1867 avec la neutralisation du Luxembourg. Bismarck se sert de l'aubaine pour renforcer le sentiment anti-français à l'aide d'article de journaux et de discours au parlement. Napoléon III estime que l'issue du conflit sera une défaite ; il fait par la suite tout afin de contrecarrer les ambitions prussiennes[l 97]. On ne sait pas clairement si Bismarck est prêt à accepter la conquête du Luxembourg par la France et s'il cherche à en entraver le processus, ou s'il a calculé tout cela par avance. Dans tous les cas, les relations entre les deux puissances sortent grandement dégradées de cette crise[l 98]. En 1869 et 1870, la crise successorale en Espagne offre l'opportunité à Bismarck de déclencher une crise. L'homme politique incite ainsi le prince Léopold de Hohenzollern-Sigmaringen, qui fait partie de la branche catholique des Hohenzollern, la famille régnante en Prusse, à présenter sa candidature à la couronne d'Espagne. Ce dernier se montre d'abord réticent, et le roi également, mais le chancelier impose finalement ses vues. Ce faisant, il se livre à une véritable provocation vis-à-vis de Napoléon III. Bismarck sait en effet que s'il veut espérer une union sacrée des Allemands autour de la Prusse dans la guerre qui se profile contre la France, il faut que cette dernière ait le rôle de l'agresseur. Il ne fait aucun doute sur le fait qu'à l'époque Bismarck cherche volontairement le déclenchement d'une guerre, même s'il imagine des stratégies alternatives[l 99].
En France, la candidature prussienne a les effets escomptés, et on y craint d'être encerclé par des États sous contrôle Hohenzollern. La situation s'apaise avec le retrait de la candidature du prince Léopold. Guillaume Ier refuse toutefois d'obtempérer à la demande française en renonçant à toute candidature semblable dans le futur. Il en informe Bismarck dans la « Dépêche d'Ems »[w 12]. Ce dernier transforme alors la lettre et la transmet à la presse, en donnant au roi un ton très irrité. Napoléon III reçoit ainsi publiquement un énorme camouflet diplomatique. En conséquence, l'opinion publique française ne voit d'autre solution que de déclarer la guerre à la Prusse. En Allemagne, l'opinion publique est acquise à la cause de la Prusse et le ralliement des États du sud est chose certaine, alors qu'à l'inverse la France est complètement isolée sur le plan international[l 100].
[modifier] Déroulement de la guerre et conséquences
La guerre en elle-même est brève. La capture de Napoléon III lors de la bataille de Sedan scelle la défaite de la France et aboutit à la formation du second Reich. Cependant, les négociations de paix avec les Français se révèlent longues. Les Allemands, avec Bismarck en tête, posent comme condition l'annexion de l'Alsace-Lorraine, l'opinion publique germanique poussant en faveur de l'expansion territoriale. Opposé à cette solution, le nouveau gouvernement français décide de poursuivre le conflit, mais plus sous la forme d'une guerre de cabinet : la guerre est désormais populaire et a désormais pour but de défendre la nation française contre l'envahisseur allemand. L'annexion de l'Alsace-Lorraine, confirmée par le traité de Francfort, rend les relations franco-allemande exécrables et ce jusqu'à la Première Guerre mondiale. Cela oblige Bismarck à mettre l'affaiblissement de la France en tête des objectifs de la politique extérieure allemande pour les prochaines années[l 101].
Tableau d'
Anton von Werner : proclamation de l'empire allemand par l'empereur Guillaume
Ier le
18 janvier 1871 avec Bismarck (en uniforme blanc) dans la galerie des glaces du château de Versailles.
Pendant la guerre, le ministre-président s'immisce une nouvelle fois dans les décisions militaires. Cela conduit à de vifs conflits avec le commandement militaire, qui atteignent leur paroxysme quand la question est posée de savoir s'il faut assaillir ou assiéger Paris[w 13]. Bismarck impose alors l'assaut de la capitale. Dans le Sud de l'Allemagne aussi la guerre a des effets : elle pousse dans leurs derniers retranchements les opposants à l'unification allemande. En effet, depuis la mi-octobre 1870, Bismarck négocie avec une délégation des États du Sud de l'Allemagne sur le sujet à Versailles. Les idées des nationalistes et des libéraux ont le soutien depuis le départ de l'alliance des princes allemands et des villes libres. Bismarck, quant à lui, esquive les pressions et argumente sur les avantages d'une telle fusion des États allemands. Dans l'ensemble, ce sont ses idées qui finissent par prévaloir[l 102].
En premier lieu, les grands-duchés de Bade et de Hesse-Darmstadt se retirent de la confédération d'Allemagne du Nord. Ensuite, le Wurtemberg et la Bavière lèvent leurs réserves, après que leurs droits sont garantis, et permettent ainsi la formation de l'État allemand. Bismarck rédige lui-même la Kaiserbrief, par laquelle Louis II de Bavière demande à Guillaume Ier d'accepter la couronne d'empereur d'Allemagne[w 14]. Afin d'obtenir son accord, Bismarck offre à Louis II une indemnité puisée dans les fonds Welfs[l 103]. Il lui faut cependant beaucoup d'effort pour faire accepter à Guillaume Ier le titre d'empereur, ce dernier craignant une perte de signification de son titre de roi de Prusse. Le 18 janvier 1871, dans la galerie des Glaces du château de Versailles, l'Empire allemand est proclamé. Quelques jours plus tard, Paris capitule. La guerre se termine le 10 mai 1871 par le traité de Francfort. Ce fait marque l'apogée de la carrière politique de Bismarck. Il est fait prince (Fürst) par Guillaume Ier qui lui offre de plus Sachsenwald, dans les environs d'Hambourg. Il devient ainsi un des plus gros propriétaires terriens de l'Empire et un homme riche grâce à la bonne gestion de sa fortune par Gerson von Bleichröder. Il acquiert, à l'époque, un ancien hôtel dans le hameau de Friedrichsruh, qui se trouve dans Sachsenwald, et le fait reconstruire. À partir de 1871, Friedrichsruh devient sa résidence privée de prédilection[l 104],[l 105]. Il fait voter la loi monétaire prussienne du 4 décembre 1871[w 15], première étape décisive vers l'adoption de l'étalon-or en Allemagne puis en Europe.
[modifier] Chancelier impérial
Le nouvel Empire reprend la constitution de la confédération d'Allemagne du nord. Bismarck, cumulant les postes de Chancelier impérial, de président du Bundesrat, de ministre-président et de ministre des affaires étrangères de Prusse, reste l'homme politique le plus puissant du nouvel État. Il peut de plus se targuer d'être le fondateur de l'Empire. Guillaume Ier le sait très bien, et c'est pour cela que la volonté du chancelier prime en général sur celle de l'empereur. Ce dernier déclare d'ailleurs : « Ce n'est pas simple d'être empereur sous un tel chancelier[l 106]. »
[modifier] Famille et style de vie
Même si la vie de Bismarck est complètement régie par sa passion pour la politique et par son amour du pouvoir, il aspire en même temps, et avec une égale intensité, à être libéré de cette charge. Déjà en 1872, il déclare : « Je n'ai plus d'essence, je ne peux plus[l 107]. » Il affiche, lors de ses années à la chancellerie, non seulement des signes d'usure psychique, mais également physique. C'est pourquoi, il doit se retirer de manière de plus en plus fréquente dans ses domaines à la campagne pour des périodes allant jusqu'à plusieurs mois. Il boit et mange avec excès, et grossit de manière continue ; ainsi, en 1879, il affiche 247 livres à la balance, soit un peu moins de 112 kg[note 3]. Il souffre d'innombrables maladies, pour certaines chroniques, comme les rhumatismes, l'inflammation des veines, les problèmes de digestion, les hémorroïdes et, avant tout, des insomnies dues à l'excès de nourriture. En plus de son amour immodéré du tabac et de l'alcool, ses contemporains, telle la baronne Hildegard von Spitzemberg, relatent aussi sa consommation de morphine[l 108]. C'est seulement dans les années 1880, que son nouveau médecin, Ernst Schweninger, réussit à le persuader de mener une vie plus saine[w 16],[l 109].
La famille joue un rôle majeur dans sa vie privée, mais dans ce domaine aussi il impose ses volontés. Quand, en 1881, son fils Herbert envisage d'épouser la princesse Elisabeth zu Carolath-Beuthen – divorcée, catholique et apparentée à de nombreux opposants de Bismarck, comme Marie von Schleinitz – il s'y oppose à la dernière minute, menaçant de le déshériter, puis de se suicider. Herbert cède, mais devient un homme aigri[l 110],[l 111].
Otto von Bismarck en uniforme de cuirassier après son serment en 1880. À l'occasion, il apparaît ainsi vêtu en public et même au parlement.
[modifier] Politique extérieure
La formation du nouvel État allemand modifie fondamentalement les rapports de force en Europe, qui n'avaient pas évolué depuis le Congrès de Vienne[l 112]. En effet, Bismarck comprend avec le temps qu'afin de sortir du climat de méfiance générale de la part des autres États européens, l'Allemagne doit renoncer à toute nouvelle volonté d'expansion. Il assure, en 1874, dans ce sens, que l'État allemand est « saturé » : « Nous ne suivons plus une politique axée sur le pouvoir, mais sur la sécurité[l 113],[l 114]. »
Le but principal de la politique extérieure de Bismarck reste cependant d'affaiblir la France. Pour cela, il essaie de maintenir de bonnes relations avec l'Autriche et la Russie, sans privilégier l'une des parties. La concrétisation de cette politique est l'Entente des trois empereurs de 1873. La Crise Krieg-in-Sicht, que Bismarck a lui même provoquée en 1875, montre par contre toutes les difficultés que rencontrerait l'Allemagne en cas de nouvelle guerre avec la France. Ainsi Bismarck comprend que ses tentatives d'imposer l'hégémonie de l'Allemagne au détriment de la France sont vouées à l'échec[l 115].
Même si Bismarck ne peut que constater le retour en puissance de la France, qui aurait vraisemblablement des soutiens en cas de guerre, guerre qu'il ne planifie d'ailleurs pas, la crise est riche en enseignement pour lui. Elle montre en effet que le rapprochement entre la France et la Russie est encore fragile. Bismarck veut absolument éviter cette alliance qui menacerait l'Allemagne de devoir combattre sur deux fronts en cas de guerre ; il passe le reste de son mandat à tout faire pour l'entraver. De plus, l'Angleterre a exprimé clairement, qu'elle ne tolèrerait pas un futur accroissement de la puissance allemande. Pour maintenir l'équilibre continental, la France et la Russie sont également prêtes à se liguer[l 116],[l 117].
[modifier] Systèmes d'alliances bismarckiens
Congrès de Berlin, Tableau de
Anton von Werner (debout au centre : Otto von Bismarck).
Bismarck conclut de la Crise Krieg-in-Sicht, que seule une stratégie défensive est possible. À cause de sa position centrale en Europe, l'Allemagne a peur de se retrouver au milieu d'une guerre européenne d'envergure. Bismarck développe avec cette idée un nouveau concept, qui consiste à délocaliser les tensions entre les grandes puissances à la périphérie de l'Europe. Son premier cas d'application est la crise des Balkans qui dure de 1875 à 1878. Bismarck évite ainsi que le conflit ne devienne hors de contrôle. Il résume sa politique étrangère dans le Kissinger Diktat de 1877 : il veut créer « une situation politique générale, où toutes les puissances, à part la France, ont besoin de nous, et éviter autant que possible la formation d'une coalition contre nous[l 118]. »
Lors du congrès de Berlin de 1878, qui a pour but de trouver une solution à la crise des Balkans, Bismarck se présente comme un « honnête médiateur » (ehrlicher Makler). Cela renforce son prestige à l'étranger, tout en en montrant immédiatement ses limites. En effet, le tsar Alexandre II reproche à Bismarck son succès étriqué. Il crée, en plus, un rapprochement forcé entre l'Autriche et l'Allemagne, qui mène à une alliance défensive contre la Russie. Cette alliance entre les deux pays se renforce avec le temps et marque fortement la politique extérieure de l'Empire allemand pendant toute son existence. Bismarck présente cette alliance comme une union allemande opportune et comme « un rempart assurant durablement la paix, populaire auprès de tous les partis, à l'exception des nihilistes et des socialistes[l 119]. »
Bismarck réussit par la suite le tour de force d'apaiser les tensions avec la Russie afin de former l'alliance des trois empereurs (Dreikaiserbündnis) en 1881, et qui empêche ainsi une entente franco-russe. Le système d'alliance est complété en 1882 par le (Dreibund) entre l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie et l'Italie, et, en 1883, par le (Zweibund) avec la Roumanie[l 120],[l 121].
[modifier] L'épisode impérialiste
« La nouvelle crinoline. Bismarck taille à la Germania réticente des sous-vêtements coloniaux à la mode », gravure de Gustav Heil pour le journal satirique
Berliner Wespen du 13 mars 1885.
Au milieu des années 1880, la sécurité de l'Allemagne sur le plan diplomatique semble, selon Bismarck, garantie. Le concept de « saturation » de l'État allemand, en ces temps d'impérialisme, est de plus en plus remis en question. Personnellement, Bismarck est opposé à l'expansion coloniale. En 1884, il organise la conférence de Berlin afin de régler le partage de l'Afrique entre les différentes puissances européennes et notamment le sort du Congo[w 17].
Un mouvement impérialiste se forme aussi en Allemagne, et fait pression pour la conquête de colonies. Plusieurs causes, intérieures et extérieures, la crise économique en plus de cette forte pression, vont faire changer Bismarck d'avis[l 122]. Parmi elles, il y a le risque de succession de Guillaume Ier par le futur Frédéric III, prince libéral et anglophile. En effet, une politique colonialiste aurait inévitablement pour effet de dégrader les relations avec la Grande-Bretagne, mettant ainsi de la distance entre Frédéric et l'Angleterre[l 123]. Devant le défenseur de la colonisation Eugen Wolf, le chancelier déclare en 1888 : « Votre carte de l'Afrique est effectivement très belle, mais ma carte de l'Afrique est, elle, située en Europe. La France est à gauche, la Russie à droite et nous nous trouvons au milieu. Ça c'est ma carte de l'Afrique. »[l 124] Cependant, Bismarck a, sans le vouloir, démarré un processus impérialiste qui ne peut plus être arrêté avant la première Guerre mondiale[l 125],[l 126].
[modifier] Crise du système d'alliance
Dans la seconde moitié des années 1880, le système créé par Bismarck est menacé. À partir de 1886, on assiste à une recrudescence du revanchisme en France. Le spectre d'une alliance franco-russe, synonyme de guerre sur deux fronts, réapparaît périodiquement. D'ailleurs, Bismarck fait enfler la crise, afin de soutenir sur le plan intérieur ses volontés de renforcement de l'armée. Pratiquement simultanément se déclenche une nouvelle crise dans les Balkans. Bismarck essaie d'apaiser les tensions entre les deux belligérants que sont l'Autriche et la Russie. Le Dreikaiserbündnis vole en éclat. L'alliance franco-russe a le vent en poupe en Russie alors que le protectionnisme allemand, mis en place avec les nouveaux tarifs douaniers de 1879, ne font qu'empirer la situation. En Allemagne, des personnalités diplomatiques et militaires influentes, telles Friedrich von Holstein, Bernhard von Moltke ou Alfred von Waldersee, plaident pour une guerre préventive contre la Russie. Bismarck est fermement opposé à de telles idées ; il pense en effet que la guerre est évitable. Il pense qu'un homme au pouvoir doit prendre ses décisions de manière pragmatique, c'est la realpolitik. Il refuse en effet de prendre des décisions pour des motifs idéologiques, et ne cède ni à la tentation nationaliste ni au darwinisme social[l 127].
Certes le système d'alliance de Bismarck n'est plus, mais cela ne l'empêche pas de désamorcer la crise. Dans les Balkans, il refuse de « tirer les marrons du feu[l 128] » pour l'Autriche et l'Angleterre. Sans rompre avec la première, il réussit à éviter une guerre ouverte. En février 1887, Bismarck est ainsi l'instigateur de l'« entente de la Méditerranée » qui lie l'Italie, la Grande-Bretagne et la monarchie austro-hongroise, et qui a pour but d'endiguer l'expansion russe. Peu de temps après, Bismarck renouvelle le traité de réassurance qui allie la Russie à l'Allemagne[l 127].
[modifier] Politique intérieure
[modifier] Ère libérale et Kulturkampf
Bismarck aux environs de 1875.
À l'image de ce qui se pratique à l'époque de la confédération germanique, la politique intérieure de l'empire allemand est menée par Bismarck avec l'aide des conservateurs libres et des nationaux-libéraux. Leur influence est particulièrement visible dans les processus d'uniformisation, de réorganisation et de modernisation de l'économie et de la justice que met en place le pays, mais également la Prusse. Bismarck ne se prémunit pas de la sorte d'un conflit avec les conservateurs. Quand la Herrenhaus prussienne refuse, en 1872, d'adopter une réforme concernant les ordres, Bismarck demande à Guillaume Ier de nommer des membres supplémentaires dans cette chambre afin de faire passer la loi. Cette manœuvre s'appelle un « Pairsschub ». La colère gronde dans les rangs conservateurs et Albrecht von Roon va même jusqu'à qualifier ces nominations de coup d'État[l 129]. Cela conduit à la démission de Bismarck du poste de ministre-président de la Prusse, au profit de Roon. Mais ce dernier ne se révèle pas être à la hauteur de la fonction, et Bismarck reprend le poste rapidement[l 129].
Dans différents domaines, la coopération avec les libéraux atteint ses limites. Notamment, en 1873, une vive discorde apparaît à propos de l'organisation de l'armée. Bismarck veut que le parlement renonce à son pouvoir de contrôle sur le budget militaire, ce que les libéraux nationalistes ne peuvent accepter. En 1874, la proposition de compromis de Johannes von Miquel permet de trouver un terrain d'entente. Les orientations budgétaires sont désormais données pour sept ans (un septennat). Malgré ce succès relatif, Bismarck a dû montrer les limites de sa bonne volonté, même si cela lui donne les mains libres pour huit ans. À la même période, se renforce l'union du chancelier avec le parlement à l'encontre des militaires[l 130].
Caricature de
Wilhelm Scholz à propos du
Kulturkampf. Le pape
Léon XIII et le chancelier se demandent réciproquement de se baiser les pieds « le Pontife :
« Ne faites donc pas de manière ! » Bismarck :
« S'il vous plaît, de même ! » » issue du
Kladderadatsch, n° 14/15 du 18 mars 1878.
Les nationalistes libéraux et Bismarck se liguent, malgré leur antagonisme, contre le nouveau parti catholique, le parti centriste ou Zentrum. En effet, ce nouveau parti formé en 1870 a fait perdre de son influence au chancelier, et il est important pour lui de former un parti principalement conservateur pour le contrebalancer. Le Zentrum concilie à la fois ouvriers catholiques, dignitaires et Église. Bismarck craint particulièrement l'ultramontanisme[l 131]. Le Zentrum devient après les élections de 1871 la seconde force politique au Reichstag, au détriment des libéraux nationalistes qui voient leur soutien diminuer auprès des bourgeois catholiques. Le Kulturkampf a certes d'abord des raisons politiques, mais également des raisons plus personnelles. Le chancelier voit, en effet, en Ludwig Windthorst, un des leaders du Zentrum, un ennemi personnel : « Il y a deux choses qui embellissent et préservent ma vie : ma femme et Windthorst. La première pour l'amour, le second pour la haine[l 132],[l 133]. »
Bismarck présente les catholiques comme des ennemis de l'Empire, aussi afin de contrer les critiques dont il est l'objet. À partir de 1872, plusieurs lois d'exception sont votées contre les catholiques et celles-ci se durcissent de manière répétée. Les droits de l'Église sont réduits, ses revenus limités et son influence en Allemagne menacée par le moyen de lois impériales et prussiennes, comme le Kanzelparagraph ou la Brotkorbgesetz. On crée en même temps le mariage civil. Bismarck déclare : « Soyez sans craintes, nous n'allons pas à Canossa, ni physiquement, ni spirituellement[w 18]. »
La première phase du Kulturkampf se termine en 1878[l 134], année de la mort de Pie IX. Son successeur, Léon XIII, manifeste son envie de trouver un arrangement dans cette crise et est prêt, comme le demande Bismarck, à évincer le Zentrum[l 135]. Le parti centriste considère une négociation directe du chancelier avec le Saint-Siège comme une humiliation qui amoindrit son prestige parmi les catholiques. Lors de ces négociations, Bismarck n'obtient pas tout ce qu'il a projeté : les catholiques et leur parti sont restés soudés, rassemblés par les attaques de l'État allemand. De plus, la presse catholique soutient son parti, qui gagne de nouveaux sièges au Reichstag[l 136]. Une dernière raison est la rupture de Bismarck avec les libéraux nationalistes. Il réfléchit à la possibilité de former une coalition « bleu et noir » avec les centristes et les conservateurs[l 137].
Le Kulturkampf se termine en avril 1887 avec la seconde loi de la paix (Friedensgesetz)[l 138], après une longue période d'apaisement entre les deux camps. Les conséquences de cette politique encore visible de nos jours sont le mariage civil et les écoles publiques. Pour la suite des événements politiques, il est important de noter que Windthorst n'est en aucun cas un ultramontain, ce qui ouvre à Bismarck de nouvelles options politiques[l 139],[l 140].
[modifier] Crise à la chancellerie et tournant politique
La collaboration avec les libéraux devient de plus en plus difficile. Avec le début de la Grande dépression, les propriétaires terriens puissants et les industriels se mettent à demander la hausse des barrières douanières. Bismarck espère que la crise économique va conduire à l'éclatement du parti libéral. Même s'il ne s'exprime pas publiquement sur le sujet, il encourage la scission, qui finit par se produire. Ayant co-écrit le programme du nouveau parti conservateur, Bismarck pense logiquement pouvoir s'en faire un allié[l 141]. La démission le 25 avril 1876 de Rudolph von Delbrück de la chancellerie est un des prémices au conflit avec les libéraux qui se profile. Il personnifie, en effet, la collaboration avec les libéraux et le libéralisme économique au sein de son administration[l 142].
Les libéraux pensent que la vraisemblable succession au trône, anticipée, mettrait en difficulté Bismarck. On suppose que le futur Frédéric III mettrait en place un gouvernement libéral ayant pour modèle celui de la Grande-Bretagne dirigé par Gladstone. En 1877, Bismarck essaie de mettre hors course Albrecht von Stosch, le chef de la Marine, pressenti au poste de chancelier. Suite à l'échec de cette tentative, Bismarck menace de démissionner et, dans le même temps, se retire dans son domaine de Varzin. Les tentatives de rapprochement avec les nationaux-libéraux, en leur offrant des concessions au niveau politique ou un poste de ministre pour Rudolf von Bennigsen, échouent également. Ils lui reprochent de vouloir circonscrire le pouvoir du parlement, et c'est pourquoi le chancelier se décide à rompre avec les nationaux-libéraux[l 143].
Les revendications des nationaux-libéraux, en faveur de la refonte de la constitution pour donner à l'Empire un régime plus parlementaire, représentent pour Bismarck une limite qu'il n'est pas prêt à franchir. En 1879, il déclare devant le Reichstag : « Une faction peut très bien soutenir le gouvernement et en retour y gagner en influence, mais lorsqu'une faction exige de gouverner le gouvernement, alors elle force ce dernier à réagir contre elle[l 144]. » Face à un blocage politique, Bismarck se voit forcé de fuir en avant. Par son discours au Reichstag du 22 février 1878, il entame donc un virage politique important. En y esquissant l'objectif de créer un monopole d'État sur le tabac, il contredit les principes fondamentaux du libéralisme. Les libéraux les plus proches du gouvernement le comprennent comme un premier pas vers un changement radical de politique économique. Heinrich von Achenbach et Otto von Camphausen décident par conséquent de démissionner. Pour les remplacer, Bismarck nomme des hommes politiques qui ne sont réellement affiliés à aucun parti et ne possédant que peu de poids politique[l 145].
[modifier] Lois antisocialistes et protectionnisme
Texte de loi du
21 octobre 1878 intitulé « Loi contre les efforts collectif dangereux de la social-démocratie ».
Depuis le discours au Reichstag d'August Bebel en 1871 en faveur de la commune de Paris, Bismarck voit dans le socialisme une menace révolutionnaire. Il dessine sa politique future à travers deux points : « 1. Satisfaire les vœux de la classe ouvrière, 2. Enrayer l'agitation dangereuse pour l'État au moyen d'interdictions et de loi[l 146]. » De son point de vue, les conséquences sociales de la Grande dépression augmentent le danger révolutionnaire. En 1878, il considère qu'il est opportun de lutter contre les partis travailleurs socialistes en faisant voter des lois antisocialistes. Il veut ainsi « mener une guerre d'anéantissement au moyen de la loi, qui toucherait les associations, les rassemblements, la presse socialistes ainsi que la liberté de circulation de leurs membres (par le moyen d'expulsion et d'internement)[l 147]. »
Le combat contre le socialisme a pour principaux effets une recrudescence des attentats contre Bismarck. Il met aussi en évidence un manque de soutien du parlement pour sa politique offensive. Le premier projet de loi antisocialiste est ainsi rejeté par une majorité écrasante du Reichstag. Toutefois, après un second attentat contre sa personne, Bismarck dissout le parlement. Il essaie de regagner le soutien des nationaux-libéraux et de ramener le gouvernement à droite. Les élections voient la victoire des conservateurs qui, avec leurs deux partis, sont plus nombreux que les nationaux-libéraux[l 148]. Dans ce nouveau parlement, les nationaux-libéraux finissent par voter en faveur du projet de loi antisocialiste au prix de quelques concessions. Elles restent en application jusqu'en 1890, après avoir été prolongées plusieurs fois par le parlement. Cette loi d'exception interdit l'agitation socialiste sans pour autant toucher au droit des parlementaires socialistes. Ces lois manquent leur objectif et ont pour effet, au contraire, de consolider le milieu socialiste, en permettant aux théories marxistes de vraiment s'imposer[l 149],[l 150].
En 1878, dans le contexte de la Grande dépression, les grands propriétaires terriens et des industriels demandent avec de plus en plus d'insistance des barrières douanières plus élevées. Alors qu'une majorité se dégage au parlement en faveur de cette proposition, Bismarck se déclare favorable à une réforme de la fiscalité et de la politique douanière dans sa « lettre de Noël » (Weihnachtsbrief) du 15 décembre 1878. Il en espère une augmentation des recettes de l'État. Cette loi ne reçoit que peu de soutien des nationaux-libéraux, mais Bismarck peut s'appuyer sur les deux partis conservateurs et le centre pour la faire passer. Elle marque la fin de l'ère libérale, en Allemagne tout d'abord, puis en Europe : les autres pays, à l'exception de la Grande-Bretagne, suivant l'exemple allemand[l 151]. Bismarck clame désormais que les pouvoirs publics sont garants de l'unité nationale et il crée donc un mouvement d'union constitué non seulement des deux partis conservateurs mais aussi du centre. Toutefois, cette union n'a pas la solidité de celle qu'elle a eu avec les nationaux-libéraux. Ceci explique que, dans les années qui suivent, beaucoup d'initiatives politiques de Bismarck se soldent par des échecs[l 152],[l 153]. La transition du libre-échange au protectionnisme se fait graduellement lors des années suivantes. Dans sa biographie, Ernst Engelberg fait toutefois remarquer que l'Empire allemand n'a jamais été vraiment libéral[l 154]. Bismarck espère ainsi saper le soutien politique à l'union « Seigle et Acier » (Roggen und Eisen) et, ce faisant, consolider les bases conservatrices de l'Empire et sa propre position au passage[l 155].
[modifier] Lois sociales et tentative de coup d'État
Otto von Bismarck dans son bureau en 1886.
Pour surmonter la situation difficile qu'il rencontre face au parlement, Bismarck essaie de reduire l'importance des partis politiques. Il choisit de centrer les débats autour de la politique sociale et économique, et, symbole de cette orientation, il occupe personnellement le poste de ministre du commerce de 1880 à 1890. Afin d'avoir la main mise sur la politique économique, il essaie, en vain et à cause de la résistance des partis, d'établir un conseil économique : le Volkswirtschaftsrat, constitué de membres des différentes corporations et afin de contourner le parlement[l 156]. Le but principal de la politique sociale de Bismarck est de renforcer le lien des Allemands avec l'État, et ainsi d'isoler les partis de leurs bases électorales. Bismarck ne cache pas que cela préserve en même temps sa position[l 157]. Au départ, seule une assurance couvrant les accidents est prévue, puis vient ensuite l'idée d'y ajouter une assurance maladie, une d'invalidité et un système de retraite. Ces dispositifs doivent être principalement contrôlés par l'État ; Bismarck parle même de « socialisme d'État ». Il veut « forger une mentalité conservatrice dans la masse des plus démunis, laquelle légitimera les retraites[l 158]. »
Cette réforme rencontre une forte résistance, non pas à cause de son contenu, mais parce qu'elle sert avant tout les motifs personnels de Bismarck. Finalement, le parlement enlève toutes les mentions relative au socialisme d'État de la proposition de loi sur l'assurance accident. Après une nouvelle dissolution du Reichstag, Bismarck espère convaincre en menant campagne sur le thème du « royaume social », et sur un ton anti-parlementaire, espoir finalement déçu. Au contraire, ce sont les libéraux de gauche qui gagnent nettement cette élection. Bismarck pense alors un bref instant à démissionner, avant de se raviser et, même, de fomenter des plans de coup d'État. L'assurance accident, contrairement à ce qui était prévu originalement, n'est pas contrôlée par l'État, mais par les entreprises. En effet, dans un contexte d'idéologie corporatiste, elle est conçue comme un rassemblement dépassant les partis politiques. À rebours des objectifs initiaux de ce mécanisme, ce sont les représentants des partis de droites qui y gagnent[l 159]. La caisse d'assurance maladie est, quant à elle, contrôlée de manière indépendante par les ouvriers. Au cours du temps, la plupart des caisses d'assurances maladie régionales finissent par être dominées par les sociaux-démocrates[l 160].
Bismarck au Reichstag en 1889.
Avec cette législation sociale, Bismarck pose les bases d'un système de sécurité sociale moderne, mais il n'atteint toutefois pas ses objectifs politiques. Ses tentatives de couper par la racine le socialisme allemand tournent court, tout comme l'ont fait auparavant ses tentatives d'affaiblir les partis au profit des pouvoirs publics. Cela démotive Bismarck de continuer dans cette voie. Il ne met en place l'assurance invalidité et retraite en 1889 que par sens du devoir, sans conviction[l 161],[l 162],[l 163].
[modifier] Protectionnisme, nationalisme et politique intérieure
Bismarck et son ministre de l'intérieur, Robert von Puttkamer, réussissent à obtenir de l'administration prussienne un soutien absolu à la politique de leur gouvernement. Dans le parti national-libéral, dirigé par Johannes Miquel, les partisans du protectionnisme et d'une ligne de conduite proche de celle de l'État s'imposent, ce qui profite à Bismarck. Ils se mettent en général au diapason avec la politique du chancelier. En 1885, Bismarck présente un projet de réforme de la politique douanière, résolument protectionniste, qui propose, entre autres, de réduire massivement les importations, afin, principalement, de servir les intérêt des électeurs conservateurs. Dans le but de profiter du sentiment nationaliste, Bismarck renforce la politique antipolonaise dans les provinces de l'Est de la Prusse[w 19] . Il intensifie donc la germanisation avec la mise en place, à partir de 1885, d'une politique d'expulsion des Polonais et une loi sur la colonisation en 1886. Il profite du sentiment revanchard français pour justifier une campagne de presse de grande envergure afin de discréditer, en les faisant passer pour des traîtres, tous les opposants à sa politique militaire. Après la dissolution du Reichstag, l'agitation nationaliste s'amplifie encore[l 164].
Les élections de février 1887 marquent la victoire des partis soutenant le gouvernement et appelés le « cartel », à savoir : les conservateurs et les nationaux-libéraux, qui obtiennent ensemble la majorité absolue. Après dix ans d'attente, Bismarck obtient enfin une majorité absolue dans les deux chambres parlementaires. Il est donc libre d'imposer sa politique militaire et de favoriser sa clientèle électorale conservatrice. À cause de cette nouvelle annonçant une toute puissance de Bismarck, l'ascension au trône de Frédéric III en mars 1888 n'a pour lui presque plus aucune importance. Quand le nouvel empereur, déjà malade, refuse de donner son accord à l'allongement de la période de la législature et aux lois antisocialistes, Bismarck réprimande l'impératrice en déclarant que « le monarque n'a pas vocation à légiférer[l 164]. »
[modifier] « Le capitaine descend du navire »
Caricature parue dans le journal anglais le
Punch Dropping the Pilot, soit le capitaine descend, de Sir
John Tenniel à propos du départ de Bismarck, en 1890.
Même si Bismarck fait tout pour écarter tout potentiel rival susceptible de prendre sa place, à la fin des années 1880 apparaissent les premiers signes que sa domination politique arrive à son terme. L'opinion publique demande de plus en plus une politique extérieure plus ambitieuse, ce qui rend impopulaire le chancelier, qui demeure trop uniquement soucieux de préserver ses acquis. Après le court règne de Frédéric III, Guillaume II accède au trône. Ce dernier a une personnalité très différente de celle de Bismarck, ce qui est source de conflits entre les deux hommes. Bismarck considère que le nouveau souverain est immature et peu préparé à assumer ses responsabilités. Il est selon lui « soupe au lait, ne peut se taire, est à l'écoute des flatteurs et pourrait mener l'Allemagne à la guerre sans le vouloir ni même s'en rendre compte[l 165]. » Pour Guillaume II, Bismarck est un homme du passé qui exprime clairement sa volonté de prendre personnellement la politique à son propre compte : « Je laisse au vieux six mois pour reprendre haleine, ensuite je gouvernerai moi-même[l 166]. » Les jours de Bismarck à la chancellerie sont donc comptés bien qu’il ne s’en rende pas compte. Il aurait voulu, a-t-on dit, que son fils lui succède : vrai ou faux, le bruit arrive aux oreilles de l’empereur qui confie au prince Chlodwig de Hohenlohe au cours d’une chasse : « Il s’agit de la question suivante : dynastie Hohenzollern ou dynastie Bismarck[l 167] ».
Bismarck voit dans ce contexte de dégradation de la situation politique intérieure une occasion de convaincre l'empereur de son caractère indispensable. Il dépose alors une nouvelle loi antisocialiste, à la fois plus sévère et à durée illimitée, tout en sachant sûrement que cela ferait voler en éclat la coalition au pouvoir. En effet, les national-libéraux ne peuvent soutenir cette proposition. Guillaume II, qui ne veut pas commencer son règne par un conflit de cette sorte, s'oppose aux plans du chancelier. Lors de la séance du conseil de la couronne (Kronrat) du 24 janvier 1890, le débat entre les deux hommes s'envenime. Lors des mois qui suivent, Bismarck, désespéré, tente de conserver son poste en faisant valoir son rôle dans l'unification de l'Empire mais aussi en tentant de créer une collaboration étroite entre le Zentrum et les conservateurs. Le 15 mars 1890, l'empereur Guillaume II retire officiellement son soutien au chancelier, à cause de leurs conflits répétés. Le limogeage de Bismarck date officiellement du 18 mars 1890[l 168]. L'opinion publique est en majorité soulagée par son départ. Theodor Fontane écrit : « C'est un bonheur, que nous en soyons débarrassé. Il n'était plus à proprement parler qu'un gouverneur de la routine, faisait ce qu'il voulait et demandait toujours plus de dévotion à son égard. Sa grandeur est derrière lui[l 169]. » L'empereur lui choisit pour successeur un novice en politique en la personne du général Leo von Caprivi[l 170].
[modifier] Après son départ
Otto von Bismarck en 1890.
Bismarck retourne à Friedrichsruh plein d'amertume ; il ne renonce pourtant pas définitivement à la politique : « on ne peut pas me demander, après avoir fait quarante ans de politique, que, soudainement, je ne m'y intéresse plus du tout[l 171]. » Seulement quelques jours après son départ, Bismarck annonce vouloir rédiger ses mémoires. Il y est aidé par Lothar Bucher, sans qui le travail n'aurait sûrement jamais été terminé. Pourtant, Bucher ne se plaint pas seulement du rapide désintérêt de Bismarck pour la rédaction de ses mémoires, mais également de la manière dont l'ancien chancelier tente volontairement de déformer la réalité : « En rien il ne veut être mêlé à tout ce qui a échoué, par contre il veut recevoir seul tout le mérite de ses succès[l 172]. » Après la mort de Bucher, Bismarck retouche encore le manuscrit, mais le travail demeure inachevé. Les deux premiers tomes paraissent en 1898 et ils ont un grand succès. Le troisième tome sort en 1921[l 173].
Bismarck essaie de façonner sa future image historique. En même temps, il ne renonce pas à intervenir dans la vie politique. Peu après son retrait, il s'exprime de manière active dans la presse politique. Le Hamburger Nachrichten relate en particulier ses déclarations. Bismarck critique ardemment son successeur, ce qui lui permet de s'attaquer indirectement à la personnalité de l'empereur. Lors de l'été 1891, Bismarck est élu au Reichstag pour la circonscription du nord de Hanovre, sur l'initiative du jeune Diederich Hahn. Guillaume II croit au retour du nouveau chancelier en politique mais ce dernier ne met jamais les pieds dans sa circonscription, et il n'utilise pas ses pouvoirs. En 1893, il démissionne au profit de Diederich Hahn[l 174]. Comme la presse politique l'a pressenti, Bismarck retrouve les grâces de l'opinion publique, surtout après que l'empereur a commencé à l'attaquer publiquement. De même, le nouveau chancelier Caprivi perd énormément en prestige lorqu'il tente d'empêcher une rencontre entre l'empereur d'Autriche François-Joseph et Bismarck. Le voyage à Vienne tourne au triomphe pour l'ancien chancelier, qui déclare ne plus avoir de compte à rendre au gouvernement allemand actuel : « Tous les ponts sont rompus »[l 175] annonce-t-il.
Par la suite, Guillaume II s'efforce de faire des gestes de réconciliation pour améliorer sa popularité. Plusieurs rencontres avec Bismarck, en 1894, ont des effets positifs, sans que cela n'apporte une réelle détente dans leurs relations. Par ailleurs, le crédit de Bismarck au Reichstag est si faible, que les membres de ce dernier ne parviennent pas à trouver un accord afin d'envoyer un télégramme souhaitant un bon anniversaire à l'ancien chancelier, à l'occasion de ses 80 ans. En 1896, Bismarck focalise toute l'attention de la presse allemande et internationale en rendant public le traité de réassurance, accord diplomatique secret jusqu'alors[l 176]. La mort de sa femme en 1894 marque profondément Bismarck. À partir de 1896, son état de santé se dégrade nettement et il doit se déplacer en chaise roulante. Il cache à l'opinion publique et même à sa famille qu'il est touché par la gangrène et d'autres infirmités[w 20].
Otto von Bismarck meurt des suites de ces infirmités le 30 juillet 1898. Il repose aux côtés de sa femme, dans un mausolée érigé à Friedrichsruh[l 176].
A posteriori, de nombreuses critiques se sont élevées contre la politique et les méthodes de Bismarck. L'organisation de l'Empire allemand fondée sur le triumvirat armée, gouvernement et roi crée un État dans l'État et ne reconnaît ni le peuple, ni le parlement[l 177],[l 178]. Il méprise ce dernier et ne s'adapte jamais à son contrôle sur l'exécutif[l 179],[l 180]. De plus, le volontarisme de l'État central allemand, avec notamment la politique d'intégration agressive du chancelier, a conduit progressivement à ce que s'opère un certain glissement du nationalisme allemand. Si celui-ci se définit au départ par l'appartenance à une communauté culturelle et sociale, il tend au moment du départ du chancelier à se confondre avec un nationalisme de l'Empire, tendance qui se révèle encore plus nettement dans l'Allemagne de Guillaume II qui mène la politique du nouveau cours[w 21]. Le futur Frédéric III, alors Konprinz, prophétise déjà à ce sujet en 1870 :
« Comme il sera difficile à l'avenir de combattre l'aveugle adoration de la force et des succès à l'extérieur ! Comme il sera difficile d'éclairer et de guider de nouveau l'ambition et l'émulation vers des buts nobles et sains[l 181]! »
On peut également lui reprocher l'annexion de l'Alsace-Lorraine qui est une véritable bombe à retardement au milieu de l'Europe et qui empêche une réconciliation entre la France et l'Allemagne[l 177],[l 182]. Avec sa politique protectionniste et colonialiste, il aurait par ailleurs entraîné l'Allemagne dans une logique d'impérialisme qui aurait mené à la Première Guerre mondiale[l 183]. Il aurait également utilisé la politique extérieure avant tout à des fins intérieures : les guerres contre le Danemark, l'Autriche et la France avaient principalement pour but l'unité allemande. Cette stratégie reprise par la politique de prestige de Guillaume II détourne l'attention des besoins de réformes intérieures et de modernisations importantes dont a besoin l'Empire[l 184].
Par ailleurs, son machiavélisme et son cynisme peuvent atteindre des sommets. Si cela est parfois en lien avec la raison d'État comme lors de la dépêche d'Ems, qui est clairement un faux[l 185], dans d'autres cas, cela s'avère plutôt être de la pure cruauté. Ainsi, pendant la guerre franco-allemande, il refuse une trêve pour permettre aux Français d'enterrer leurs morts, il impose le bombardement de Paris et propose des mesures contre la population civile telle que l'affamement et contre les Français en général avec la torture[l 186].
Le mausolée de Bismarck à Friedrichsruh.
En Allemagne, et surtout après son départ du poste de chancelier, se développe un véritable culte pour Bismarck, qui se renforce encore avec sa mort. Il est fait citoyen d'honneur par de nombreuses villes, par exemple, en 1895, par toutes les villes de Bade. Son buste se trouve au Walhalla, le panthéon allemand[w 22]. De nombreuses rues portent son nom. Des entreprises industrielles portent également son nom comme la mine Graf Bismarck[w 23], qui se trouve dans le quartier éponyme à Gelsenkirchen[w 24]. Il donne son patronyme au colorant Bismarckbraun[w 25] et à une espèce de palmier, le Bismarckia. Une préparation à base de hareng porte aussi son nom[w 26].
Plusieurs navires de guerre ont porté son nom : le SMS Bismarck de 1877, le SMS Fürst Bismarck en 1897, ainsi que tous les navires de classe Bismarck durant la seconde Guerre mondiale. Les anciennes colonies allemandes, en Afrique ou dans l'Océan pacifique comportent de nombreux lieux se référant au chancelier allemand tels : l'archipel Bismarck, les monts Bismarck, le glacier Perito Moreno auparavant nommé « Bismarcksee » en allemand[w 27], la mer de Bismarck). Aux États-Unis, plusieurs villes portent son nom, comme la capitale du Dakota du nord fondée en 1872.
Dans de nombreuses grandes villes d'Allemagne des mémoriaux ont été érigés en son honneur. Le premier est érigé de son vivant à Bad Kissingen dans le quartier de Hausen, en 1877, Bismarck ayant fait plusieurs cures dans cette ville[w 28]. Des tours sont également érigées dans les campagnes pour l'honorer. La Première Guerre mondiale interrompt la construction d'un gigantesque mémorial national à Bingerbrück[w 29]. La plupart des statues y représentent Bismarck en uniforme. Ce type de représentation met plus l'accent sur l'état d'esprit qui régnait lors du règne de Guillaume II que sur la personnalité de Bismarck à proprement parler. En effet sa politique extérieure visait à partir de 1871 à établir un équilibre européen et n'avait plus de fins guerrières[l 187].
Dans l'art, et à côté des peintures historiques (comme celles de Franz von Lenbach ou de Christian Wilhelm Allers) mettant en scène l'unification de l'Empire allemand, on trouve également de nombreux poèmes patriotiques à la gloire du chancelier[w 30]. Depuis 1927 un musée Bismarck, construit par sa famille, existe à Friedrichsruh. À cause de la Seconde Guerre mondiale, il a dû être déménagé depuis le château, aujourd'hui détruit[w 31], vers l'ancienne maison de campagne. Il contient, en plus du mobilier d'époque, de nombreux documents, ainsi que la peinture d'Anton von Werner représentant la proclamation de l'unité allemande. Au même endroit, se trouve également le mausolée où gisent Otto von Bismarck et sa femme[w 32].
Dans l'ancienne gare de Friedrichsruh se trouve la fondation Otto-von-Bismarck (Otto-von-Bismarck-Stiftung)[w 33], qui tient une exposition permanente en l'honneur de l'ancien chancelier. Son but principal est la promotion d'une vision critique sur les écrits de Bismarck. À Göttingen, il est possible de visiter le logement étudiant de Bismarck, transformé en petit musée et dénommé Bismarckhäuschen[w 34]. Le musée Bismarck de Schönhausen se trouve, quant à lui, dans la maison natale du chancelier ; le musée a existé avant 1948 puis a rouvert ses portes en 1998 avec le soutien financier du Land de Saxe-Anhalt[w 35]. La même année, ouvre le musée Bismarck de Bad Kissingen, où le chancelier a réalisé, entre 1874 et 1893, pas moins de 15 cures[w 36]. Le 1er novembre 2004, un autre musée en l'honneur de Bismarck a ouvert à Jever[w 37].
[modifier] Historiographie
Depuis plus de 150 ans, la personnalité et les actions de Bismarck font l'objet de nombreuses polémiques et interprétations souvent contradictoires. Lechancelier inspire et influence fortement le monde littéraire germanique, les opinions politiques et religieuses, au moins jusqu'au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. L'historienne Karina Urbach explique en 1998 que : « Sa vie a été enseignée à au moins six générations d'Allemands, et on peut affirmer en toute honnêteté que toutes les deux générations une nouvelle version de Bismarck est apparue. Aucune autre figure politique allemande n'a été autant utilisée et détournée à des fins politiques[l 188]. »
[modifier] Durant l'Empire allemand
Bismarck est déjà de son vivant sujet à controverses. Dès les premières études biographiques à son sujet, dont certaines comportent plusieurs tomes, la complexité et l'opacité de sa personnalité sont mises en avant[note 4]. Le sociologue Max Weber voit de manière critique le rôle qu'a joué le chancelier dans le processus d'unification de l'Allemagne : « parce que l'unification allemande ne doit pas seulement être une œuvre visible depuis l'étranger, mais doit aussi être une unification interne à la nation, or chacun sait que ce dernier objectif n'est pas atteint. Avec les moyens mis en place par Bismarck, il ne pouvait être atteint[l 189]. » Theodor Fontane réalise durant les dernières années de sa vie un portrait dans lequel il compare le chancelier à Albrecht von Wallenstein[l 190]. Il juge que Bismarck se démarque fortement de ses contemporains : « C'est la personne la plus intéressante imaginable, je n'en connais de plus intéressante, mais ce penchant constant à tromper les autres, cette ruse dans son état le plus abouti, m'est particulièrement repoussante, et si je veux m'élever, me grandir, il faut que je me tourne vers d'autres héros[l 191]. »
Par ailleurs, les mémoires personnelles de Bismarck sont une source quasi inépuisable de citations à la gloire du chancelier. Au cours des décennies, elles constituent les fondements de l'image de Bismarck pour tous les Allemands, en particulier les nationalistes. À la même époque, se durcissent les critiques à son encontre[l 192]. De son vivant, le chancelier utilise son influence personnelle pour façonner l'image qu'il veut laisser dans l'histoire. Ainsi, il n'hésite pas à réguler l'accès à certains documents pour les historiens et à y effectuer des corrections manuscrites. Après sa mort, son fils Herbert continue les efforts de son père dans ce sens et veille à l'image paternelle pour la postérité[l 193].
À cause du contexte historique, notamment l'unification de l'Allemagne, les historiens sont pour la plupart en admiration devant le chancelier et cela les conduit vraisemblablement à idéaliser sa personne. Heinrich von Treitschke, par exemple, passe d'ennemi politique à grand admirateur du chancelier ; il considère l'unification comme un coup d'éclat dans l'histoire allemande. Treitschke et d'autres historiens sont fascinés par la capacité du chancelier à réformer, à effectuer la révolution par le haut, à changer l'ordre établi[l 194]. Le biographe Erich Marcks[l 195] écrit en 1906 : « Je confesse facilement mon admiration : cet être était si grand, en soit si imposant, pour son peuple, si significatif dans tous les domaines, que tout ce qui l'entoure a valeur historique »[l 196]. Cependant, Marcks, tout comme d'autres historiens de l'époque comme Heinrich von Sybel, considère le rôle de Bismarck comme secondaire en comparaison avec celui des Hohenzollern. D'ailleurs, dans les manuels scolaires ce n'est pas le chancelier mais bien Guillaume Ier qui est décrit comme étant le fondateur de l'Empire allemand[l 193].
Un pas décisif pour l'extrême mise en avant de Bismarck est accompli lors de la Première Guerre mondiale. En 1915, année du centenaire de la naissance de l'ancien chancelier, ont lieu des commémorations à des fins de propagandes, et ce de manière parfaitement assumée par le pouvoir en place[l 197]. Dans un grand mouvement de patriotisme, les historiens rappellent le devoir des soldats allemands de défendre la Grande Allemagne, réunie par Bismarck, contre les autres puissances européennes, se gardant bien au passage d'évoquer le fait que le chancelier n'a cessé sa vie durant de mettre en garde contre les dangers que représente une telle guerre. Les spécialistes de Bismarck tels Erich Marcks[l 198], Max Lenz[l 199] ou Horst Kohl[l 200] décrivent plutôt Bismarck comme un guide spirituel dans le domaine de l'effort de guerre.
[modifier] Durant la République de Weimar et le 3e Reich
La défaite allemande lors de la Première Guerre mondiale et le passage à la république de Weimar n'ont que peu d'influence sur l'image nationaliste de Bismarck ; en effet, les historiens de référence de l'époque restent profondément fidèles à la monarchie. Dans ce contexte d'humiliation et de chaos pour l'Allemagne, Bismarck représente la figure de proue de ce vers quoi il faut s'orienter. Il représente le génie qui doit permettre de surmonter la « honte de Versailles ». S'il y a quelques critiques sur son rôle historique, elles portent sur la solution petite-allemande, et pas sur l'unification nationale, qui s'est faite par la guerre et par le haut. Le traditionalisme empêche à l'époque la parution de biographies plus nuancées à son sujet. La mise en libre accès de nouveaux documents dans les années 1920 permet de nouvelles études, notamment sur son habileté diplomatique[l 201]. Dans une étude prémonitoire, Otto Jöhlinger analyse le premier, en 1921, l'antisémitisme de l'ancien chancelier[l 202]. L'historien y affirme que ses déclarations auraient été prononcées principalement au sein de cercles réactionnaires, son propre comportement envers les juifs étant avant tout guidé par le pragmatisme[l 201]. La biographie sur Bismarck la plus populaire de l'époque est celle de l'écrivain Emil Ludwig datant de 1926 ; elle propose en particulier une étude psychologique critique du chancelier, dans laquelle ce dernier est décrit comme un héros faustien dans le drame de l'histoire du XIXe siècle.
Avec l'accession au pouvoir du parti nazi, l'accent est mis sur la continuité historique existante entre Bismarck et Adolf Hitler, l'État national-socialiste étant l'aboutissement du mouvement d'unification allemande et même s'il n'est pas en accord avec la solution petite-allemande. Erich Marcks, qui est un auteur reconnu, soutient cette vision idéalisée de l'histoire. En Grande-Bretagne également, durant la Seconde Guerre mondiale, Bismarck est de plus en plus décrit comme le précurseur d'Hitler, comme le point de départ historique d'une histoire allemande à part. Pendant la guerre, les références à l'ancien chancelier se raréfient dans les discours du parti nazi, car ses mises en garde répétées contre une guerre avec la Russie ne sont plus, à partir de 1941, jugées opportunes. Il est alors perçu comme une source d'inspiration par certains membres de la résistance conservatrice[l 203].
En 1944 paraît Bismarck der Mann und des Staatsmann de Arnold Oskar Meyer, dans lequel sont interprétées les visions de Bismarck sur le peuple et la nation allemande. Cette œuvre est l'une des dernières à encenser le chancelier dans la tradition de l'Empire allemand. Même si les interprétations politiques de Meyer sont convaincantes, la défaite du IIIe Reich et le partage de l'Allemagne rendent très difficile la défense de la place de Bismarck en tant que héros de l'unification. Bismarck a en effet une influence majeure sur le cours de l'histoire, influence qui a conduit également à la déroute de l'Allemagne[l 204],[l 203].
Depuis la Grande-Bretagne où il s'est exilé, le juriste Erich Eyck publie une biographie très critique sur le chancelier, en trois volumes[l 205]. Il reproche à Bismarck ses méthodes machiavéliques et son manque de respect envers le droit, condamne son cynisme envers la démocratie, les valeurs libérales et humanistes, et l'accuse d'être responsable de l'échec de la démocratie en Allemagne. Selon lui, le système d'alliance bismarckien est certes construit de manière habile, mais il est totalement artificiel et est condamné par avance à l'échec[l 206],[l 207]. Pourtant, Eyck ne nie pas avoir une certaine admiration pour Bismarck : « Personne, d'où qu'il vienne, ne peut ne pas reconnaître qu'il était la figure centrale et dominante de son époque, qui, grâce à son incroyable puissance et une énergie tyrannique, a montré la voie. Personne ne peut lui retirer sa fascinante force d'attraction, pour le meilleur et pour le pire, elle lui était tout à fait remarquable[l 208]. »
[modifier] De l'après-guerre aux années 1990
Timbre allemand de 1965 pour le 150
e anniversaire de la naissance de Bismarck.
Après la guerre, certains historiens influents, comme Hans Rothfels ou Theodor Schieder, persistent dans leurs jugements globalement positifs, même différents, de Bismarck[l 209]. La biographie de Eyck, qui paraît dans les années 1950, suscite beaucoup de réactions en Allemagne. Gerhard Ritter accuse dans une lettre Eyck de n'avoir fait que rassembler un tas de clichés antigermaniques. À l'inverse, en 1946, en pleine crise allemande, Friedrich Meinecke, auparavant fervent admirateur de Bismarck, déclare que le traumatisme de l'échec de l'État national allemand empêche pour une longue période de fêter Bismarck[l 210].
En 1955, l'auteur britannique Alan J.P. Taylor publie une biographie de Bismarck fortement controversée, qui est orientée sur la psychologie du chancelier. Il essaie d'y expliquer la très complexe personnalité de Bismarck par un combat intérieur entre son héritage, paternel et maternel[l 211]. Il met en contraste l'instinct politique de Bismarck qui lutte pour établir une paix durable en Europe avec la politique extérieure agressive du temps de Guillaume II[l 212]. La première biographie allemande de Bismarck, qui paraît après la guerre, est celle de Wilhelm Mommsen, qui se différencie principalement de celles antérieures, par sa tentative d'adopter un point de vue objectif[l 213]. Mommsen loue l'adaptabilité politique du chancelier, tout en pensant que ses erreurs en matière de politique intérieure ne doivent pas masquer les conquêtes et progrès qu'a permis cet homme d'État[l 214].
Dans les années 1960 et 1970, les biographies des « grands hommes » perdent du terrain dans les rangs des historiens ouest-allemands. Les sujets d'études se déplacent de la personnalité et des actions de Bismarck vers les structures politiques, culturelles et sociales dans lesquelles elles ont pris place, ces structures étant elles-mêmes influencées en retour par le chancelier et ses actions. Faisant partie de l'école de Bielefeld, Hans-Ulrich Wehler, entre autres, étudie les campagnes de Bismarck contre les prétendus ennemis d'État (à savoir les socialistes, les jésuites, etc.). Ces méthodes dites d'« intégration négative » qui consistent à attiser la peur dans la population, ont permis de lier les différents milieux sociaux à l'Empire allemand. Dans ce cadre, Bismarck a ainsi réussi, dès 1878, à rapprocher deux groupes très influents, en l'occurrence les grands propriétaires (junkers) et les industriels, dans une sorte d'alliance « contre le progrès »[l 215]. En 1973, Wehler qualifie le système de commandement de Bismarck de « dictature bonapartiste », par son usage du charisme, du plébiscite et de la tradition[l 216]. Par la suite, Wehler tente d'interpréter le « commandement par le charisme » de Bismarck à travers les concepts de Max Weber[l 217].
À la fin des années 1970, on assiste au retour des études biographiques et à un recul de l'histoire sociale. Depuis lors, paraissent régulièrement des biographies de Bismarck, qui, pour la plupart, tentent soit de diaboliser soit de glorifier l'œuvre du premier chancelier. Elles essayent majoritairement de faire une synthèse entre son immense puissance d'un côté et le fait qu'il était fortement contraint par les structures politiques de son temps d'un autre[l 218]. Fritz Stern prend en 1978 un cheminement original en écrivant la double-biographie de Bismarck et de son banquier Gerson von Bleichröder[l 219]. Lothar Gall reprend le concept créé par Ludwig Bamberger et Henry Kissinger de « révolutionnaire blanc »[l 220]. Bismarck serait un monarchiste convaincu, qui voulait conserver les structures traditionnelles, mais qui a bouleversé complètement l'ordre établi et a été un grand modernisateur. Sur la fin, il ne pouvait plus contrôler les forces qu'il avait lui-même déchainées et ne pouvait plus que de s'efforcer de freiner les tendances modernisatrices[l 221],[l 222].
L'historien américain Otto Pflanze fait publier entre 1963 et 1990 une biographie en plusieurs volumes du chancelier allemand[l 223], et qui se différencie en se concentrant surtout sur la personnalité de Bismarck, analysée par les méthodes psychanalytiques, plutôt que sur ses actions. Pflanze critique Bismarck pour avoir écrit la constitution allemande en ayant à l'esprit avant tout des calculs politiques, avec des objectifs immédiats, plutôt qu'au long terme. Il lui retire le mérite d'avoir voulu réunir la nation allemande sous un même drapeau, idée à laquelle il n'a adhéré que tardivement, car, au départ, il ne voulait réaliser l'unification qu'afin d'accroître l'influence prussienne dans le concert des puissances européennes[l 221],[l 224].
L'historien est-allemand Ernst Engelberg publie en 1985 une biographie sur Bismarck[l 225], qui étonne fortement l'opinion publique d'Allemagne de l'Ouest. En effet, elle est particulièrement positive, et, mise à part la persécution faite aux socialistes, elle est très peu critique envers l'ancien chancelier. Engelberg perçoit, comme d'autres historiens est-allemand, la période accompagnant l'unification allemande, comme une phase de progrès, qui a permis une ralliement des classes ouvrières à la nation. Il ne voit d'ailleurs pas le chancelier comme un aventurier, mais comme un homme politique aux actions réfléchies et dont le caractère ne doit pas tant lui être imputer qu'à ses racines sociales de la petite noblesse allemande. Ce ne serait pas lui le responsable de la Première Guerre mondiale, mais ses successeurs[l 226].
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- ↑ Volker Ullrich 1998, p. 73
- ↑ Clark 2007, p. 611
- ↑ « Wenn wir geschlagen werden […] werde ich nicht hierher zurückkehren. Ich werde bei der letzten Attacke fallen. », dans Volker Ullrich 1998, p. 75
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- ↑ « Soll Revolution sein, so wollen wir sie lieber machen als erleiden. », dans Volker Ullrich 1998, p. 79
- ↑ « Revolutionen machen in Preußen nur die Könige. » dans Winkler 2002, p. 185
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- ↑ Gall 2002, p. 401
- ↑ Herre 1991, p. 273
- ↑ « ein willkürliches, nur nach subjektiven Gründen bestimmtes Eingreifen in die Entwicklung der Geschichte hat immer nur das Abschlagen unreifer Früchte zur Folge gehabt; und daß die deutsche Einheit in diesem Augenblick keine reife Frucht ist, fällt meines Erachtens in die Augen. », dans Gall 2002, p. 415
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- ↑ Gall 2002, p. 461
- ↑ « Es ist nicht leicht unter einem solchen Kanzler Kaiser zu sein. », dans Volker Ullrich 1998, p. 102
- ↑ « Mein Öl ist verbraucht, ich kann nicht mehr. », dans Volker Ullrich 1998, p. 111
- ↑ Rudolf Vierhaus 1989, p. 146
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- ↑ « Wir verfolgen keine Macht-, sondern eine Sicherheitspolitik », dans Nipperdey 1995, p. 427
- ↑ Nipperdey 1995, p. 432
- ↑ Volker Ullrich 1998, p. 95-97
- ↑ Nipperdey 1995, p. 433
- ↑ « einer politischen Gesamtsituation [aus], in welcher alle Mächte außer Frankreich unser bedürfen, und von Koalitionen gegen uns durch ihre Beziehungen zueinander nach Möglichkeit abgehalten werden. », dans Volker Ullrich 1998, p. 98
- ↑ « Bollwerk des Friedens über lange Jahre hinaus. Populär bei allen Parteien, exklusive Nihilisten und Sozialisten. », dans Gall 2002, p. 595
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- ↑ Nipperdey 1995, p. 433-445
- ↑ Wehler 1985, p. 436
- ↑ Volker Ullrich 1998, p. 101
- ↑ « Ihre Karte von Afrika ist ja sehr schön, aber meine Karte von Afrika liegt in Europa. Frankreich liegt links, Russland liegt rechts, in der Mitte liegen wir. Das ist meine Karte von Afrika. », dans Volker Ullrich 1998, p. 101
- ↑ Volker Ullrich 1998, p. 100
- ↑ Nipperdey 1995, p. 445-453
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- ↑ Loth 1996, p. 44-50
- ↑ Morsey 2001, p. 43-72
- ↑ Volker Ullrich 1998, p. 105
- ↑ « Mein Leben erhalten und verschönern zwei Dinge, meine Frau und Windthorst. Die eine ist für die Liebe da, der andere für den Hass. », dans Gall 2002, p. 473
- ↑ Morsey 2001, p. 52
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- ↑ Engelberg 1990, p. 254
- ↑ Loth 1996, p. 59-63
- ↑ « Eine Fraktion kann sehr wohl die Regierung unterstützen und dafür einen Einfluss auf sie gewinnen, aber wenn sie die Regierung regieren will, dann zwingt sie die Regierung, ihrerseits dagegen zu reagieren. », dans Volker Ullrich 1998, p. 108
- ↑ Gall 2002, p. 558, 563
- ↑ « 1. Entgegenkommen gegen die Wünsche der arbeitenden Klassen, 2. Hemmung der staatsgefährlichen Agitation durch Verbots- und Strafgesetze. », dans Gall 2002, p. 497
- ↑ « Vernichtungskrieg führen durch Gesetzesvorlagen, welche die sozialdemokratischen Vereine, Versammlungen, die Presse, die Freizügigkeit (durch die Möglichkeit der Ausweisung und Internierung) […] träfen. », dans Volker Ullrich 1998, p. 106
- ↑ Gall 2002, p. 564, 570
- ↑ Engelberg 1990, p. 306
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- ↑ Serge D'Agostino, Libre-échange et protectionnisme, Breal, 2003 (ISBN 2-7495-0212-8) [lire en ligne (page consultée le 27 mars 2012)], p. 36
- ↑ Loth 1996, p. 64-67
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- ↑ Volker Ullrich 1998, p. 108
- ↑ Gall 2002, p. 604
- ↑ Gall 2002, p. 606
- ↑ « in der großen Masse der Besitzlosen die konservative Gesinnung erzeugen, welche das Gefühl der Pensionsberechtigung mit sich bringt. », dans Loth 1996, p. 68
- ↑ Engelberg 1990, p. 390
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- ↑ a et b Loth 1996, p. 72-81
- ↑ « Brausekopf, könne nicht schweigen, sei Schmeichlern zugänglich und könne Deutschland in einen Krieg stürzen, ohne es zu ahnen und zu wollen. », dans Volker Ullrich 1998, p. 117
- ↑ « Sechs Monate will ich den Alten verschnaufen lassen, dann regiere ich selbst. », dans Siegfried Fischer-Fabian 2006, p. 212.
- ↑ Alexandre de Hohenlohe 1928, p. 119
- ↑ Alfred Milatz 1981, p. 758
- ↑ « Es ist ein Glück, dass wir ihn los sind. Er war eigentlich nur noch Gewohnheitsregente (sic!), tat was er wollte, und forderte immer mehr Devotion. Seine Größe lag hinter ihm. », dans Volker Ullrich 1998, p. 120
- ↑ Volker Ullrich 1998, p. 115-121
- ↑ « Aber das kann man nicht von mir verlangen, dass ich, nachdem ich vierzig Jahre lang Politik getrieben, plötzlich mich gar nicht mehr damit abgeben soll. », dans Volker Ullrich 1998, p. 122
- ↑ « Bei nichts, was misslungen ist, will er beteiligt gewesen sein, und niemand lässt er neben sich gelten. », dans Volker Ullrich 1998, p. 7
- ↑ Volker Ullrich 1998, p. 7
- ↑ Alfred Vagtsh 1965, p. 161
- ↑ « Alle Brücken sind abgebrochen. », dans Volker Ullrich 1998, p. 124
- ↑ a et b Volker Ullrich 1998, p. 122-128
- ↑ a et b Engelberg 1985, p. 760
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- ↑ Wehler 1985, p. 452
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- ↑ Vallotton 2002
- ↑ Vallotton 2002, p. 63
- ↑ Volker Ullrich 1998, p. 129
- ↑ « His life has been taught to at least six generations, and one can fairly say that almost every second German generation has encountered another version of Bismarck. No other German political figure has been as used and abused for political purposes. », dans Karina Urbach 1998, p. 1142
- ↑ « Denn dieses Lebenswerk hätte doch nicht nur zur äußeren, sondern auch zur inneren Einigung der Nation führen sollen und jeder von uns weiß: das ist nicht erreicht. Es konnte mit seinen Mitteln nicht erreicht werden. », dans Volker Ullrich 2006, p. 29
- ↑ Theodor Fontane 2007
- ↑ « Er ist die denkbar interessanteste Figur, ich kenne keine interessantere, aber dieser beständige Hang, die Menschen zu betrügen, dies vollendete Schlaubergertum ist mir eigentlich widerwärtig, und wenn ich aufrichten, erheben will, so muss ich doch auf andere Helden blicken. », dans Volker Ullrich 1998, p. 148
- ↑ Volker Ullrich 1998, p. 8
- ↑ a et b Karina Urbach 1998, p. 1145-1146
- ↑ Ewald Frie et 2004, p. 3
- ↑ Erich Marcks et 1940
- ↑ « Und zu dem Glauben bekenne ich mich gerne: dieses Dasein war so groß, in sich so gewaltig, für sein Volk so umfassend bedeutungsreich, dass an ihm alles, soweit es nur Leben hat, historisch wertvoll ist. », dans Volker Ullrich 1998, p. 148
- ↑ Adolf Matthias 1915
- ↑ Erich Marcks 1916
- ↑ Max Lenz 1915
- ↑ Horst Kohl 1915
- ↑ a et b Karina Urbach 1998, p. 1148-1149
- ↑ Otto Jöhlinger 1921
- ↑ a et b Karina Urbach 1998, p. 1149-1153
- ↑ Loth 1996, p. 203
- ↑ Erich Eyck 1941-1944
- ↑ Loth 1996, p. 205
- ↑ Karina Urbach 1998, p. 1152-1153
- ↑ « Aber niemand, wo immer er steht, kann verkennen, dass er die zentrale und beherrschende Figur seiner Zeit ist und mit ungeheurer Kraft und tyrannischer Energie ihr die Wege gewiesen hat. Und niemand kann sich der faszinierenden Anziehungskraft dieses Menschen entziehen, der im guten wie im bösen immer eigenartig und bedeutend ist. », dans Volker Ullrich 1998, p. 148
- ↑ Loth 1996, p. 204
- ↑ Karina Urbach 1998, p. 1153
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[modifier] Références web
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- ↑ L'État et la nation allemande, dossier du service éducatif et culturel de l'Historial de Péronne
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- ↑ (de) histoire de la Zeche Graf Bismarck. Consulté le 28 mars 2011.
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- ↑ (de) site de l'Otto-von-Bismarck-Stiftung. Consulté le 28 mars 2011.
- ↑ (de) histoire de la Bismarckhäuschen.
- ↑ (de) site du musée Bismarck de Schönhausen. Consulté le 28 mars 2011.
- ↑ (de) musée Bismarck de Bad Kissingen.
- ↑ (de) musée de Jever.
- ↑ Il est directement suivi par Leo von Caprivi le 20 mars
- ↑ « Péril en la demeure » en latin.
- ↑ Une livre anglaise vaut 453 grammes.
- ↑ Exemples de différentes biographies sur Bismarck de son vivant :
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