L’année 1858 a marqué un tournant dans l’histoire de l’opérette française puisque désormais la réglementation, qui limitait le nombre des personnages sur scène pour un même ouvrage, est assouplie.
Hervé, comme
Offenbach, allait pouvoir donner toute la mesure de son talent.
Alors qu’Offenbach, libéré des contraintes, fait jouer dès 1858,
Orphée aux Enfers, opéra-bouffon en 2 actes, Hervé se donne du temps : sa première « grande » opérette date de 1866 (Les chevaliers de la table ronde). Pendant ce temps, Offenbach a déjà créé à
Paris, outre
Orphée,
Geneviève de Brabant (1859), Barkouf (
1860),
Le pont des soupirs (1861), Les Géorgiennes,
La belle Hélène (
1864), et enfin Barbe-Bleue (1866).
Hervé pensait que la réussite de ses Chevaliers allait lui ouvrir les portes des théâtres parisiens.
Mais, les Bouffes-Parisiens, le
Palais Royal et les
Variétés restaient des « chasses gardées ».
Il se tourne alors vers le théâtre des
Folies Dramatiques qui vivote. Le directeur Moreau-Santini hésite et accepte enfin V’lan dans l’œil (qui sera joué sous le titre de L’œil crevé), paroles et musique d’Hervé. C’est un succès immédiat, qui se prolongera dix mois. Moreau-Santini s’empresse alors d’accepter Chilpéric, le second ouvrage que lui propose le compositeur.
Les répétitions se déroulent fort calmement, si ce n’est que la plantureuse
Blanche d’Antigny remplace au dernier moment
Julia Baron, qui tombe malade (rôle de Frédégonde). Hervé tient le rôle-titre. Le livret est précédé, écrit
Louis Schneider (1), « d’une préface burlesque et plaisante… où il explique très clairement son esthétique de l’opérette » : «
Tout d’abord exposons notre plan… Notre plan ?
... Ma foi, je n’en ai pas… Ah ! si fait cependant : celui de faire sourire le public dans l’intervalle de nos morceaux de musique
. ».
Le succès de Chilpéric fut considérable.
Le Prince de
Galles, de présence à Paris assista à l’une des représentations : «
Quel dommage qu’Hervé ne sache pas l’anglais ! S’il venait à Londres, il aurait un succès fou. », déclara-t-il.
On rapporte le propos à Hervé ; il s’engage à apprendre l’anglais en quelques mois pour tenir le rôle lui-même à Londres. Sitôt dit… Au Lycéum de Londres, le succès est énorme. A l’entracte, le
Prince de Galles manifeste le désir d’entendre à nouveau la « Chanson du jambon » qu’Hervé interprétait à cheval. Ainsi, au second acte, dans le décor représentant la chambre de Frédégonde, Hervé caracolant sur sa monture, chante à nouveau l’air demandé… Triomphe assuré.
Chilpéric ne connut guère de reprises par la suite. On connaît celle des Variétés en
1895, au livret remanié par
Paul Ferrier. D’ailleurs, pendant fort longtemps, Hervé n’était connu que par sa
Mam’zelle Nitouche (1883), ouvrage qui resta au répertoire jusqu’à ces dernières décennies, mais qui n’est plus joué aujourd’hui que très ponctuellement. Quelques rares initiatives isolées sortent d’un oubli total la trilogie V’lan dans l’œil (salle Favart,
1998), Chilpéric (
Angers,
2012) et Le petit
Faust (Auvers-sur-Oise,
1997)
Mais qui était donc Chilpéric ?
Chilpéric Ier (539-584), roi
Franc mérovingien, était le 4e fils de Clotaire. Il reçut en partage le royaume de
Soissons (561), tenta de dépouiller son frère Sigebert et lui enleva
Reims, mais fut repoussé et faillit perdre ses états. Epoux de
Galswinthe, il la fit étrangler pour complaire à sa maîtresse, Frédégonde, qu’il épousa ensuite.
A la suite de plusieurs guerres désastreuses contre l’Austrasie, la nouvelle épouse poussa Chilpéric au meurtre de Sigebert, inspira tous les crimes qui furent commis sous son règne, et finit par le faire assassiner lui-même, parce qu’il aurait découvert qu’elle le trompait avec Landry, officier du Palais. Chilpéric tenta diverses réformes dans la foi, l’administration et même dans la grammaire. Il était poète et bel esprit.
- published: 27 Apr 2015
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