En s’obstinant contre les obstacles sociaux, on diminue souvent le handicap
Les résultats de l’enquête de recensement des étudiants en situation de handicap pour l’année universitaire 2010-2011 montrent une hausse d’effectifs de 16,39 % comparativement à l’année précédente et de plus du double de ceux d’il y a dix ans. Ce pourcentage concerne les universités et s’élève à 17,47% pour l’ensemble d’établissements de l’enseignement supérieur ainsi que pour les sections de technicien supérieur aux lycées et les classes préparatoires aux grandes écoles. La politique incitative des différents acteurs (ministères, Conférence des présidents d’université, bureaux d’accueil des étudiants) pour assurer l’égalité d’accès aux études supérieures des étudiants en situation de handicap, en application de la loi du 11 février 2005, commence à produire des effets. Les actions menées par les établissements d’enseignement supérieur, qui créent ou améliorent les conditions d’accès aux savoirs des personnes porteuses d’une déficience ou d’une maladie chronique, contribuent à un changement de paradigme sur le handicap. En effet, et pour revenir au titre de cet article librement inspiré de celui du sociologue Bernard Mottez, « À s’obstiner contre les déficiences on augmente souvent le handicap : l’exemple des sourds » (publié en 1977 dans la revue Sociologie et société, ce texte a été réédité in Bernard Mottez, Les Sourds existent-ils ? ; textes réunis et présentés par Andrea Benvenuto, L’Harmattan, Paris, 2006), le changement survient à condition que les politiques sociales, économiques, institutionnelles et de santé publique ne concentrent pas exclusivement leurs efforts sur l’adaptation ou la réhabilitation de la déficience, mais portent aussi sur les conditions de l’exclusion sociale subie par un individu en raison de sa déficience. Autrement dit, qu’un étudiant sourd ou paraplégique ne puisse pas accéder aux séminaires à cause de sa surdité ou parce que la salle est placée au troisième étage, ne dépend pas fatalement du fait qu’il n’entend pas ou qu’il est en fauteuil roulant, mais de la présence (ou non) des interprètes en langue des signes ou de l’existence (et du bon fonctionnement) d’un ascenseur qui lui soit accessible.
La politique visant la réparation de la déficience comme condition première d’intégration sociale de l’individu, a comme résultat – selon Bernard Mottez – l’augmentation du handicap au lieu de sa prétendue diminution. L’attribution de moyens financiers, techniques et humains pour surmonter les obstacles produit une reconfiguration des possibilités d’une personne porteuse d’une déficience quant aux lieux et aux rôles sociaux dont elle était auparavant exclue. L’augmentation des effectifs dans l’université peut s’expliquer, en partie, par le fait que les informations des mesures mises en place par les missions handicap des universités sont de plus en plus relayées par les canaux institutionnels, la presse et les réseaux associatifs. Les jeunes sont plus informés et s'aventurent à franchir les portes des établissements. À l'EHESS ils étaient 13 en 2005, cette année 35 étudiants ont déclaré un handicap au moment de leur inscription.
Mais cette politique d'accueil qui présente aujourd'hui des résultats encourageants est encore insuffisante. Un élément indicatif du chemin qui reste à parcourir est l’écart entre l'accès aux études supérieures de la population générale et des étudiants en situation de handicap. Dix points séparent ces derniers de la population générale au niveau master, tandis que 1,74%, contre 6,53% de la population générale, sont inscrits en doctorat. En licence, en revanche, le pourcentage d'inscription de la population générale reste inférieur (61,10%) à celui des étudiants en situation de handicap (76,73%).
Au moment où doit être renouvelée la charte Université/Handicap, signée entre les présidents des universités et les ministères du Travail et de l'Enseignement supérieur, une nouvelle difficulté se profile à l’horizon. Selon les termes de l'engagement pris par cette charte, la politique d'accueil des étudiants est soutenue par le financement des actions spécifiques destinées aux étudiants par le ministère de l'Enseignement supérieur, et par les structures spécialement créées pour la mise en œuvre de ces mesures par les universités. Le passage aux responsabilités et compétences élargies nécessitera sans doute une révision de cette charte et le financement des actions spécifiques, autonomie financière oblige, devra être dorénavant assumé par les universités. Il reste donc à espérer que les obstacles budgétaires ne constitueront pas une entrave à l'accroissement du nombre d’étudiants en situation de handicap désireux de s’inscrire dans les universités et que l'autonomie n’aura pas comme revers de produire à nouveau de l'exclusion.