Suite de la circulaire du Conseil général de l’A.I.T. ( première partie ici).
III
La présence en Suisse de quelques-uns des proscrits français qui y avaient trouvé refuge vint redonner une lueur de vie à l’Alliance.
Les internationaux de Genève firent pour les proscrits, tout ce qui était en leurs pouvoirs. Ils leur assurèrent des secours dès le premier moment et empêchèrent, par une agitation puissante, les autorités suisses d’accorder l’extradition demandée par le gouvernement de Versailles. Plusieurs coururent de graves dangers en allant en France aider des réfugiés à gagner la frontière. Quel ne fut donc pas l’étonnement des ouvriers genévois en voyant quelques meneurs, tels que B. Malon (1), se mettre aussitôt en rapport avec les hommes de l’ Alliance et avec l’aide de N. Joukowsky, l’ex-secrétaire de l’Alliance, essayer de fonder à Genève, en dehors de la Fédération romande, la nouvelle “Section de propagande et d’action révolutionnaire socialiste”. Dans le premier article de ses statuts, elle « déclare adhérer aux statuts généraux de l’Association Internationale des Travailleurs, en se réservant toute la liberté d’action et d’initiative qui lui est donnée comme conséquence logique du principe d’autonomie et de fédération reconnu par les statuts et les Congrès de l’Association. » En d’autres termes, elle se réserve toute liberté de continuer l’œuvre de l’Alliance.
Dans une lettre de Malon, du 20 octobre 1871, cette nouvelle section adressa au Conseil général, pour la troisième fois, la demande de son admission dans l’Internationale. Conformément à la résolution V du Congrès de Bâle, le Conseil consulta le Comité fédéral de Genève, qui protesta vivement contre la reconnaissance par le Conseil de ce nouveau « foyer d’intrigues et de dissensions ». Le Conseil fut, en effet, assez « autoritaire » pour ne pas vouloir imposer à toute une Fédération les volontés de B. Malon et de N. Joukowsky, ex-secrétaire de l’Alliance.
La Solidarité ayant cessé d’exister, les nouveaux adhérents de l’Alliance fondèrent la Révolution Sociale, sous la direction supérieure de Madame André Léo, qui venait de déclarer au Congrès de la Paix à Lausanne: que « Raoul Rigault et Ferré étaient les deux figures sinistres de la Commune, qui jusque-là (jusqu’à l’exécution des otages) n’avaient cessé, toujours en vain, de réclamer des mesures sanglantes ».
Dès son premier numéro, ce journal s’empressa de se mettre au niveau du Figaro, du Gaulois, du Paris-Journal et autres organes orduriers, dont il réédita les saletés contre le Conseil général. Le moment lui parut opportun d’allumer, même dans l’Internationale, le feu des haines nationales. D’après lui, le Conseil général était un comité allemand, dirigé par un cerveau bismarkien (2).
Après avoir bien établi que certains membres du Conseil général ne pouvaient se piquer d’être « Gaulois avant tout », la Révolution sociale ne sut que s’emparer du deuxième mot d’ordre que la police européenne faisait circuler et dénoncer l’autoritarisme du Conseil.
Quels étaient donc les faits sur lesquels s’appuyaient ces criailleries puériles ? Le Conseil général avait laissé mourir l’Alliance de sa mort naturelle et, d’accord avec le Comité fédéral de Genève, en avait empêché la résurrection. En outre, il avait requis le Comité de la Chaux-de-Fonds de prendre un nom qui lui permit de vivre en paix avec la grande majorité des Internationaux romands.
En dehors de ces actes « autoritaires”, quel usage le Conseil général avait-il fait, depuis octobre 1869 jusqu’en octobre 1871, des pouvoirs assez étendus que lui avait conféré le Congrès de Bâle ?
1) Le 8 février 1870, la « Société des prolétaires positivistes » de Paris demanda au Conseil général son admission. Le Conseil répondit que les principes positivistes ayant trait au capital, énoncés dans les statuts particuliers de la Société, étaient en contradiction flagrante avec les considérants des statuts généraux; qu’il fallait donc les rayer et entrer dans l’Internationale non comme « positivistes » mais comme « prolétaires », tout en restant libres de concilier leurs opinions théoriques avec les principes généraux de l’Association. La section, ayant reconnu la justesse de cette décision, entra dans l’Internationale.
2) A Lyon, il y avait eu scission entre la section de 1865 et une section de formation récente, où, au milieu d’honnêtes ouvriers, l’Alliance était représentée par Albert Richard et Gaspard Blanc. Comme il est d’usage dans pareils cas, le jugement d’une cour d’arbitrage, formée en Suisse, ne fut pas reconnu. Le 15 février 1870, la section de formation récente ne demanda pas seulement au Conseil général de statuer sur ce différend, en vertu de la résolution VII du Congrès de Bâle, mais elle lui envoya un jugement tout prêt, excluant et marquant d’infâmie les membres de la section de 1865, jugement qu’il devait signer et renvoyer par le retour du courrier. Le Conseil blâma cette procédure inouïe et requit des pièces justificatives. A la même demande, la section de 1865 répondit que, les pièces à charge contre Albert Richard ayant été soumises à la cour d’arbitrage, Bakounine s’en était emparé et refusait de les rendre, et par conséquent elle ne pouvait satisfaire d’une manière absolue aux désirs du Conseil général. La décision du Conseil, en date du 8 mars, sur cette affaire, ne souleva aucune objection ni d’un côté ni de l’autre.
3 ) La branche française de Londres, ayant admis des éléments d’un caractère plus que douteux, s’était peu à peu transformée en une commandite de M. Félix Pyat. Elle lui servait à organiser des démonstrations compromettantes pour l’assassinat de L. Bonaparte, etc. , et à propager en France, sous le couvert de l’Internationale, ses manifestes ridicules. Le Conseil général se borna à déclarer dans les organes de l’Association, que M. Pyat n’étant pas membre de l’Internationale, elle ne pouvait être responsable de ses faits et gestes. La branche française déclara alors qu’elle ne reconnaissait ni le Conseil général, ni les Congrès: elle fit afficher sur les murs de Londres qu’en dehors d’elle, l’Internationale était une société anti-révolutionnaire. L’arrestation des internationaux français, à la veille du plébiscite, sous le prétexte d’une conspiration, ourdie en réalité par la police, et à laquelle les manifestes pyatistes donnèrent un air de vraisemblance, força le Conseil général à publier dans la Marseillaise et le Réveil sa résolution du 10 mai 1870, déclarant que la soi-disant branche française n’appartenait plus à l’Internationale depuis plus de deux ans, et que ses agissements étaient l’œuvre d’agents policiers. La nécessité de cette démarche est prouvée par la déclaration du Comité fédéral de Paris, dans les mêmes journaux, et par celle des Internationaux parisiens, lors de leur procès, – toutes deux s’appuyant sur la résolution du Conseil. La branche française disparut au commencement de la guerre, mais, comme l’Alliance en Suisse, elle devait reparaître à Londres avec de nouveaux alliés et sous d’autres noms.
Dans les derniers jours de la Conférence, il se forma à Londres, parmi les proscrits de la Commune, une « section française de 1871 » forte d’environ 35 membres. Le premier acte “autoritaire” du Conseil général fut de dénoncer publiquement le secrétaire de cette section, Gustave Durand, comme espion de la police française. Les documents que nous possédons, prouvent l’intention de la police de faire assister Durand, d’abord à la Conférence et de l’introduire plus tard au sein du Conseil général. Les statuts de la nouvelle section enjoignant à ses membres de « n’accepter aucune délégation au Conseil général autre que de sa section”, les citoyens Theisz et Bastelica se retirèrent du Conseil.
Le 17 octobre, la section délégua au Conseil deux de ses membres, porteurs de mandats impératifs, dont l’un n’était autre que M. Chautard, ex-membre du Comité d’artillerie, que le Conseil déclina de s’adjoindre avant d’avoir examiné les statuts de « la section de 1871 » (3). Il suffira de rappeler ici les points principaux du débat auquel ont donné lieu ces statuts. Ils portent, dans l’article 2 : « Pour être reçu membre de sa section, il faut justifier de ses moyens d’existence, présenter des garanties de moralité, etc. » Dans sa résolution du 17 octobre 1871, le Conseil proposa de rayer les mots: justifier de ses moyens d’existence. « Dans des cas douteux, disait le Conseil, une section peut bien prendre des informations sur les moyens d’existence comme « garantie de moralité », tandis qu’en d’autres cas, tels que ceux des réfugiés, des ouvriers en grève, etc., l’absence des moyens d’existence peut bien être une garantie de moralité. Mais demander aux candidats de justifier de leurs moyens d’existence comme condition générale pour être admis dans l’Internationale, serait une innovation bourgeoise, contraire à l’esprit et à la lettre des statuts généraux ». La section répondit: « que les statuts généraux rendent les sections responsables de la moralité de leurs membres et leur reconnaissent par conséquent le droit de prendre, comme elles l’entendent, leurs garanties ». A cela le Conseil général répliquait le 7 novembre: « D’après cette manière de voir, une section internationale fondée par les teetotallers ( sociétés de tempérance) pourrait installer dans ses statuts particuliers un article ainsi conçu: Pour être reçu membre de la section, il faut jurer de s’abstenir de toute boisson alcoolique. En un mot, les conditions d’admission, dans l’Internationale, les plus absurdes et les plus disparates, pourraient être imposées par les statuts particuliers des sections, toujours sous le prétexte qu’elles entendent, de cette manière, s’assurer de la moralité de leurs membres… « Les moyens d’existence des grévistes, ajoute la section française de 1871, consistent dans la caisse des grèves.» On peut répondre à cette phrase, d’abord que cette caisse est souvent fictive… De plus, des enquêtes officielles anglaises ont prouvée que la majorité des ouvriers anglais… est forcée – soit par la grève ou le chômage, soit par l’insuffisance des salaires ou par suite des termes de paiement ou bien d’autres causes encore – d’avoir recours sans cesse au Mont-de-Piété ou aux dettes, moyens d’existence dont on ne pourrait exiger la justification sans s’immiscer d’une manière inqualifiable dans la vie privée des citoyens. Or, de deux choses l’une: ou la section ne cherche dans les moyens d’existence que des garanties de moralité… et alors la proposition du Conseil général remplit ce but… ou la section, dans l’article II de ses statuts, a intentionnellement parlé de la justification des moyens d’existence comme condition d’admission en outre des garanties de moralité… et dans ce cas, le Conseil affirme que c’est une innovation bourgeoise contraire à la lettre et à l’esprit des statuts généraux ».
Dans l’article XI de leurs statuts, il est dit: « Un ou plusieurs délégués seront envoyés au Conseil général ». Le Conseil demanda que cet article fut rayé, « parce que les statuts généraux de l’Internationale ne reconnaissent aucun droit aux sections d’envoyer des délégués au Conseil général ». « Les statuts généraux, – ajouta-t-il, – ne reconnaissent que deux modes d’élection pour les membres du Conseil général: soit leur élection par le Congrès, soit leur adjonction par le Conseil général… ». Il est bien vrai que les différentes sections existant à Londres avaient été invitées à envoyer des délégués au Conseil général qui, pour ne pas enfreindre les statuts généraux, a toujours procédé de la manière suivante: Il a d’abord déterminé le nombre de délégués à envoyer par chaque section, se réservant le droit de les accepter ou de les refuser, suivant qu’il les jugeait propres aux fonctions générales qu’il doivent remplir. Ces délégués devenaient membres du Conseil général non en vertu de la délégation qu’ils avaient reçue de leurs sections, mais en vertu du droit que les statuts généraux donnent au Conseil de s’adjoindre de nouveaux membres. Ayant fonctionné jusqu’à la décision prise par la dernière Conférence, et comme le Conseil général de l’Association Internationale, et comme le Conseil central pour l’Angleterre, le Conseil de Londres trouva utile d’admettre, en dehors des membres qu’il s’adjoignait directement, des membres délégués en premier lieu par leurs sections respectives. On se tromperait étrangement en voulant assimiler le mode d’élection du Conseil général à celui du Conseil fédéral de Paris, lequel n’était même pas un Conseil national, nommé par un Congrès national, comme par exemple le Conseil fédéral de Bruxelles ou celui de Madrid. Le Conseil fédéral de Paris n’était qu’une délégation des sections parisiennes… Le mode d’élection du Conseil général est déterminé par les statuts généraux… et ses membres ne sauraient accepter d’autre mandat impératif que celui des statuts et règlements généraux… Si l’on prend en considération le paragraphe qui le précède, l’article XI n’a d’autre sens que de changer complètement la composition du Conseil général et d’en faire, contrairement à l’article III des statuts généraux, une délégation des sections de Londres où l’influence des groupes locaux se sibstituerait à celle de toute l’Association Internationale des Travailleurs. » Enfin, le Conseil général, dont le premier devoir consiste en l’exécution des décisions des Congrès (voir l’article 1 du règlement administratif du Congrès de Genève) dit qu’il « considère comme n’ayant nullement trait à la question… les idées émises par la section française de 1871 sur un changement radical à apporter dans les articles des statuts généraux relatifs à sa constitution ».
D’ailleurs le Conseil déclara qu’il admettrait deux délégués de la section aux mêmes conditions que ceux des autres sections de Londres.
La « section de 1871 », loin d’être satisfaite de cette réponse, publia, le 14 décembre, une « déclaration » signée par tous ses membres dont le nouveau secrétaire fut peu de temps après expulsé comme indigne, de la société des réfugiés. D’après cette déclaration, le Conseil général, en refusant d’usurper des attributions législatives, se rendit coupable « d’une rétrogradation toute naturaliste de l’idée sociale. »
Voici maintenant quelques échantillons de la bonne foi qui a présidé à l’élaboration de ce document.
La Conférence de Londres avait approuvé la conduite des ouvriers allemands pendant la guerre. Il était évident que cette résolution, proposée par un délégué suisse, appuyée par un délégué belge, et votée à l’unanimité, n’avait trait qu’aux internationaux allemands, qui ont expié dans la prison et expient encore leur conduite antichauvinique pendant la guerre. De plus, pour obvier à toute interprétation malveillante, le secrétaire du Conseil général pour la France venait d’expliquer dans une lettre, publiée par le Qui vive!, la Constitution, le Radical, l’Emancipation, l’Europe, etc, le véritable sens de la résolution. Néanmoins, huit jours après, le 20 novembre 1871, quinze membres de la « section française de 1871 » inséraient dans le Qui vive! une « protestation » pleine d’injures contre les ouvriers allemands et dénonçait la résolution de la Conférence comme la preuve irrécusable de « l’idée pangermanique » qui possède le Conseil général. De son côté, toute la presse féodale, libérale et policière de l’Allemagne s’empara avidement de cet incident pour démontrer aux ouvriers allemands le néant de leurs rêves internationaux. Après tout, la protestation du 20 novembre fut endossée par toute la section de 1871 dans sa déclaration du 14 décembre.
Pour établir « la pente indéfinie de l’autoritarisme sur laquelle glisse le Conseil général », elle cite « la publication par ce même Conseil général d’une édition officielle des statuts généraux révisés par lui. » Il suffit de jeter un coup d’œil sur la nouvelle édition des statuts pour voir qu’à chaque alinéa se trouve, dans l’appendice, le renvoi établissant aux sources de son authenticité ! Quant aux mots « édition officielle », le premier Congrès de l’Internationale avait décidé que « le texte officiel et obligatoire des statuts et règlements généraux serait publié par le Conseil général ». (Voir Congrès ouvrier de l’Association internationale des travailleurs tenu à Genève du 3 au 8 septembre 1866, page 27, note.)
Il va sans dire que la section de 1871 était en rapports suivis avec les dissidents de Genève et de Neufchâtel. Un de ses membres qui avait déployé plus d’énergie à attaquer le Conseil général qu’il n’en mit jamais à défendre la Commune, Chalain, se vit tout à coup réhabilité par B. Malon, qui naguère encore portait contre lui des accusations très graves, dans une lettre à un membre du Conseil. Du reste la « section française de 1871 » venait à peine de lancer sa déclaration, quand la guerre civile éclata dans ses rangs. D’abord Theisz, Avrial et Camélinat s’en retirèrent. Dès lors elle se morcela en plusieurs petits groupes, dont l’un est dirigé par le sieur Pierre Venisier, expulsé du Conseil général pour ses calomnies contre Varlin et autres, et puis chassé de l’Internationale par la Commission belge, que le Congrès de Brucelles, 1868, avait nommée. Un autre de ces groupes est fondé par B. Landeck, que la fuite imprévue du préfet de police Pietri, au 4 septembre, a libéré de son engagement « scrupuleusement tenu de ne plus s’occuper d’affaires politiques ni de l’Internationale en France ! » (Voir Troisième procès de l’Association Internationale des Travailleurs de Paris, 1870, p. 4). De l’autre côté, la masse des réfugiés français à Londres a formé une section qui est en harmonie complète avec le Conseil général.
IV
Les hommes de l’Alliance, cachés derrière le Comité fédéral de Neufchâtel, voulant tenter un nouvel effort, sur un plus vaste terrain, pour désorganiser l’Internationale, convoquèrent un Congrès de leurs sections à Sonvillier pour le 12 novembre 1871. — déjà en juillet, deux lettres de maître Guillaume à son ami Robin menaçaient le Conseil général d’une pareille campagne, s’il ne consentait à leur donner raison contre « les brigands de Genève » .
Le congrès de Sonviller se composait de seize délégués, prétendant représenter en tout neuf sections, dont la nouvelle « section de propagande et d’action révolutionnaire socialiste » de Genève.
Les seize firent leur début par le décret anarchiste, déclarant dissoute la fédération romande, laquelle s’empressa de rendre les Alliancistes à leur « autonomie » en les chassant de toutes les sections. Du reste, le Conseil doit reconnaître qu’un éclair de bon sens leur fit accepter le nom de Fédération Jurassienne que leur avait donné la Conférence de Londres.
Ensuite le Congrès des seize procéda à la « réorganisation de l’Internationale », en laçant contre la Conférence et le Conseil général une « circulaire à toutes les fédérations de l’Association Internationale des Travailleurs ».
Les auteurs de la circulaire accusent d’abord le Conseil général d’avoir, en 1871, convoqué une conférence au lieu d’un Congrès. Des explications précédemment données il résulte que ces attaques s’adressent directement à toute l’Internationale qui, dans son ensemble, avait accepté la convocation d’une conférence à laquelle, d’ailleurs, l’Alliance se trouvait convenablement représentée par les citoyens Robin et Bastelica.
A chaque Congrès, le Conseil général a eu ses délégués; au Congrès de Bâle, par exemple, il y en avait six. Les seize prétendent que « la majorité de la Conférence a été faussée d’avance par l’admission de six délégués du Conseil général avec voix délibérative ». En réalité, parmi les délégués du Conseil général à la Conférence, les conscrits français n’étaient autres que les représentants de la Commune de Paris, tandis que ses membres anglais et suisses ne purent qu’exceptionnellement prendre part aux séances, comme l’attestent les procès-verbaux qui seront soumis au prochain Congrès. Un délégué du Conseil avait un mandat d’une fédération nationale. D’après une lettre adressée à la Conférence, le mandat d’un autre fut retenu à cause de l’annonce de sa mort par les journaux. Reste un délégué, de sorte que les Belges seuls étaient relativement comme 6 est à 1.
La police internationale, tenue à l’écart en la personne de Gustave Durand, s’était plaint amèrement de la violation des statuts généraux par la convocation d’une Conférence « secrète » . Elle n’était pas encore assez au courant de nos règlements généraux pour savoir que les séances administratives des Congrès sont obligatoirement privées.
Ses plaintes, néanmoins, trouvèrent un écho sympathique chez les 16 de Sonvillier qui s’écrièrent: « Et pour couronner l’édifice, une décision de cette conférence porte le Conseil général fixera lui-même la date et le lieu du prochain Congrès ou de la Conférence qui le remplacera ; en sorte que nous voilà menacés de la suppression des Congrès généraux, ces grandes assises publiques de l’Internationale. »
Les seize n’ont pas voulu voir que cette décision ne vient qu’affirmer, vis-à-vis des gouvernements, que, malgré toutes les mesures répressives, l’Internationale a la résolution inébranlable de tenir ses réunions générales d’une manière ou d’une autre.
Dans l’Assemblée générale des sections genevoises, du 2 décembre 1871, qui faisait mauvais accueil aux citoyens Malon et Lefrançais, ces derniers soumirent une proposition tendant à confirmer les décrets rendus par les seize de Sonvillier et renfermant un blâme contre le Conseil général, ainsi que le désaveu de la Conférence. — La conférence avait décidé que « les résolutions de la Conférence qui ne sont pas destinées à la publicité, seront communiquées aux Conseils fédéraux des divers pays par les secrétaires correspondants du Conseil général. » Cette résolution entièrement conforme aux statuts et règlements généraux, fut falsifiée par B. Malon et ses amis de la manière suivante: « Une partie des résolutions de la conférence ne sera communiquée qu’aux conseils fédéraux et aux secrétaires correspondants. » Ils accusent encore le Conseil général d’avoir « manqué au principe de la sincérité » en se refusant de livrer à la police, par la “publicité”, des résolutions qui ont pour but exclusif la réorganisation de l’Internationale dans les pays où elle est proscrite.
Les citoyens Malon et Lefrançais se plaignent de plus, que « la Conférence a porté atteinte à la liberté de la pensée et de son expression… en donnant au Conseil général le droit de dénoncer et de désavouer tout organe de publicité des sections et fédérations, traitant soit des principes sur lesquels repose l’Association, soit des intérêts respectifs des sections et fédérations, soit enfin des intérêts généraux de l’Association tout entière » (voir l’Egalité du 21décembre). Et, qu’y a t-il dans l’Egalité du 21 décembre ? Une résolution de la Conférence où elle « donne avis que désormais le Conseil général sera tenu de dénoncer et de désavouer publiquement tous les journaux se disant organes de l’Internationale, lesquels, suivant l’exemple donné par le Progrès et la Solidarité, discuteraient dans leurs colonnes, devant le public bourgeois, des questions qu’on ne doit discuter que dans le sein des comités locaux, des comités fédéraux et du Conseil général, ou, dans les séances privées et administratives des Congrès, soit fédéraux, soit nationaux ».
Pour bien apprécier la lamentation aigre-douce de B. Malon, il faut considérer que cette résolution met fin une fois pour toutes aux tentatives de quelques journalistes désireux de se substituer aux comités responsables de l’Internationale et de jouer dans son milieu le même rôle que la bohème journaliste joue dans le monde bourgeois. Par suite d’une pareille tentative, le Comité fédéral de Genève avait vu des membres de l’Alliance rédiger l’organe officiel de la Fédération Romande, l’Egalité, dans un sens qui lui était entièrement hostile.
D’ailleurs, le Conseil général n’avait pas besoin de la Conférence de Londres pour « dénoncer et désavouer publiquement » les abus du journalisme, car le Congrès de Bâle a décidé (Rés. II) que:
«Tous les journaux contenant des attaques contre l’Association doivent être aussitôt envoyés au Conseil général par les sections », – « Il est évident, dit le Comité fédéral romand, dans sa déclaration du 20 décembre 1871 (Egalité du 24 déc.), que cet article n’était pas fait dans l’intention que le Conseil général garde dans ses archives les journaux qui attaquent l’Association, mais pour répondre et détruire au besoin l’effet pernicieux des calomnies et des dénigrements malveillants. Il est évident aussi que cet article se rapporte en général à tous les journaux, et que si nous ne vouons pas tolérer gratuitement les attaques des journaux bourgeois, à plus forte raison nous devons désavouer par l’organe de notre délégation centrale, par le Conseil général, les journaux dont les attaques contre nous se couvrent du nom de notre Association. »
Remarquons en passant que le Times, ce Léviathan de la presse capitaliste, le Progrès (de Lyon), journal de la bourgeoisie libérale, et le Journal de Genève, journal ultra-révolutionnaire, accablèrent la Conférence des mêmes reproches et se servaient presque des mêmes termes que les citoyens Malon et Lefrançais.
Après s’être élevé contre la convocation de la Conférence, puis contre sa composition et son caractère, soi-disant secret, la circulaire des seize s’attaque aux résolutions elles-mêmes.
Constatant, d’abord, que le Congrès de Bâle avait abdiqué « en donnant au Conseil général le droit de refuser d’admettre ou de suspendre des sections de l’Internationale », elle impute, plus loin, ce péché à la Conférence: « Cette Conférence a… pris des résolutions… qui tendent à faire de l’Internationale, libre fédération de sections autonomes, une organisation hiérarchique et autoritaire de sections disciplinées, placées entièrement sous la main d’un Conseil général qui peut à son gré refuser leur admission ou bien suspendre leur activité !! » Plus loin, elle revient au Congrès de Bâle, qui aurait « dénaturé les attributions du conseil général ».
Toutes ces contradictions de la circulaire des seize reviennent à ceci: la Conférence de 1871 est responsable du Congrès de Bâle de 1869, et le Conseil général est coupable d’avoir observé les statuts qui lui enjoignent d’exécuter les résolutions des Congrès.
En réalité, le véritable mobile de toutes ces attaques contre la Conférence est d’une nature plus intime. D’abord, par ses résolutions, elle venait de contrecarrer les intrigues pratiques des hommes de l’Alliance en Suisse. De plus, les promoteurs de l’Alliance avaient, en Italie, en Espagne, dans une partie de la Suisse et de la Belgique, créé et entretenu avec une merveilleuse persistance, une confusion calculée entre le programme d’occasion de Bakounine et le programme de l’Association internationale des travailleurs.
La Conférence mit en relief ce malentendu intentionnel par ses deux résolutions sur la politique prolétaire et sur les sections sectaires. La première, faisant justice de l’abstention politique prêchée par le programme Bakounine, est pleinement justifiée par ses considérants, appuyés sur les statuts généraux, sur la résolution du Congrès de Lausanne et autres précédents. (4)
Passons maintenant aux sections sectaires.
La première phase dans la lutte du prolétariat contre la bourgeoisie est marquée par le mouvement sectaire. Il a sa raison d’être à une époque où le prolétariat n’est pas encore assez développé pour agir comme classe. Des penseurs individuels font la critique des antagonismes sociaux, et en donnant des solutions fantastiques que les ouvriers n’ont qu’à accepter, à propager, à mettre en pratique. Par leur nature même, les sectes formées par ces initiateurs sont abstentionnistes, étrangères à toute action réelle, à la politique, aux grèves, aux coalitions, en un mot à tout mouvement d’ensemble. La masse du prolétariat reste toujours indifférente où même hostile à leur propagande. Les ouvriers de Paris et de Lyon ne voulaient pas plus des Saint-Simoniens, des Fouriéristes, des Icariens, que les chartistes et les trade-unionistes anglais ne voulaient des Owenistes. Ces sectes, leviers du mouvement à leur origine, lui font obstacle dès qu’il les dépasse; alors elles deviennent réactionnaires; témoin, les sectes en France et en Angleterre, et dernièrement les Lassalliens en Allemagne qui, après avoir entravé pendant des années l’organisation du prolétariat, ont fini par devenir de simples instruments de police. Enfin, c’est là l’enfance du mouvement prolétaire, comme l’astrologie et l’alchimie sont l’enfance de la science. Pour que la fondation de l’Internationale fût possible, il fallait que le prolétariat eût dépassé cette phase.
En face des organisations fantaisistes et antagonistes des sectes, l’Internationale est l’organisation réelle et militante de la classe prolétaire dans tous les pays, liés les uns avec les autres, dans leur lutte commune contre les capitalistes, les propriétaires fonciers et leur pouvoir organisé dans l’État. Aussi les statuts de l’Internationale ne connaissent-ils que des simples sociétés “ouvrières” poursuivant toutes le même but et acceptant toutes le même programme, qui se limite à tracer les grands traits du mouvement prolétaire et en laisse l’élaboration théorique à l’impulsion donnée par les nécessités de la lutte pratique, et à l’échange des idées qui se fait dans les sections, admettant indistinct toutes les convictions socialistes dans leurs organes et leurs Congrès.
De même que dans toute nouvelle phase historique les vieilles erreurs reparaissent un instant pour disparaître bientôt après; de même l’Internationale a vu renaître dans son sein des sections sectaires, quoique sous une forme peu accentuée.
L’Alliance, tout en considérant comme un progrès immense la résurrection des sectes, est une preuve concluante que leur temps est passé. Car, tandis qu’à leur origine elle représentaient les éléments du progrès, le programme de l’Alliance, à la remorque d’un « Mahomet sans Koran », ne représente qu’un ramassis d’idées d’outre-tombe, déguisées sous des phrases sonores, ne pouvant effrayer que des bourgeois idiots, ou servir de pièces à conviction contre les internationaux aux procureurs bonapartistes ou autres. (5)
La Conférence, où étaient représentées toutes les nuances socialistes, acclama à l’unanimité la résolution contre les sections sectaires, convaincue que cette résolution, en ramenant l’Internationale sur son véritable terrain, marquerait une nouvelle phase de sa marche. Les partisans de l’Alliance, se sentant frappés à mort par cette résolution, n’y virent qu’une victoire du Conseil général sur l’Internationale, par laquelle, comme le dit leur circulaire, il fit « prédominer le programme spécial » de quelques uns de ses membres, « leur doctrine personnelle », « la doctrine orthodoxe », « la théorie officielle ayant seule droit de cité dans l’Association ». Du reste, ce n’était pas la faute de ces quelques membres, c’était la conséquence nécessaire, « l’effet corrupteur » du fait qu’ils faisaient partie du Conseil général, car « il est absolument impossible qu’un homme qui a pouvoir (!) sur ses semblables, demeure un homme moral. Le Conseil général devient un foyer d’intrigues. »
Selon l’opinion des Seize, on pouvait déjà reprocher aux statuts généraux un tort grave, celui de donner au Conseil général le droit de s’adjoindre de nouveaux membres. Muni de ce pouvoir, disent-ils, « le Conseil pouvait, après coup, s’adjoindre tout un personnel qui en aurait modifié complètement la majorité et les tendances. » Il paraît que pour eux, le seul fait que des hommes appartiennent au Conseil général, suffit non seulement pour détruire leur moralité, mais aussi leur sens commun. Comment supposer autrement qu’une majorité se transforme elle-même en minorité par des adjonctions volontaires ?
Du reste, les Seize eux-mêmes ne paraissent pas très convaincus de tout cela; car plus loin, ils se plaignent de ce que le Conseil général a été « composé pendant cinq ans des mêmes hommes, toujours réélus », et immédiatement après ils répètent: « la plupart d’entre eux ne sont pas nos mandataires réguliers, n’ayant pas été élus par un Congrès. »
Le fait est que le personnel du Conseil général a constamment changé, bien que quelques-uns des fondateurs y soient restés, comme dans les Conseils fédéraux belge, romand, etc.
Le Conseil général est soumis à trois conditions essentielles à l’accomplissement de son mandat. En premier lieu, il exige un personnel assez nombreux pour exécuter la multiplicité de ses travaux; ensuite, une composition des travailleurs appartenant aux différentes nations représentées dans l’Association internationale, et enfin la prédominance de l’élément ouvrier. Comment, alors que les exigences du travail pour l’ouvrier sont une cause incessante de changement dans le personnel du Conseil général, celui-ci pourrait-il réunir ces conditions indispensables sans le droit d’adjonction ? Néanmoins, une définition plus exacte de ce droit lui paraît nécessaire, comme il en a exprimé le désir à la dernière Conférence.
La réélection du Conseil général, tel qu’il était composé, par les congrès successifs, et auxquels l’Angleterre était à peine représentée, semblerait prouver qu’il a fait son devoir dans les limites de ses moyens. Les Seize, au contraire, n’y voient que la preuve de la « confiance aveugle des Congrès », confiance poussée, à Bâle, « jusqu’à une sorte d’abdication volontaire entre les mains du Conseil général.»
D’après eux, le « rôle normal » du Conseil doit être « celui d’un simple bureau de correspondance et de statistique ». Ils appuient cette définition de plusieurs articles tirés d’une fausse traduction des Statuts.
A l’encontre des statuts de toutes les sociétés bourgeoises, les statuts généraux de l’Internationale effleurent à peine son organisation administrative. Ils en laissent le développement à la pratique et la régularisation aux futurs Congrès. Néanmoins, comme l’unité et l’ensemble d’action des sections des divers pays pouvaient seuls leur conférer le caractère distinctif d’internationalité, les statuts s’occupent plus du Conseil général que des autres parties de l’organisation.
L’article V des statuts originaux dit: « Le Conseil général fonctionnera comme agent international entre les différents groupes nationaux et locaux » et donne ensuite quelques exemples de la manière dont il devra agir. Parmi ces exemples mêmes, il se trouve l’instruction pour le Conseil de faire en sorte « que l’action immédiate étant réclamée, comme dans le cas des querelles internationales, tous les groupes de l’Association puissent agir simultanément et d’une manière uniforme ». L’article continue: « Suivant qu’il le jugera opportun, le Conseil général prendra l’initiative des propositions à soumettre aux sociétés locales et nationales ». En outre, les statuts définissent le rôle du Conseil dans la convocation et la préparation des Congrès, et le chargent de certains travaux qu’il devra leur soumettre. Les statuts originaux mettent si peu en opposition l’action spontanée des groupes avec l’unité d’action de l’Association, que l’article 6 dit: « Puisque le mouvement ouvrier dans chaque pays ne peut être assuré que par la force résultant de l’union et de l’association; que d’autre part, l’action du Conseil général sera plus efficace… les membres de l’Internationale devront faire tout leur possible pour réunir les sociétés ouvrières encore isolées de leurs pays respectifs, en associations nationales, représentées par des organes centraux. »
La première résolution administrative du Congrès de Genève (art. 1er) porte: [«] Le Conseil général est tenu d’exécuter les résolutions des Congrès ». Cette résolution légalisa la position occupée par le Conseil Général dès son origine: celle de délégation exécutive de l’Association. Il serait difficile d’exécuter des ordres sans « autorité » morale à défaut de toute autre « autorité librement consentie. » Le Congrès de Genève, en même temps, charge le Conseil général de publier « le texte officiel et obligatoire des statuts ».
Le même Congrès résolut (Rés. admin. de Genève, art. 14): « Chaque section a le droit de rédiger ses statuts et règlements particuliers, adaptés aux circonstances locales et aux lois de son pays; mais ils ne doivent être contraire en rien aux statuts et règlements généraux ».
Remarquons d’abord qu’il n’y a pas la moindre allusion à des déclarations particulières de principes, ni à des missions spéciales, dont telle ou telle section se changerait [chargerait ?] en dehors du but commun poursuivi par tous les groupes de l’Internationale. Il s’agit tout simplement du droit des sections d’adapter les statuts et règlements généraux « aux circonstances locales et aux lois de leur pays ».
En deuxième lieu, par qui la conformité des statuts particuliers aux statuts généraux devrait-elle être constatée ? Évidemment, s’il n’y avait pas d’ « autorité » chargée de cette fonction, la résolution était nulle et non avenue. Non seulement il pouvait se former des sections policières ou hostiles, mais aussi l’intrusion de sectaires déclassés et de philanthropes bourgeois dans l’Association pouvait en dénaturer le caractère et, par leur nombre, aux Congrès, écraser les ouvriers.
Dès leur origine, les fédérations nationales ou locales s’attribuèrent dans leurs pays respectifs ce droit d’admettre ou de refuser des nouvelles sections, selon que les statuts de celles-ci étaient ou n’étaient pas conformes aux statuts généraux. L’exercice de la même fonction par le Conseil Général est prévu par l’article VI des statuts généraux laissant aux sociétés locales indépendantes, c’est-à-dire à des sociétés se constituant en dehors des liens fédéraux de leur pays, le droit de se mettre en relation directe avec lui. L’Alliance ne dédaigna pas d’exercer ce droit, afin d’être dans les conditions requises pour envoyer des délégués au Congrès de Bâle.
L’article VI des statuts prévoit aussi des obstacles légaux s’opposant à la formations de fédérations nationales dans certains pays où, par conséquent, le Conseil général est appelé à fonctionner comme Conseil fédéral. (voir procès-verbaux du congrès, etc., de Lausanne, 1867, p. 13.)
Depuis la chute de la Commune, ces obstacles légaux n’ont fait que s’accroître dans différents pays et y rendre plus indispensable encore l’action du Conseil général, pour tenir les éléments véreux en dehors de l’Association. C’est ainsi que dernièrement des comités en France ont demandé l’intervention du Conseil général pour se débarrasser des mouchards, et que, dans un autre grand pays, les Internationaux l’ont requis de ne reconnaître aucune section n’étant fondée par ses mandataires. Ils motivaient leur demande par la nécessité d’éloigner ainsi des agents provocateurs dont le zèle bruyant se manifestait par la formation rapide de sections d’un radicalisme sans pareil. D’un autre côté, des sections soi-disant anti-autoritaires, n’hésitent pas à en appeler au Conseil, dès qu’un différend surgit dans leur sein, ni même de lui demander de frapper à tour de bras sur leurs adversaires, comme cela eut lieu pour le différend lyonnais. Plus récemment, depuis la Conférence, la « Fédération ouvrière de Turin » résolut de se déclarer: section de l’Internationale. Par suite d’une scission, la minorité fonda la société: « Émancipation de prolétaire. » Elle adhéra à l’Internationale et débuta par une résolution en faveur des Jurassiens. Son journal fourmille de phrases indignées contre tout autoritarisme. En envoyant les cotisations de la société, son secrétaire prévint le Conseil général que l’ancienne fédération enverrait probablement aussi ses cotisations. Puis il continue: « Comme vous avez lu dans le Proletario, la société Émancipation du Prolétaire… a déclaré.. refuser toute solidarité avec la bourgeoisie sous le masque ouvrier composant la fédération ouvrière » et il prie le Conseil général de communiquer cette résolution à toutes les sections et de refuser les 10 centimes de cotisations au cas où ils lui seraient envoyés. (6)
A l’égal de tous les groupes internationaux, le Conseil général a le devoir de faire de la propagande. Il l’a rempli par ses manifestes et par ses mandataires qui ont jeté les premières assises de l’Internationale dans l’Amérique du Nord, dans l’Allemagne et dans beaucoup de villes de France.
Une autre fonction du Conseil général consiste à venir en aide aux grèves, en leur assurant le secours de toute l’Internationale (Voir les rapports du Conseil général aux différents Congrès). Entre autres, le fait suivant prouve de quel poids a été son intervention dans les grèves. La Société de résistance des fondeurs en fer anglais est par elle-même une Trade’s-union internationale, possédant des branches dans d’autres pays, notamment dans les États-Unis. Néanmoins, dans une grève des fondeurs américains, ces derniers trouvèrent nécessaire d’invoquer l’interception du Conseil général pour empêcher l’importation de fondeurs anglais dans leur pays.
Le développement de l’Internationale imposa au Conseil général, ainsi qu’aux Conseils fédéraux, la fonction d’arbitre.
Le Congrès de Bruxelles résolut: « Les Conseils fédéraux sont tenus d’envoyer chaque trimestre au Conseil général un rapport sur l’administration et l’état financier de leur ressort ». (Résol. administ. n°3).
Enfin, le Congrès de Bâle, qui provoqua la fureur bilieuse des Seize, ne fit que régulariser les rapports administratifs nés du développement de l’Association. S’il étendit outre mesure les limites des attributions du Conseil général, à qui la faute, sinon à Bakounine, Schwitzguebel, F. Robert, Guillaume et autres délégués de l’Alliance, qui le demandèrent à grands cris ? S’accuseraient-ils, par hasard, de « confiance aveugle » dans le Conseil général de Londres ?
Voici deux résolutions du Congrès de Bâle:
N° IV. Chaque nouvelle Section ou Société qui se forme et veut faire partie de l’Internationale, doit annoncer immédiatement son adhésion au Conseil général », et N° V : « Le Conseil général a le droit d’admettre ou de refuser l’affiliation de toute nouvelle société ou groupe, sauf l’appel au prochain congrès. [»]
Quant aux sociétés locales indépendantes, se formant en dehors des liens fédératifs, ces articles ne font que confirmer la pratique observée dès l’origine de l’Internationale, et dont le maintien est une question de vie ou de mort pour l’Association. Mais on allait trop loin en généralisant la pratique et en l’appliquant indistinctement à toute section ou société en voie de formation. Ces articles donnent en effet au Conseil général le droit de s’immiscer dans la vie intérieure des fédérations; mais aussi n’ont-ils jamais été appliqués dans ce sens par le Conseil général. Il met au défi les Seize de citer un seul cas où il se serait immiscé dans les affaires des sections nouvelles, voulant s’affilmier à des groupes ou à des fédérations existantes.
Les résolutions que nous venons de citer se rapportent aux sections en voie de formation et les résolutions suivantes aux sections déjà reconnues:
VI. – Le Conseil général a également le droit de suspendre, jusqu’au prochain Congrès, une section de l’Internationale. VII. – Lorsque des démêlés s’élèveront entre des sociétés ou branches d’un groupe national, ou entre des groupes de différentes nationalités, le Conseil général aura le droit de décider sur le différend, sauf l’appel au Congrès prochain qui décidera définitivement.
Ces deux articles sont nécessaires pour des cas extrêmes, quoique jusqu’à présent, le Conseil général n’y ait jamais eu recours. L’historique donné plus haut prouve qu’il n’a suspendu aucune section, et qu’en cas de différends, il n’a agi que comme arbitre invoqué par les deux parties.
Nous arrivons enfin à une fonction imposée au Conseil général pour les besoins de la lutte. Quelque blessant que ce soit pour les partisans de l’Alliance, le Conseil général, par la persistance même des attaques dont il est l’objet de la part de tous les ennemis du mouvement prolétaire, se trouve placé à l’avant-garde des défenseurs de l’Association Internationale des Travailleurs.
A suivre…
Notes:
(1) Les amis de B. Malon qui, dans une réclame stéréotypée, l’appellent depuis trois mois fondateur de l’Internationale, qui annoncent son livre comme le seul ouvrage indépendant sur la Commune, savent-ils l’attitude prise par l’adjoint des Batignolles, à la veille des élections de Février ? A cette époque, B. Malon, qui ne prévoyait pas encore la Commune et n’avait en vue que le succès de son élection à l’Assemblée, intrigua pour se faire admettre sur la liste des quatre comités comme International. Dans ce but, il nia effrontément l’existence du Conseil fédéral parisien et soumit aux comités la liste d’une section fondée par lui aux Batignolles, comme émanant de l’Association tout entière. – Plus tard, le 19 mars, il insultait dans un document public les promoteurs de la grande Révolution accomplie la veille. – Aujourd’hui, cet anarchiste à tout crin imprime ou laisse imprimer ce qu’il disait déjà il y a un an aux quatre comités: l’Internationale, c’est moi ! B. Malon a trouvé le moyen de parodier à la fois Louis XIV et le chocolatier Perron. Encore celui-ci ne déclare-t-il pas que son chocolat est le seul… mangeable.
(2) Voici quelle était la composition, par nationalités, de ce conseil: 20 Anglais, 15 Français, 7 Allemands (dont 5 fondateurs de l’Internationale), 3 Suisses, deux Hongrois, un Polonais, un Belge, un Irlandais, un Danois et un Italien.
(3) Peu de temps après, ce Chautard qu’on avait voulu imposer au Conseil général, était expulsé de sa section comme agent de la police de Thiers. Il était accusé par ceux-là mêmes qui l’avaient jugé digne entre tous de les représenter au Conseil général.
(4) Voici la résolution de la Conférence sur l’action politique de la classe ouvrière:
Vu les considérants des Statuts originaux, où il est dit: « L’émancipation économique des travailleurs est le grand but auquel tout mouvement politique doit être subordonné comme moyen »;
Vu l’adresse inaugurale de l’Association Internationale des Travailleurs (1864) qui dit: « Les seigneurs de la terre et les seigneurs du capital se serviront toujours de leurs privilèges politiques pour défendre et perpétuer leurs monopoles économiques. Bien loin de pousser à l’émancipation du travail, ils continueront à y opposer les plus d’obstacles possibles… La conquête du pouvoir politique est donc devenue le premier devoir de la classe ouvrière »;
Vu la Résolution du Congrès de Lausanne (1867) à cet effet: « L’émancipation sociale des Travailleurs est inséparable de leur émancipation politique »;
Vu la déclaration du Conseil général sur le prétendu complot des Internationaux français à la veille du plébiscite (1870), où il est dit: « D’après la teneur de nos statuts, certainement toutes nos sections en Angleterre, sur le continent et en Amérique, ont la mission spéciale, non seulement de servir de centres à l’organisation militante de la classe ouvrière, mais aussi de soutenir dans leurs pays respectifs tout mouvement politique tendant à l’accomplissement de notre but final: – l’émancipation économique de la classe ouvrière »;
Attendu que des traductions infidèles de nos Statuts originaux ont donné lieu à des interprétations fausses, qui ont été nuisibles au développement et à l’action de l’Association Internationale des Travailleurs;
En présence d’une réaction sans frein qui étouffe violemment tout effort d’émancipation de la part des travailleurs, et prétend maintenir par la force brutale la distinction des classes, et la domination politique des classes possédantes qui en résulte;
Considérant en outre:
Que contre ce pouvoir collectif des classes possédantes le prolétariat ne peut agir comme classe qu’en se constituant lui-même en parti politique distinct, opposé à tous les anciens partis formés par les classes possédantes;
Que cette constitution du prolétariat en parti politique est indispensable pour assurer le triomphe de la révolution sociale et de son but suprême: l’abolition des classes;
Que la coalition des forces ouvrières déjà obtenue par les luttes économiques doit aussi servir de levier aux mains de cette classe dans sa lutte contre le pouvoir politique de ses exploiteurs;
La Conférence rappelle aux membres de l’Internationale:
Que dans l’état militant de la classe ouvrière, son mouvement économique et son action politique sont indissolublement unis.
(5) Les travaux policiers publiés dans ces derniers temps sur l’Internationale, sans en excepter ni la circulaire de Jules Favre aux puissances étrangères, ni le rapport du rural Sacaze sur le projet Dufaure, fourmillent de citations empruntées aux pompeux manifestes de l’Alliance. La phraséologie de ces sectaires, dont tout le radicalisme est dans les mots, sert à merveille les désirs de la réaction.
(6) Telles étaient à cette époque les opinions apparentes de la société: Emancipation du prolétaire, représentée par son secrétaire correspondant, ami de Bakounine. En réalité, les tendances de cette section étaient toutes autres. Après avoir expulsé, pour détournement de fonds et aussi pour ses relations amicales avec le chef de la police de Turin, ce représentant doublement infidèle, cette société a donné des éclaircissements qui ont fait disparaître tout malentendu entre elle et le Conseil général.