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Cities Under Siege
Analyses, Livres
samedi 26 novembre 2011, par Anonyme
Tags: Répression

Le bouquin qu’on te conseille : Cities under Siege, de Stephen Graham

Stephen Graham est professeur à la School of Architecture, Planning and Landscape (Ecole d’architecture, de planification et de paysage) à Newcastle. Etant passé par la géographie humaine, la planification et la sociologie des technologies, il a une approche pluridisciplinaire. Il a écrit de nombreux livres et articles qui tournent tous autour d’un certain nombre de thématiques centrales, comme les rapports entre les villes, la technologie et l’infrastructure, les aspects urbains de la surveillance, la médiation de la vie urbaine par les technologies numériques et les liens entre la sécurité, la militarisation et la vie urbaine.

Dans son dernier livre, Cities under Siege. The New Military Urbanism, il nous esquisse un panorama apocalyptique d’un monde en guerre permanente. Le titre annonce déjà la problématique principale du livre, à savoir la militarisation croissante de l’urbanisme, et donc de la vie quotidienne. Cette évolution bouscule pourtant un dogme solidement établi en stratégie de guerre depuis Sun Tzu selon lequel il vaut mieux éviter les villes dans une guerre puisque celles-ci sont difficilement contrôlables. Or, depuis 2007, plus de la moitié de l’humanité vit dans des villes pour la première fois dans l’histoire, ce qui ne peut rester sans répercussions sur la manière de mener des guerres.

Graham analyse l’évolution des dispositifs sécuritaires en démontrant que ceux-ci ont tendance à être transposés à un emploi civil si leur emploi militaire se révèle utile. Cette « civilisation de la guerre » est qualifiée par l’auteur d’« effet boomerang » dans le sens foucauldien. Il mentionne des exemples dans l’histoire comme l’empreint du doigt, les prisons panoptiques ou les boulevards haussmanniens. Aujourd’hui, ce sont les arrestations préventives, les drones ou encore le zonage à la bagdadienne. En même temps, il souligne que la militarisation des villes risque de ternir leur rôle économique de centres d’innovation.

Le livre est composé de dix chapitres dont les trois premiers sont dédiés à des considérations plutôt générales, six à des études de cas et le dernier à une série de propositions pour inverser la tendance. Le langage n’est pas excessivement académique et l’auteur fournit énormément d’informations intéressantes. Le plaisir de lecture est pourtant légèrement gâché par une approche très culturaliste et une certaine naïveté politique qui s’exprime par des conclusions réformistes fantasmant sur la « résistance de la multitude ».

Cette naïveté politique contraste avec une analyse lucide de la domination capitaliste contemporaine. Ainsi, l’auteur remarque dans le premier chapitre, consacré à des considérations générales sur le militaire et la ville, que l’on se trouve désormais face à un « prolétariat superflu », constat qu’il emprunte à Mike Davis. Graham constate aussi une généralisation de la guerre et il analyse le « cultural turn » des sciences militaires. A la fin du chapitre, il conclut que la pensée technocratique des militaires serait dangereuse parce que les militaires poseraient les mauvaises questions. Selon lui, il faudrait plutôt réfléchir comment « intégrer les peuples du Sud dans l’économie globale » et c’est là qu’il montre qu’il n’a pas complétement compris la notion de « prolétariat superflu ».

Dans le deuxième chapitre, il analyse le caractère manichéen du discours politique contemporain. En tant qu’analyse de la propagande occidentale, ce chapitre n’est pas sans intérêt. Une fois de plus, on ne peut pourtant pas être d’accord avec ses conclusions. N’y aurait-il vraiment pas eu de guerre en Irak « sans Orientalisme » ? Là, il oublie que la réaction publique à la guerre en Irak n’a pas été particulièrement enthousiaste. La propagande facilite bien évidemment les choses, mais elle n’est pas un facteur indispensable. Et même s’il a raison que les visions du monde de la droite américaine et des intégristes musulmans sont parfaitement symétriques, il a tort de croire qu’il suffit d’imposer un « autre discours » pour arrêter la violence permanente.

Des questions de stratégie de guerre constituent le fil rouge du troisième chapitre qui est un des plus intéressants de tout le livre. D’un côté, Graham montre comment des technologies de guerre éprouvées reviennent ensuite dans nos villes pour servir dans la guerre contre les opprimés, de l’autre, il montre que tout peut être récupéré par les seigneurs de guerre, comme par exemple les écrits de Gilles Deleuze qui auraient aidé les généraux israéliens à affiner leur gestion des camps de réfugiés palestiniens. En outre, il introduit la notion d’« urbicide », à savoir des actes pour « tuer une ville » en détruisant toute sa logistique, qui, selon lui, constitue un élément central de la démarche américaine en Irak.

Les six chapitres qui suivent sont dédiés à des études de cas. Graham y analyse l’arrivé des systèmes de contrôle et de surveillance des frontières dans nos villes, les recherches en guerre urbaine et en contre-insurrection pour aboutir à des robots armés (dont les drones donnent une première idée), le lien entre le divertissement et le militaire, la diffusion de la technologie de guerre israélienne, les liens entre l’infrastructure urbaine et la violence politique contemporaine et ceux entre les SUV (« Sports Utility Vehicle », sorte de jeep sur-dimensionnée) et la géopolitique. Tous ces chapitres fournissent de nombreuses informations précieuses concernant la militarisation croissante, les systèmes de surveillance et la tendance à la privatisation de la guerre et de la surveillance.

Ce livre est donc à recommander à toute personne qui s’intéresse au fonctionnement de la guerre sociale. Malgré des considérations politiques qui frôlent parfois le ridicule, surtout les conclusions dans le dernier chapitre basée sur les recettes negristes, et une certaine absence de perception du capitalisme en tant que système de domination de classe, il fournit des analyses lucides des transformations actuellement en cours. Et en temps de guerre, il est toujours utile de connaître les stratégies de l’ennemi...

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