lundi 11 octobre 2010

Critique d'Ernest Mandel

Une marchandise est un bien ou un service produit pour l'échange plutôt que pour l'usage. Il est bien connu que Marx commence Le Capital par la phrase : « La richesse des sociétés dans lesquelles règne le mode de production capitaliste s'annonce comme une immense accumulation de marchandises ».

Ceux qui niaient que le capitalisme d'Etat en Russie était une forme de capitalisme tout en se réclamant de Marx, comment expliquent-ils donc le fait qu'une partie importante du PNB de tous les pays capitalistes d'Etat était composée de marchandises ?

La réponse habituelle à cette question est de dire, comme le trotskiste Ernest Mandel dans le chapitre XVI de son Traité d’économie marxiste, que, durant la féodalité et d'autres sociétés précapitalistes, des marchandises existaient avant le capitalisme, même si c'était de façon marginale, celles-ci peuvent donc également exister dans la société postcapitaliste.

Cette argumentation est erronée parce que, l'échange marchand impliquant une propriété privée des produits, il était normal que des marchandises aient pu apparaître dans le cadre d'autres sociétés de propriété que le capitalisme. En revanche, puisque l'abolition du capitalisme implique la disparition de la propriété et l’établissement de la possession communautaire, la société socialiste ne fournit pas un cadre dans lequel les marchandises pourraient exister.

Le socialisme et la propriété s'excluent mutuellement parce qu'aucune combinaison de formes socialistes d'organisation sociale avec celles qu'on trouve dans les sociétés de propriété n'est possible. Pourtant Mandel imagine une « société de transition » dans laquelle il y aurait un « dépérissement progressif » de la production marchande et l’économie monétaire. Cependant une société incorporant d'un côté les rapports sociaux qui découlent de la propriété (l'échange marchand) et de l'autre les rapports sociaux particuliers au socialisme (le libre approvisionnement en valeurs d'usage) n'est qu'un jeu de l'esprit.

Puisque la totalité de la richesse produite aujourd’hui l’est comme un seul tout par l’ensemble des producteurs agissant en tant que « travailleur collectif » (Marx), il n’est pas possible d’en produire une partie sous une forme et une partie sous une autre. Le produit socialisé indivisible qui constitue la richesse aujourd'hui ne peut qu'être produit, soit entièrement comme valeur, soit entièrement comme simples objets utiles. Certes, certains biens peuvent être distribués directement en nature alors que d'autres ne restent disponibles que contre paiement en argent, mais il y a une nuance. En effet, les biens produits pour être distribués en nature auront toujours une forme de « valeur » puisque leurs coûts de production devront toujours être déduits de la plus-value réalisée dans le secteur des biens monnayables. La comptabilité des profits et pertes en unités de valeur serait donc toujours nécessaire.

C'est pourquoi tous ceux qui proposent, comme Mandel, un dépérissement progressif de la production marchande mettent l'accent sur la nécessité de retenir une unité de compte universelle (que ce soit des unités monétaires comme les prix fictifs ou que ce soit des unités de temps de travail comme lors des tentatives de mesurer directement la valeur économique) et ce, tant dans le secteur des « biens gratuits » que dans le secteur des biens monnayables.

Cette mutation de la production marchande en production utilitaire ne peut se produire que par une rupture, et non par une transition graduelle. Puisque «société sans classe » et « possession communautaire » sont synonymes, et puisque la production marchande est un non-sens sur la base de la possession communautaire, cette rupture (révolution) est en fait la même que celle nécessaire pour passer de la société de classes à la société sans classe.

En effet, ni les classes, ni l'Etat, ni la production marchande ni l'argent ne peuvent dépérir graduellement. Il n'est pas plus raisonnable de supposer que le capitalisme d'Etat puisse se transformer petit à petit en socialisme que ne l'était la supposition semblable des réformistes classiques par rapport au capitalisme privé.

dimanche 3 octobre 2010

Au-delà du syndicalisme

Nous souscrivons à la formule « n’importe quel syndicat vaut mieux que pas de syndicat », c’est-à-dire: il vaut mieux que les travailleurs soient organisés que pas organisés (autrement les employeurs vous marchent dessus). Ceci n’a rien à voir avec la révolution, mais simplement avec le fait de survivre le mieux possible sous le capitalisme.

Dans une période non révolutionnaire le concept de « syndicat révolutionnaire » est une contradiction dans les termes. Dans une telle période les syndicats ne peuvent être que des organes de défense. C’est pourquoi toutes les tentatives de créer des syndicats révolutionnaires ont toujours fini en création d’un nouveau syndicat ordinaire ou en disputes sectaires entre de petits groupes sans aucune influence sur le lieu de travail.

Pourquoi ne pas reconnaître simplement que n’importe quelle organisation sur le lieu de travail aujourd’hui va être, et ne peut qu’être, non révolutionnaire ? On adhère à un syndicat, non pas pour faire la révolution, mais pour protéger son beefsteak (c.à.d., par exemple, obtenir une compensation si on se blesse en trébuchant sur les fils de son ordinateur, être sûr que son salaire a été calculé correctement et autres questions éminemment non révolutionnaires).

Bien sûr il est légitime pour les socialistes de participer — simplement en tant que travailleurs salariés eux-mêmes — à ces luttes « économiques », forcément défensives, des travailleurs à propos de salaires, horaires, conditions de travail, etc.

Cela dit, il est vrai aussi que, lorsque les travailleurs deviennent révolutionnaires, les organisations « économiques » qu'ils ont formées le deviennent aussi. Soit par la transformation des syndicats actuels (pas impossible), soit par des scissions de ces syndicats (le plus probable, peut-être), soit par la formation de nouvelles organisations (aucune objection). C'est l'histoire qui en décidera. Ces organisations seraient, on pourrait le dire, des « syndicats révolutionnaires », dont la fonction serait d'organiser la continuité de la production pendant la période révolutionnaire.

Ce que Marx écrit au sujet du syndicalisme il y a presque 150 ans est toujours pertinent :

« Les syndicats agissent utilement en tant que centres de résistance aux empiétements du Capital, ils s'avèrent en partie inefficaces par suite de l'emploi peu judicieux qu'ils font de leur puissance. Ils manquent généralement leur but parce qu'ils se bornent à une guerre d'escarmouches contre les effets du régime existant, au lieu de travailler en même temps à sa transformation et se servir de leur force organisée comme d'un levier pour l'émancipation définitive de la classe travailleuse, c'est-à-dire pour l'abolition du salariat » (fin de Salaires, Prix et Profits).


dimanche 26 septembre 2010

La dynamique folle du capitalisme

Au sein du capitalisme il existe une concurrence entre capitaux rivaux. Pour survivre, chaque capital est obligé de chercher à prendre l'avantage sur ses rivaux, notamment en adoptant des méthodes de production plus efficaces qui permettent à ses marchandises de se vendre à des prix plus bas que ceux de ses rivaux. Autrement dit, l'avantage est gagné en accumulant du capital — en investissant dans de l'équipement nouveau capable de produire en plus ou moins de temps (c'est-à-dire, capable de réduire la quantité de travail socialement nécessaire à la production d'une marchandise et par conséquent de faire baisser sa valeur et son prix).

Aucun capital ne peut se permettre d'ignorer cette nécessité d'accumulation. Afin de simplement maintenir sa part de marché, chaque capital est constamment obligé de diriger la majeure partie de la plus-value qu'il réalise vers de nouveaux investissements. Dans un passage bien connu du Capital, Marx écrit :

« Le développement de la production capitaliste nécessite un agrandissement continu du capital placé dans une entreprise, et la concurrence impose les lois immanentes de la production capitaliste comme lois coercitives externes à chaque capitaliste individuel. Elle ne lui permet pas de conserver son capital sans l'accroître, et il ne peut continuer de l'accroître à moins d'une accumulation progressive » (Le Capital, I, chapitre XXIV, section III).

Le « capitaliste individuel » dont parle Marx a été quasiment éliminé du capitalisme privé moderne. Mais les « lois coercitives externes » continuent d'agir même sur des multinationales géantes et sur des blocs entiers du capital d'État. Quelle que soit son importance et son étendue, chaque capital doit courir simplement pour rester sur place, et, pas plus que le capital privé, le capital d'État ne peut échapper à la contrainte.

C’est la raison pour laquelle les nationalisations et les étatisations ne peuvent libérer la société de la logique du capitalisme.

dimanche 19 septembre 2010

Ils ont raison (4)

Imagine (Imaginez)

Imaginez qu'il n'y a aucun Paradis,
C'est facile si vous essayez,
Aucun enfer en dessous de nous,
Au dessus de nous seulement le ciel,
Imaginez tous les gens,
Vivant pour aujourd'hui...

Imaginez qu'il n'y a aucun pays,
Ce n'est pas dur à faire,
Aucune cause pour laquelle tuer ou mourir,
Aucune religion non plus,
Imaginez tous les gens,
Vivant leurs vies dans la paix...

Vous pouvez dire que je suis un rêveur,
Mais je ne suis pas le seul,
J'espère qu'un jour vous nous rejoindrez,
Et que le monde vivra uni

Imaginez aucunes possessions,
Je me demande si vous le pouvez,
Aucun besoin d'avidité ou de faim,
Une fraternité humaine,
Imaginez tous les gens,
Partageant tout le monde...

Vous pouvez dire que je suis un rêveur,
Mais je ne suis pas le seul,
J'espère qu'un jour vous nous rejoindrez,
Et que le monde vivra uni.

John Lennon (1971)

dimanche 12 septembre 2010

Pourquoi il faut abolir le salariat

Pour la classe salariée, toute l'indignité et toute la misère que le capitalisme entraîne s'expriment à travers le système du salariat. En effet, c'est le fouet de salaires qui force les travailleurs à entrer dans les usines, les bureaux, les mines et les autres lieux de production afin d'y travailler pour le capital en produisant une plus-value.

Conscientes de ce fait, les premières générations de travailleurs militants appelaient l'emploi salarié « l'esclavage salarié ». Le travail salarié est au coeur du système capitaliste de sorte que, en avançant le slogan « abolition du salariat », ces militants revendiquaient en même temps l'abolition du capitalisme. Comme Marx l'a écrit dans un passage bien connu de Travail salarié et capital : « Le capital suppose donc le travail salarié, le travail salarié suppose le capital. Ils sont la condition l'un de l'autre ; ils se créent mutuellement ».

Dans le capitalisme travailler pour un salaire est la caractéristique fondamentale de la vie des travailleurs. Sous le régime capitaliste, ces derniers ne peuvent accéder aux moyens de production et participer à la production qu'en vendant leur force de travail à une entreprise qui, quelle que soit la fiction juridique (individuelle, société anonyme ou d‘Etat), leur est confrontée en tant qu'employeur. Une fois leur force de travail vendue, les travailleurs perdent tout contrôle sur l'utilisation de leurs énergies physiques et intellectuelles. Ils ne sont plus en mesure de décider librement de ce que leur force de travail produit, ni de l'organisation de la production.

Au contraire, vendre leur force de travail, c'est l'aliéner en tant que marchandise et donc abandonner à une entreprise-employeur le contrôle de son utilisation. Le salariat est donc non seulement l'une des caractéristiques capitalistes les plus évidentes du capitalisme mais son existence démontre que l'asservissement de la classe travailleuse continue.

dimanche 5 septembre 2010

Ce mardi en France

Si, le 7 septembre, nous sommes suffisamment nombreux à nous opposer au projet de réforme des retraites, nous pourrons faire reculer le gouvernement … mais en aucun cas, empêcher les nouvelles attaques qu’il nous prépare. Cela, aucune réforme, aucune mobilisation ne peuvent le faire.

Qu’on l’appelle « économie de marché », « libéralisme économique », « libre entreprise » ou qu’on emploie tout autre euphémisme, le système social sous lequel nous vivons est le capitalisme. Sous celui-ci, les moyens de production et de distribution des richesses sociales – les moyens d’existence de la société – sont la propriété exclusive d’une minorité parasite dominante – les détenteurs de capitaux ou classe capitaliste – au profit de laquelle ils sont inévitablement gérés.

La gauche critique ce système mais ne propose que des réformes qui permettent, intentionnellement ou non, de le perpétuer, lui et les problèmes qui en découlent inévitablement. Tenter d’aménager ce système en faveur des salariés, d’en adoucir les effets, en un mot, de l’« humaniser », c’est demander à un tigre de brouter du gazon.

Depuis plus d’un siècle que les réformistes ont eu la possibilité d’en finir avec les problèmes du capitalisme (chômage, précarité, pauvreté, insécurité, pénurie de logements ici, malnutrition, famine, guerre ailleurs), et en dépit de l’infinité de gouvernements de toutes tendances qui se sont succédés dans le monde au cours du dernier siècle, non seulement ces problèmes n’ont pas disparu, mais ils se sont aggravés et d’autres sont venus se greffer. En outre, les réformes si difficiles à obtenir, sont remises en cause par le premier gouvernement « libéral » venu (aujourd’hui le recul l’âge de la retraite et l’augmentation des cotisations).

Parce que, par définition, le capitalisme ne peut fonctionner que dans l’intérêt des capitalistes, aucun aménagement, aucune mesure, aucune réforme, n’ont pu (et ne le pourront d’ailleurs jamais) subordonner la propriété privée capitaliste à l’intérêt général. Pour cette raison, seule la menace d’un mouvement socialiste se fixant comme seul but réaliste et immédiat l’instauration de la propriété sociale (d’où le nom de socialisme) des moyens d’existence de la société, de manière à assurer leur gestion par (et, donc, dans l’intérêt de) la collectivité tout entière, pousserait les capitalistes à concéder des réformes favorables aux salariés de crainte de perdre tout le gâteau.

C’est pour la construction d’un tel mouvement que nous lançons un appel à tous les salariés conscients de l’opposition et de l’incompatibilité des intérêts des salariés avec ceux des capitalistes, à tous ceux qui, préoccupés par les attaques incessantes dont nous sommes victimes, désirent, non pas rafistoler la société actuelle mais y mettre un terme. Notre supériorité numérique écrasante nous permet tous les espoirs.

Ce n’est qu’après avoir placé sous le contrôle de la collectivité les moyens d’existence sociaux que nous pourrons enfin assurer leur gestion, non plus dans l’intérêt égoïste de leurs actuels propriétaires, mais cette fois, réellement, dans l’intérêt général. Alors seulement serons-nous en mesure de réaliser un monde dans lequel le système actuel des États rivaux sera supplanté par une communauté mondiale sans frontières, le rationnement par l’argent et du système du salariat par le libre accès aux richesses produites, la concurrence par la coopération et l’antagonisme des classes par l’égalité sociale.

dimanche 29 août 2010

L'utopie ou le chaos ?

Pour abolir la guerre, la menace de la guerre et les armements de toutes sortes il faut que tout ce qui se trouve sur la Terre et dans la Terre devienne l'héritage commun de l'humanité entière. La production se fera alors pour la seule satisfaction des besoins humains et non plus pour la vente et le profit et le principe « de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins » sera mis enfin en application.

Autrement dit, on ne mesurera plus la contribution que chaque individu apportera ä la production (ce qui n'est d'ailleurs pas possible même de nos jours puisque le travail de production est déjà socialisé, c'est-à-dire que c'est un processus collectif), mais chacun contribuera de son mieux, comme il pourra ou comme il voudra et aura libre accès à tout ce qu'il lui faudra pour vivre, sans paiement d'aucune sorte.

Cette idée n'est pas notre invention mais au contraire c'est un rêve aussi vieux que l'humanité elle-même depuis la disparition du « communisme primitif ».

L'abolition de l'argent, une société non marchande, voilà ce que c'est que le communisme, ou le socialisme si l’on veut, peu importe le nom, bien que ces deux termes aient été tellement galvaudés qu'on est parfois tenté de les abandonner.

Une société sans argent (non seulement sans argent, bien sûr, mais aussi sans troc, sans salaires, sans profits, sans banques) est dans la logique des choses puisqu'on a déjà une production qui est collective et capable de produire une abondance pour tous. Une telle société serait une société véritablement humaine où les rapports s'établiraient entre êtres humains et non entre vendeurs et acheteurs, employeurs et salariés, gouvernants et gouvernés, meneurs et menés.

Une telle société se fait parfois traiter d'utopie. Mais pourquoi avoir peur de ce terme ? Il n'y a aucune solution aux problèmes sociaux d'aujourd'hui dans le cadre du capitalisme et il faut donc pouvoir imaginer une société différente qui sera une véritable solution de remplacement. Le choix, c'est indubitablement entre l'utopie ou le chaos.