Le Laboratoire Savoir Arts organise le 17 mai prochain un colloque intitulé “Contraintes, innovation, rénovation”. Le thème appelle une réflexion sur l’action de l’Oubapo, mais également sur les dispositifs esthétiques et économiques (pensons au format, au thème, à la collection ou à la série qui peuvent constituer des structures contraignantes) dans lesquels opèrent les scénaristes et dessinateurs de bande dessinée. Nous reproduisons ci-dessous l’appel à communication dont la date limite est fixée au 15 mars.
Colloque “Contraintes, innovation, rénovation”, lundi 17 mai 2010
Toute oeuvre d’art doit s’accommoder d’un certain nombre de contraintes, qu’elles soient subies ou choisies par l’artiste. Si cette idée de contrainte a parfois eu mauvaise presse car elle s’opposait au mythe romantique de l’artiste inspiré, il semble qu’elle soit de plus en plus reconnue comme un moteur créatif, qu’elle apparaisse comme un véritable moyen d’innover ou de rénover les différentes formes artistiques. S’interroger sur l’usage de la contrainte et sur son évolution au fil des époques semble une manière pertinente de tenter de comprendre comment les arts se renouvellent perpétuellement. Des pratiques contemporaines comme celles de l’OuLiPo (Ouvroir de Littérature Potentielle), qui a systématisé l’utilisation de la contrainte, prouve à quel point cette idée est importante pour appréhender la création artistique. L’expérience a d’ailleurs prouvé à quel point la contrainte, utilisée de manière consciente et volontaire, se révélait paradoxalement libératrice.
Nous nous proposons d’analyser, au cours de cette journée d’études, les multiples facettes de la notion de contrainte dans l’optique de comprendre le rôle qu’elle tient dans la création artistique : comment et dans quelle mesure permet-elle d’innover, voire de rénover les arts ? La confrontation des différents domaines de recherche – beaux-arts, cinéma, littérature, etc… – semble particulièrement enrichissante dans la mesure où l’articulation entre contrainte, innovation et rénovation est une problématique transversale à tous les domaines artistiques. Ces réflexions permettront de comparer les différentes formes de contraintes existant dans ces différentes disciplines et surtout les différentes manières dont les artistes se positionnent par rapport à celles-ci.
Une approche diachronique : contraintes et notions avoisinantes.
On peut s’interroger sur la frontière qui sépare les notions de règle (produites par une époque, imposées par un contexte esthétique et une tradition) et de contrainte choisie (outils adoptés en fonction d’une oeuvre par l’artiste)
On s’intéressera aux nuances que peuvent apporter d’autres notions avoisinantes : la prosodie, le genre, les sous-genres, les mouvements et les écoles (manifestes), etc.
Peut-on distinguer une évolution de l’histoire des arts et de la littérature, qui irait de la règle à la contrainte ?
On proposera de comprendre la contrainte comme l’avatar moderne d’une nécessité persistante dans les arts : celle de donner un cadre à toute pratique artistique. L’apparition de nouvelles contraintes est donc le signe d’un regain de créativité (nouveau mouvement, nouvelles règles)
Les contraintes artistiques évoluent et s’adaptent à un contexte et à une société. Elles peuvent donc jouer comme un miroir des valeurs d’une époque (ex. : époque de relativisme, époque de multiplication des contraintes et affaiblissement des règles traditionnelles).
Contrainte et inspiration.
Deux conceptions de l’artiste et de l’art sont en jeu : l’artiste inspiré et l’artiste artisan. Doit-on parler d’une opposition ou d’une complémentarité entre la contrainte et l’inspiration ? La contrainte peut-elle être perçue comme un moteur créatif, un point de départ de l’inspiration ? On se posera donc la question des rapports entre contrainte et liberté, contrainte et productivité. La contrainte peut-elle être support de la création ? Y a-t-il un dynamisme de la forme ? Un tel regard suppose une conception de l’art définie (partiellement ou totalement) par sa technicité.
Existe-t-il un art affranchi de toute contrainte ?
Contrainte et rénovation.
L’exemple de l’adaptation peut fournir une piste de réflexion : reprendre des oeuvres canoniques, des mythes, des topoi, et les actualiser en leur appliquant de nouvelles contraintes peut être un moteur de création (ex. : Le Virgile travesti : adaptation sur le mode burlesque d’un texte fondateur)
Il s’agit alors de dissocier une forme préexistante d’un thème auquel elle est associée et de réutiliser ce thème dans un autre contexte, avec d’autres cadres (ex : la tragédie et les thèmes tragiques).
La contrainte peut également devenir une manière de refonder une pratique (ex : le nouveau roman, la nouvelle vague), de proposer une nouvelle esthétique pour revitaliser une pratique artistique.
Transgressions possibles.
Transgresser des règles traditionnelles, est-ce innover ou rénover ? Peut-on considérer comme pertinente la volonté de faire « table rase » ? L’art s’inscrit-il dans une continuité inévitable ?
Quel est le rapport de l’artiste à la contrainte : s’agit-il d’un point de départ ou d’un absolu ? Le créateur s’appuie-t-il sur une conception rigoureuse de la contrainte, ou la considère-t-il comme un simple cadre de départ, qu’il doit faire évoluer (ex : le genre) ? L’existence des canons ( littéraire, picturaux) peut-elle être vécue comme une contrainte (par les jeunes artistes notamment) ?
La légitimité de la contrainte est-elle plus forte que la légitimité de la règle ?
On pensera également aux artistes qui se donnent pour consigne de contrecarrer la contrainte, comme Perec, qui s’impose de déroger ponctuellement à ses propres contraintes.
Contraintes techniques.
La contrainte peut également être de nature technique. C’est le cas notamment quand le support ou les conditions matérielles imposent des limites à la créativité de l’artiste : on pense ici aux manuscrits médiévaux (contrainte de la mise-en-page, des matériaux d’écriture, des modèles etc…), aux limites du cinéma (cascades etc…), aux contraintes typographiques pour les auteurs qui jouent sur la mise en page, etc…. On peut aussi penser à l’écriture sur les murs, notamment aux tags dans les prisons.
A l’inverse, des contraintes peuvent être levées par une meilleure maîtrise technique des conditions de production : à partir du moment où la peinture existe en tubes, une contrainte disparaît, qui permet aux impressionnistes de peindre en extérieur et de renouveler le genre du “paysage”. Ce changement fait apparaître une contrainte qui n’était sans doute pas ressentie comme telle auparavant – qui « devient » une contrainte : la peinture en atelier. De même pour le cinéma : la possibilité des effets spéciaux lève certaines contraintes de cet art, ainsi que les réponses qui leur étaient apportées.
6. Contraintes subies.
On s’interrogera sur l’influence de la commande et du mécénat. La dépendance de l’artiste peut être perçue comme une contrainte d’un autre type.
Il s’agit ici de contraintes pragmatiques en fonction des conditions de production et de réception (on pense aux cas de l’industrie cinématographique et de l’édition). Ici, la réception est liée à la rentabilité.
7. Contraintes choisies.
La figure de l’artiste évolue, de même que son statut : avec le romantisme apparaît un nouveau culte de l’indépendance. L’artiste est vu comme un individu original voire marginal, qui échappe aux conventions de son temps. De ce fait, il a la possibilité de choisir, voire d’inventer ses contraintes.
La contrainte devient donc une manière de se singulariser, par opposition à la règle qui permet de s’inscrire dans une tradition.
Le choix de la contrainte se fait donc au nom de la maîtrise, de la virtuosité
8. Ludisme et formalisme : aux limites de la contrainte.
Selon une conception ludique de la pratique artistique, la contrainte peut être perçue comme la règle d’un jeu.
On peut également s’interroger sur les écueils du formalisme, comme limite de la contrainte. Elle présente en effet le risque de devenir une technique qui tourne à vide, une forme creuse.
On peut ainsi lui reprocher sa gratuité, sa vacuité, et même y voir un danger qui vide l’art de sa substance. (ex. l’art pour l’art)
Pour nuancer ce point de vue, on se demandera si la contrainte peut-elle être totalement arbitraire. (voir les contre-exemples où la contrainte recoupe le sens de l’oeuvre, comme La Disparition.) Dans quelle mesure la subjectivité de l’artiste est-elle impliquée dans la contrainte ? Est-ce que la contrainte la réduit ou la trahit ?
Derrière ces questions se trouvent en jeu deux conceptions différentes de l’oeuvre d’art, comme forme pure ou comme expression d’une subjectivité.
9. Peut-on penser un art sans contraintes ?
Après avoir envisagé la limite de la contrainte, on peut s’interroger sur la limite de l’absence de contrainte.
On retrouve alors la question de l’opposition entre génie et virtuosité : le génie serait celui qui dépasse les règles, par opposition au le virtuose, qui excelle dans l’utilisation de la règle.
Jusqu’où l’art peut-il se renouveler ?
Merci de renvoyer votre proposition de communication d’une page maximum, accompagnée de quelques lignes vous présentant, à l’adresse virginietahar@free.fr avant le lundi 15 mars.
Comité scientifique :
Adélaïde Jacquemard
Maud Perez-Simon
Virginie Tahar.
LISAA (Littératures Savoirs Arts, EA 4120)
Université Paris-Est Marne-la-Vallée.
Responsable : Programme Jeune chercheur du LISAA
Adresse : Université Paris-Est Marne-La-Vallée Cité Descartes 5, bd Descartes Champs sur Marne 77454 MARNE LA VALLEE